Ces derniers
temps, on ne cesse de gloser sur les dernières augmentations salariales, comme
si, à elles seules, elles pouvaient régler le problème d'une université
médiocre, installée à la queue du classement international, africain et arabe.
Les syndicats,
trop peu présents, appareils absents, exultent, occultant l'essentiel,
c'est-à-dire la tragique désorganisation d'une université toujours en quête
d'une illusoire stabilité. On continue à distribuer des diplômes qui se
dévalorisent vite, ne résistant pas à l'usure d'un temps factice qui laisse à
la porte du chômage une grande majorité de sortants et qui posent sérieusement
le problème de la qualité d'un enseignement au rabais. Que se passe t-il à
l'université ? Pourquoi nos cadres supérieurs préfèrent-ils « caser » leurs
rejetons dans des universités étrangères ?
Les choses sont
complexes, elles ne peuvent être réductibles à un simple constat, mais
relèveraient d'une lecture diachronique mettant en relief les multiples
dysfonctionnements caractérisant une université héritée de l'espace colonial.
Certes, durant les années 70, des efforts colossaux ont été entrepris pour
massifier l'entrée à l'université, mais avaient été vite sabordés par une
politique d'algérianisation qui a fortement enlaidi et gravement appauvri une
université qui accueillait de très grands professeurs étrangers comme
Bettelheim, Balibar, Dowidar, Palloix, Lebray, Ngandu Nkashama…Cette erreur
d'appréciation des pouvoirs publics conjuguée à un discours nationaliste désuet
allait fermer une institution dont la vocation première est l'ouverture au
monde. Ainsi, le savoir se retrouve condamné à une fonction de gendarme, perdue
dans les arcanes de décisions politiques occultant la construction d'espaces
symboliques pouvant bénéficier à une Algérie future.
Les jeux
démagogiques avaient pignon sur les territoires politiques qui avaient
également pris la décision trop rapide de mettre en Å“uvre une politique
d'arabisation, certes légitime, mais sans une sérieuse préparation,
déstabilisant encore plus le paysage universitaire et poussant déjà à l'exil de
nombreux universitaires. L'écueil de la langue allait engendrer une sérieuse
césure. L'enseignement devenait le lieu d'un simulacre de jeu de langues et de
tentatives de s'en sortir avec des mots trop approximatifs d'enseignants vite
convertis dans une langue qu'ils ne réussissaient pas à maitriser, malgré
l'organisation de quelques stages censés leur permettre d'assurer des cours en
arabe. Au même moment, les bibliothèques se vidaient, comme si l'Algérie
voulait divorcer définitivement avec le savoir. L'enseignement se faisait au
rabais préparant des sinistres futurs comme c'est le cas aujourd'hui.
l'université
algérienne a atteint un stade avancé de déliquescence. Les revendications
restent souvent, en dehors de la production scientifique, absente des travées
des établissements universitaires, engluées dans l'organisation de colloques et
de journées d'études, dans de nombreux cas, sans lien réel, avec la vocation
d'un espace de connaissance. Les revues, souvent sans consistance, n'apportent
que trop peu de choses à une université se limitant à gérer les examens,
brandissant continuellement des chiffres peu opératoires, marqués du sceau de
la pauvreté. Peut-on parler de scientificité dans un univers où Internet est
absent, les bibliothèques trop peu fournies, les enseignants se trouvant sans
bureaux ou lieux de travail réunissant leurs doctorants dans des cafés, les «
projets de recherche », occupant une sorte d'adresse ambulante ? Il y eut même
cette histoire d'un pôle universitaire construit, il y a quelques années, à
Annaba, sans bibliothèque, d'ailleurs programmée à posteriori. Dans ce contexte
désagréable, les étudiants se trouvent obligés de subir les contrecoups de
situations parfois improvisées, comme ce casse-tête permanent du passage de la
licence au Master. L'étudiant sait à quoi s'attendre à la porte de sortie. La
miraculeuse « solution » du LMD (Licence, Master, Doctorat), calqué sur le
système européen, qu'on a cherché à discuter après avoir déjà pris la
définitive décision de l'appliquer n'a pas encore produit de résultats
probants. La lecture des programmes et du contenu des enseignements proposés
reste très discutable surtout si on le confronte aux données sociologiques
algériennes. L'Algérie n'est pas l'Europe. Déjà, avec une licence de quatre
années, de nombreuses filières ne s'en sortent pas, le niveau des étudiants et
le manque tragique d'enseignants ne permettent pas logiquement d'adopter les
contours d'un système qui exige des moyens considérables. Tout le monde
tâtonne, l'université s'installe actuellement dans une sorte d'espace
expérimental, avec une flagrante absence des moyens didactiques et d'espaces de
savoir (salles de travail pour étudiants, bibliothèques bien fournies, actualisées,
amphis dépassés et inutilisables…). On veut à tout prix atteindre le cap des
examens, même si comme dans certains cas, les amphis et les salles utilisés,
mal construits, rendent impossible toute possibilité d'assurer un cours.
