En guise de
réaction à l'article de Mr MEBARKI (Mohammed), «Urbanisme : quelle rénovation
pour la ville ?», je propose mon point de vue sur quelques éléments qu'il a
soulevés.
D'abord, cet
article démontre l'intérêt que notre urbaniste a pour le développement d'Oran
et l'importance de comparer l'essor qu'elle connait avec celui des villes du
monde développé. D'ailleurs, dans cet article en question, il apparaît
clairement, comme cela est le cas de l'ensemble de nos Algériens, que l'état
des villes européennes, en particulier, est pris pour modèle réussi ;
appréciation qu'il est difficile de contester tant l'image qu'elles renvoient
au monde est exemplaire par la gestion rigoureuse des administrations locales
européennes, l'engagement dévoué et passionné de leurs architectes libérés de
manière conséquente des contraintes technocratiques, et la vigilance de leurs
sociétés civiles.
L'organisation
des institutions administratives, et je ne parlerai pour ce qui me concerne que
des services municipaux d'urbanisme français, et plus particulièrement
parisiens, est pour nous parfaitement représentative. Obtenir un poste dans ces
services nécessite la postulation à de nombreux examens, et le tri parmi les
postulants se pratique selon des conditions drastiques. Ces services disposent
généralement d'archives très organisées, mises à la disposition du grand
public. Pour y accéder, nous avons généralement à faire à un personnel
professionnel qui vous met dans votre aise totale et vous soumet sur le champ,
et dans la mesure du possible tous les documents dont vous avez besoin. Les
chercheurs et les étudiants sont souvent reçus à bras ouverts. Ces services
témoignent de la présence de l'Etat et de sa préoccupation d'assurer les
meilleurs services possibles.
Dire qu'un
service dans nos administrations est devenu une faveur, derrière des guichets
grossiers où n'importe qui est recruté n'importe comment, selon la logique
simpliste de la réduction du taux de chômage qui ne semble pas diminuer pour
autant. Et comment pourra-t-il diminuer lorsque nos hauts responsables
régissent les universités telles que des industries qui doivent faire des
chiffres et jamais des exceptions. Encore faut-il que ces exceptions aient leur
chance et trouvent leur place dans ce pays... Je comprends que certains
pourraient réagir à ce passage en disant que je parle de trop de choses mais,
enfin, tout est lié et influe négativement sur notre environnement.
Pour revenir à notre
sujet, je me souviens de l'ancien Hôtel-de-ville de Rueil-Malmaison (92) qui
est conservé tel un joyau d'architecture classique, un véritable palais avec
ses fresques et ses escaliers imposants. L'édifice est en pierre.
L'appareillage des fenêtres est enrichi de panneaux de briques qui couvrent les
trumeaux et dont l'enfoncement est à peine visible. Les grandes fenêtres de
chaque extrémité sont inscrites dans un volume vertical légèrement en saillie.
On aurait dit un bow-window. Sur ce dernier, la fenêtre supérieure est
surmontée d'un fronton arrondi et posé sur un linteau en pierre. La surface de
dessous de ce linteau est en courbe. Le linteau est orné d'une clé de voute. La
clef de voute de la fenêtre de l'étage inférieur fait partie d'un ensemble de pierres
composant un arc en plein-cintre. Le sommier de ce dernier repose sur un
listel, sorte de réglet qui ceinture l'édifice et qui n'est rompu que par le
volume bien avancé de l'entrée. Le détail du filet, on ne le retrouve qu'au
niveau du premier étage. Une doucine accentue la reconnaissance des deux étages
de l'édifice. L'entrée monumentale de cet édifice, plutôt de taille modeste,
est soulignée par un appareillage majestueux de pierre. Seul bémol de la
composition, c'est que nous avons toujours trouvé que la clef de voute qui
surmonte l'arc en plein-cintre est disproportionnelle par rapport à la masse de
l'entrée surélevée. La partie supérieure de l'entrée est constituée de deux
pilastres cannelés de type ionique, et est surmontée de chaque côté de deux
parties arrondies d'un fronton coupé au milieu. Chaque partie de ce fronton
coupé est agrémentée d'une grande décoration ionique. Le fronton de la grande
fenêtre du volume d'entrée est majestueusement médaillé. Une horloge surplombe
l'entrée et est aussi chapeauté d'un fronton arrondi. Sur cette façade
richement décorée, un niveau en partie enterré est reconnaissable grâce à ces
fenêtres arquées au sol. L'Hôtel-de-ville est coiffée d'une croupe droite dont
les quatre points cardinaux sont surmontés de flèches à quatre versants. La
façade principale est parfaitement symétrique et ouvre sur un parvis tout à
fait entretenu.