L'échange est ainsi exclu.
Aujourd'hui,
malgré les incessants appels à de profondes réformes, l'université reste trop
silencieuse, marquée par un corps enseignant, en partie, amorphe et une armée
d'étudiants dont trop peu réussissent à construire une phrase correcte en arabe
ou en français. Cette situation catastrophique, les douloureuses années 90 et
l'absence de compensation matérielle aux méritants ont incité des centaines
d'enseignants, souvent, ayant produit des travaux scientifiques sérieux, à
quitter le pays pour des universités européennes ou canadiennes. Les autres se
sont retrouvés dans des universités du Golfe, moins exigeantes sur le plan
scientifique. Nombreux ont paradoxalement bénéficié de « mises en disponibilité
» continues alors qu'ils allaient enseigner dans des universités étrangères.
Absurde ! Etrange ! Jusqu'à présent, l'université algérienne compte des
compétences, souvent marginalisées, produisant des textes et des travaux de
grande valeur.
Cette dramatique réalité est aggravée par le
recrutement de milliers de vacataires ayant pour diplôme une simple licence.
Comment, dans ces conditions, l'université algérienne pourrait former des
étudiants brillants ou tout juste moyens ? Déjà, le niveau des enseignants
prête, dans de nombreux cas, sérieusement à équivoque. Il faut aussi savoir que
les conseils pédagogiques se réunissent très rarement. Ce qui engendre de
sérieux malentendus. Il arrive parfois que les uns et les autres s'interrogent
sur la fonction des enseignants et leurs relations absentes avec les étudiants
comme si la raison d'être de beaucoup d'enseignants n'était pas l'étudiant qui
a fortement appris à entreprendre une seule gymnastique, celle d'attendre et de
quémander les notes. Des enseignants entreprennent une singulière gymnastique,
celle d'additionner le plus grand nombre d'heures supplémentaires glanées ici
et là, oubliant parfois d'assurer leurs cours normaux. N'est-il pas temps d'y
mettre fin en les supprimant carrément ? Ne serait-il pas également d'imposer
un quota d'achats de livres et d'abonnements obligatoires de revues
spécialisées dans le cadre de la prime de documentation et d'éviter de mettre
des freins à la recherche en instaurant des autorisations de communiquer en
Algérie et à l'étranger. La recherche est l'espace, par excellence, de la
liberté.
Le fonctionnement de ce qu'on appelle
communément « conseils scientifiques » ne correspond nullement à la vocation
scientifique de tels comités aujourd'hui réduits à n'être le plus souvent que
des lieux comptables obéissant aux désidérata d'une administration trop peu
intéressée par les jeux réels de la gestion d'établissements à caractère
scientifique. Bourses bidon, rapports de soutenance faits à
la va-vite, dont le temps de lecture se confond parfois avec le temps de la
remise de la thèse, jurys de complaisance, jurys sans spécialistes de la
question traitée dans la thèse, le plagiat est monnaie courante, publication
d'articles dans des revues suspectes…constituent le lot quotidien d'une culture
de l'ordinaire trop marquée par la complaisance et les jeux d'appareil. Les
membres de certains conseils scientifiques ont appris, à l'instar de nos
députés, à lever la main suivant celle du chef. L'éthique et la déontologie
à la poubelle. C'est démodé et c'est ringard, parait-il. Les membres de ce
conseil, ignorant le plus souvent les textes règlementaires (notamment le
chapitre 4 du décret du 17 aout 1998 régissant le fonctionnement des conseils
scientifiques), méconnaissent leurs prérogatives et évacuent souvent
l'administration des questions scientifiques, cherchant parfois à satisfaire
l'espace administratif (département, doyen, rectorat) en allant dans son sens,
jusqu'à rédiger des communiqués de soutien ou de condamnation, qui ne sont
nullement de leur ressort. Quand aura-t-on affaire à des débats scientifiques
dans des universités où de nombreux enseignants demeurent encore prisonniers de
la reproduction de cours jamais actualisés et d'articles ressemblant davantage
à des exposés d'étudiants ? Un fonctionnement démocratique de l'université,
avec un système électif, rompant avec cette pratique trop totalitaire des
désignations, favorisant l'allégeance et le clientélisme, pourrait permettre de
sérieux changements qualitatifs.