Des monuments défigurés
Ce choix du
monument (l'Hôtel-de-ville), qui rend honneur à l'espace public et qui est
conservé avec beaucoup de soin et d'amour, est selon moi le premier jalon dans
l'urbanisme en tant que concept de l'organisation de l'espace. C'est en ce sens
que l'on ne peut pas admettre des interventions d'amateurs sur nos monuments
comme celles qui défigurent actuellement la grande synagogue d'Oran, devenue
depuis des décennies la grande mosquée, ou celle du théâtre d'Oran. Quel
scandale !!! A ce propos, j'ai beaucoup aimé le passage de POUILLON (Fernand)
dans «Les pierres sauvages» où il tente de partager avec nous sa passion pour
la pierre et l'impératif de respecter ce matériau noble : «Ce silence subi me
fait penser à la pierre, à l'extraction, à la taille, à l'aspect. J'ai bien
observé ces matériaux, aucune scie ne peut les attaquer, et, sous l'outil, ils
éclatent comme du mauvais verre. Nous en ferons quelque chose. Fraichement
taillée, la pierre est claire, chaude, ocre jaune, avec le temps elle deviendra
grise et dorée. La lumière semble y déposer tour à tour les couleurs du prisme,
gris composé, imprégné du soleil. Les blocs bruts arrachés au sol, calibrés et
burinés, deviennent matériaux nobles ; chaque coup, chaque éclat apparent, sont
témoins de l'énergie et de la persévérance ». C'est en ce sens que nous nous
demandons : comment se fait-il donc qu'à ce jour nos villes ne disposent pas
encore d'architectes des monuments historiques et dont les pouvoirs ne peuvent
être ébranlés par ceux d'un wali ou d'un ministre ? On ne choisit pas seulement
un architecte en chef pour ces compétences, le nombre des projets qu'il a réalisés,
encore moins pour le clouer dans un fauteuil feutré, mais surtout pour sa
culture, la qualité du discours qu'il tient en public et son engagement
politique au-delà de toute orientation idéologique pour le bien et la
durabilité de nos patrimoines : anciens et récents. Cet architecte ne doit être
à la solde d'aucun président de la République ou parti politique. Il doit
seulement se consacrer au bien-être dans sa ville. Cette proposition de
l'architecte en Chef qui participe de l'esprit de décider du sort de sa ville
va peut-être dans le sens de ce que POUILLON (Fernand) pensait, c'est-à-dire
que l'urbanisme est l'établissement des architectures. Et pour ceux qui ont
approfondi leur lecture de « L'art de bâtir les villes », ils verraient que
SITTE (Camillo) adhérait bien avant à cette idée.
D'autre part, si
l'urbanisme aspire à permettre l'existence d'un environnement sain où l'on doit
se préoccuper de la salubrité de l'air que nous respirons, comme le disait à
l'époque BARDET (Gaston), il est aussi politique et reflète la qualité de nos
décideurs à travers les projets et les idées qu'ils engagent sur le terrain.
Dans cet ordre d'idées, le grand problème duquel nous souffrons, Mr MEBARKI,
est celui de cette obsession que nous avons à croire que tout ce qui nous
arrive de l'Occident est forcément bon. L'architecte, l'urbaniste occidental
est bon non pas parce qu'il propose des projets mais parce qu'il est
simplement, occidental. Et on le laisse faire. Et lorsqu'il achève la
réalisation de son projet, l'on se rend compte que l'on s'est trompé. Votre
Mairie est allée jusqu'à demander à des étudiants étrangers de proposer des
projets pour La Calère au moment même où elle est restée autiste devant les
projets de nos étudiants. De la même manière nous recourons aux concepts
étrangers comme ceux que vous avez évoqués, la requalification, le
renouvellement urbains et le fameux retour à la ville des années 1980 en
France, sans nous demander dans le fond si ces concepts correspondent aux
réalités que nos villes postcoloniales sont en train de connaître
culturellement, socialement et politiquement parlant.
A cette
interrogation, la meilleure réponse que j'ai trouvée est celle de CHALINE
(Claude) qui note : « Il y a des modes en urbanisme. Elles résultent
ordinairement de la conjonction temporaire entre la prise de conscience de
carences profondes affectant le bon fonctionnement d'un système urbain et
l'adoption, dans les milieux où s'élaborent les décisions, d'une idée force
opératoire, d'un concept ou d'un modèle opérationnel, dont la valeur curative
est effective, mais dont un enchaînement logique tend à généraliser les
applications là où elles ne sont pas les meilleures réponses aux problèmes
posés et éventuellement peuvent avoir des effets opposés aux buts poursuivis ».
CHALINE (Claude) que nous avons bien connu, insistait dans ses cours sur le
fait que les concepts, auxquels vous faites recours Mr MEBARKI, témoignent
d'abord, dans le domaine de l'urbanisme, de l'évolution des villes européennes
pendant des périodes bien précises. Pour expliquer son point de vue, il
insistait sur le cas de villes comme Paris, Londres, où même Berlin. Vue de
notre angle, d'au jour d'aujourd'hui, il expliquait que ces concepts peuvent
être organisés selon une chronologie bien précise, de l'ancien vers le plus
récent ; c'est-à-dire de la requalification des friches industrielles et
portuaires, le renouvellement urbain, le retour à la ville jusqu'au plus
récent, le renouveau urbain.
Or, Mr MEBARKI,
il me semble qu'il ne vous en cache point que ces concepts par rapport à nos
réalités urbaines nous dépassent amplement, puisque sur le terrain, l'idée même
de valoriser l'espace selon ses composantes multiples n'a pas lieu. Nous
trempons dans les affaires d'abus de pouvoir, d'interventionnisme politico-administratif,
de détournement foncier et de destruction de nos patrimoines. Malheureusement
pour nous, comme je le dis souvent à mes collègues universitaires, souvent, nos
ambitions dépassent nos moyens. Nous ne savons pas faire des rues à la manière
de KAHN (Louis), tel qu'il le disait : sous forme d'un grand salon à ciel
ouvert sur lequel donnent les pièces, et pourtant nous multiplions les
boulevards qui ne mènent nulle part et qui encouragent au moment même où tout
le monde dénonce le réchauffement climatique l'usage de la voiture. Comme vous
l'annonciez au début de votre article, c'est parce qu'en grande partie, les
enjeux d'intérêts publics et privés ne laissent pas de place pour de réelles
volontés d'aménagement de l'espace public. Ce qui fait que nos politiques de la
ville sont devenues par définition des schizophrénies urbaines.
Quel rôle pour les
universitaires ?
Regardez, ces
pays auxquels vous faîtes référence vont et font appel aux compétences
universitaires, ils ne les dénigrent pas. Même si, parfois, la communication
semble difficile, il n'en demeure pas que pour eux l'exception est toujours
dans le camp de l'université. Aussi, les universitaires sont impliqués dans le
débat publico-médiatique ; souvent, ils sont les démolisseurs par excellence de
l'action publique. Chez nous, l'on s'arrange pour que les universitaires, qui
n'arrivent pas à joindre les deux bouts de leurs mois, restent enfermés dans
les universités où rien ne se passe, hormis les grèves des syndicalistes dont
les représentants sont généralement manipulés par les hautes sphères
politiques. L'on ne veut surtout pas que l'universitaire fasse de la politique,
non pas parce qu'il est incapable de le faire, mais parce qu'il risque grâce à
sa finesse intellectuelle de la faire mieux que ceux qui se légitiment de la
Révolution algérienne.
Enfin, tout est
bon pour dire que l'Université algérienne est incapable de faire et tout le
monde, bien sûr, se retrouve dans cet état de léthargie. Pire, lorsque l'on
fait appel par accident aux universitaires, on le fait par le biais des réseaux
restreints d'amis, de cousins, des connaissances qui arrangent et rarement
parce que l'individu a eu l'idée de proposer, de dénoncer, de ramasser une
situation embarrassante dans le mot qu'il ne faut surtout pas prononcer. Ce
pacte du non-dit, fondé sur l'esprit maladif de la suspicion, où les coups-bas
sont permis, laissent continûment derrière nous des chantiers de « faire » à
l'abandon.
C'est bien de
rappeler que l'urbanisme n'est pas que planification. Comme l'architecture il
est pluridisciplinaire. Seulement, là où il faut prendre garde, c'est de ne pas
créer la confusion dans l'usage des concepts « urbanistiques », voire de
commettre le pas maladroit de la concentration des idées et des sujets qui peut
induire en erreur. Ce qui nous fait défaut, me semble-t-il, en Algérie c'est
que nous voulons procéder comme les Européens, or nous savons tous au fond de
nous-mêmes que la société, la culture ne suivent pas chez nous. Notamment dans
les projets les plus ordinaires. Faites un tour du côté des HLM de Point du
Jour et vous verrez dans quel état cette cité, pourtant pourvues de qualités
architecturales et urbaines, est. Cet exemple et d'autres sont le témoignage
vivant de l'absence de l'Etat et de ses territoires perdus. C'est, en ce sens,
enfin, que nous disons qu'il s'agit d'abord pour nous de faire l'urbanisme de «
Comment produire et agir sur la ville », avant de recourir aux concepts de
requalification, renouvellement et autres.
* Architecte
Docteur en
urbanisme
Le Quotidien
d'Oran, mercredi 23 juin 2009, p.19.
Nous souhaitons,
que nos responsables nationaux délèguent dans l'urgence des commissions pour
enquêter autour des opérations qui défigurent les monuments d'Oran : la Grande
Mosquée et le Théâtre d'Oran auxquels nous comptons consacrer un article digne
d'architecte.
Editions du
Seuil, 1964, p.22-23.
CHALINE (Claude),
Les villes nouvelles dans le monde (Que sais-je ?), Presse Universitaire de
France, 1985, p. 3.
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Posté Le : 01/07/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Benkoula Sidi Mohamed El-Habib*
Source : www.lequotidien-oran.com