Les jeux sont truqués, les pouvoirs publics
comme de très nombreux enseignants semblent se satisfaire d'une réalité qui
sauvegarde les privilèges du grand nombre et pénalise lourdement les
compétences. Il est des professeurs qui ressassent le même cours depuis leur
recrutement, d'autres reproduisent tout simplement le cours de leurs
professeurs. Le drame de la qualification reste posé dans la mesure où des
professeurs et des maîtres de conférences assurent des cours et dirigent des
thèses ou des mémoires ne correspondant nullement à leur spécialité. Autre
chose : l'institution maladroite d'une prime de 100000 da à chaque enseignant
ayant réussi à faire soutenir un doctorant en moins de quatre ans a suscité des
arrangements trop peu éthiques.
Des mémoires de
magister et des thèses de doctorat sont dirigés par des enseignants étrangers à
la spécialité. D'autres sont de véritables touche à tout. Ce qui pose souvent
le problème des mémoires et des thèses soutenus, parfois (euphémisme ?) teintés
de plagiat. Cette pratique semble marquer le secteur des lettres et des sciences
humaines, mais aussi les sciences exactes. On se souvient des universitaires
japonais qui s'étaient plaints à l'administration d'une université algérienne
contre le vol de leur travail par un enseignant algérien. Il serait nécessaire
de passer au crible tous les mémoires et thèses déposés, en utilisant les
logiciels anti-plagiat par exemple. La pratique est devenue ordinaire. Ces
derniers temps, l'image de l'Algérie est ternie par des cas de plagiat-avérés
ou supposés-de plagiat, rendus publics dans la presse internationale.
Le statut de l'enseignant-chercheur y fait
explicitement mention. Le ministre de l'enseignement supérieur a même promis
des sanctions contre ces pratiques extrêmement condamnables. On attend
également la mise en place de comités d'éthique qui sont, pour le moment, aux
abonnés absents. La chose scientifique est dévalorisée dans une université
marquée par la primauté de l'espace administratif à tel point que les bureaux
des responsables et leurs subalternes occupent des superficies exagérément
grandes alors que des professeurs, sans gîte de fonction, côtoient dans les
couloirs leurs étudiants, également privés de salles de travail. D'ailleurs,
l'administration semble trop passive, fragilisant ce corps hétéroclite, dans sa
majorité amorphe et d'un affligeant conservatisme, en mettant en place un
système de rente s'accommodant parfois avec l'illégalité comme la nature de la
rétribution des responsables (chefs de département, doyens, vice-recteurs ou
chefs de domaines ou de filières). Il ne faut nullement parler dans de nombreux
espaces universitaires de micro-ordinateurs ou d'Internet, totalement absents
de l'univers enseignant et étudiant. Ainsi, la distribution des bourses
ressemblant étrangement aux fameux bénéfices de la révolution agraire, pénalise
lourdement les réels méritants. Ne serait-il pas plus juste de n'accorder ces
émoluments qu'aux seuls enseignants possédant un projet et ne pouvant pas
trouver leurs documents ou leur matériel en Algérie ? Il serait utile d'exiger
au retour de chaque mission un rapport détaillé pour chaque bénéficiaire
qu'examinerait sérieusement l'instance scientifique.
Mais souvent le conseil scientifique a pour
fonction de comptabiliser, calculette en bandoulière, les points pour permettre
à des centaines d'enseignants de bénéficier de ces bourses. L'université se
muerait en agence de voyages. Les responsables bénéficient automatiquement de
cette allocation sans passer par le cap de la sélection. Le conseil
scientifique qui n'est que consultatif s'intéresse rarement au côté
scientifique à tel point que des colloques sans fin, avec des sujets généraux,
sont organisés permettant exclusivement aux uns et aux autres de bénéficier
d'attestations à présenter à la commission universitaire nationale. Parfois,
des enseignants interviennent dans de nombreux colloques en changeant tout
simplement le titre de sa communication. L'attestation servirait à un futur
dossier pour une éventuelle promotion à un grade supérieur. La thèse subit de
sérieuses frappes chirurgicales, se démultipliant en plusieurs morceaux publiés
dans des revues encore trop peu performantes, permettant à l'auteur de gagner
de nombreux points et de postuler à une promotion où être enfant de chahid ou
moudjahid permet à l'heureux élu de remporter la victoire en glanant des points
et des années et de devenir professeur en un temps plus court. Quand le
scientifique épouse l'Histoire, la fausse couche n'est pas loin. L «
habilitation à diriger des recherches », appelée à changer, fonctionne
également de cette manière.
La recherche
reste encore peu présente dans un univers où trop peu de professeurs ont publié
des ouvrages scientifiques, hors des textes à comptes d'auteurs. L'absence
d'une structure sérieuse de publication universitaire ne règle pas la question lancinante
de l'édition. On ne sait pas si l'OPU (Office des publications universitaires)
existe toujours. Elle serait inscrite aux abonnés absents de l'université. Les
laboratoires et les projets de recherche restent encore des espaces peu marqués
par les jeux de la performance et de la qualité.
Si dans les années soixante-dix et quatre
vingt, malgré toutes les contraintes, il existait à l'université des voix
intellectuelles, aujourd'hui, nous avons souvent affaire à de simples
reproducteurs du savoir, sans interrogation. D'ailleurs, souvent les articles
des universitaires sont prisonniers de leurs sources livresques et de leurs
références bibliographiques ignorant le plus souvent le terrain ; pour parler
de l'Algérie, il faudrait passer obligatoirement par des médiations théoriques
livresques.
Dans ce contexte peu reluisant, est-il
possible de parler de l'existence d‘une université nationale ? Les moyens
matériels (ronéo, photocopie, micro-ordinateurs…) ne sont pas mis à la
disposition des enseignants et des étudiants appelés à se débrouiller dans des
établissements supérieurs où toute activité culturelle est répudiée, exclue. Ni
ciné club, ni théâtre, ni espaces littéraires et de débats. Les bibliothèques
sont tellement vides que de nombreux enseignants obtiennent des bourses pour se
documenter dans des bibliothèques étrangères comme la bibliothèque El Assad de
Damas qui n'est d'ailleurs pas très fournie, sa direction s'est plainte du
manque de sérieux de nombreux universitaires algériens. Ce ne sont pas les
interminables réunions qui suppléeront au grave déficit sur le plan
scientifique et pédagogique. De nombreuses écoles doctorales se sont même
substituées à la fonction publique en limitant l'âge pour le concours de
Magister ou l'inscription en thèse de doctorat. Il serait plutôt temps de faire
un sérieux état des lieux de ces écoles doctorales comme l'école doctorale
algéro-française de français par exemple.
Souvent, quand on
parle du problème de la qualité de l'enseignement, on jette la pierre aux étudiants
comme s‘ils étaient les seuls à gripper une machine depuis longtemps
défaillante. Les étudiants savent bien, qu'une fois les études terminées, la
rue les attend ou ce rêve trop illusoire de prendre babor l'Australie pour
paraphraser l'ami Fellag. Déjà, à l'université, ils vivaient une sorte de
perpétuel ennui que n'arrangeait pas du tout l'absence de livres dans des
bibliothèques trop peu fournies et d'activités culturelles.
Aucun débat sérieux, hors quelques colloques,
n'est possible à l'intérieur de nos universités. Il est parfois à regretter
l'absence de l'enseignement des littératures algériennes d'expression arabe ou
de textes arabes récents dans les départements de lettres arabes (graduation),
prisonniers des temps anciens, de travaux autonomes (magisters ou doctorats),
pas de seconde main, des départements d'Histoire, de communication ou de
quelques langues étrangères (« civilisation » par exemple, trop vague…).
Il est peut-être temps de réfléchir
sérieusement à un statut spécifique de l'université tout en définissant les
contours de cette structure sans laxisme ni jeu de passe-passe en l'ouvrant
sans complexe à des compétences étrangères. L'université est un espace élitaire
exigeant un fonctionnement particulier ; l'enseignant aurait ainsi une place de
choix dans une société qui apprendra à le respecter s'il entreprenait une sorte
d'autocritique libératrice. L'université devrait être autonome, éloignée des
discours néolibéraux qui semblent la viser, dirigée par un personnel élu au
niveau de tous les espaces de responsabilité (recteur, doyen, chef de
département).
Ce qui lui permettrait de se libérer des
carcans bureaucratiques et du poids des désignations, souvent produits
d'arrangements extra-universitaires tout en demeurant un véritable service
public.
C'est cette université au service des
étudiants et d'une Algérie ouverte au monde et au savoir, à travers le
recrutement de compétences étrangères qu'il est temps de bâtir. Cette
augmentation des salaires, contrairement aux discours des syndicats, ne
changera rien à la situation de l'université si des décisions concrètes et
courageuses ne sont pas prises dans le sens de la revalorisation du savoir et
d'une sérieuse réorganisation de l'université, en partant de situations
concrètes.
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Posté Le : 04/11/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed Cheniki
Source : www.lequotidien-oran.com