Algérie

L'univers impitoyable du poulet


Le poulet n'a pas l'intention d' «atterrir». Les prix de la volaille, qui se sont envolés ces dernières semaines, ne risquent pas de baisser avant la fin de l'année. Un aveu amer fait par les professionnels, algériens de la filière. «Au vu de la situation actuelle, il est impossible que la chose revienne à la normale», assurent-ils unanimement. Pourquoi sont-ils aussi formels' Sont-ils en train d'exagérer les choses' Le tableau est-il aussi noir' Nous avons décidé de mener l'enquête dans le monde des «poulaillers». Premier constat: l'expression qui renvoie à l'anarchie prend tout son sens. On n'est pas dans un marché bien huilé, avec une chaîne d'intervenants clairs, mais dans un grand «souk» où règne le «chaos». Il y a de grands groupes, avec de grandes et modernes exploitations agricoles, mais ils sont minoritaires. «Ils couvrent à peine 30% des besoins du marché», nous révèle une source, au niveau de la Chambre nationale de l'agriculture. Le reste du marché est composé de petits agriculteurs qui travaillent, majoritairement, au noir. «Ils sont majoritaires et couvrent près de 70% des besoins», ajoute la même source.Les petits n'ont pas survécu
Quand on parle de petits exploitants, ce n'est pas comme ceux que l'on voit dans les films, avec de petites fermes familiales aux capacités limitées. Il s'agit plus de petits «chaouchs» isolés où l'on travaille avec les moyens du bord et en toute «discrétion». Aucune norme n'est respectée et il n'y a, bien évidemment, pas d'assurances ou toute autre couverture, en cas de grosses catastrophes. Nous avons visité l'une d'elles, au niveau de Ouled Hedadj dans la wilaya de Boumerdès. Mis à part la forte odeur qui vient nous chatouiller les narines, rien n'indique que nous sommes chez un aviculteur. On traverse un long terrain boueux, avant d'arriver au niveau d'un grand hangar. Des bouteilles de gaz butane y sont branchées à l'emporte-pièce. On est surpris par un silence de cathédrale. Aucune poule ne glousse ni de poussin qui piaille. «J'ai arrêté l'activité depuis le mois d'août dernier», souligne, les larmes aux yeux, cet aviculteur. «J'ai essayé de résister mais les dettes m'ont vite rattrapé», soutient -il. Une banqueroute qui est le quotidien de la majorité des petits acteurs du marché. «Presque chaque jour, on apprend que l'un de nos collègues a déclaré faillite», précise celui qui employait une trentaine de personnes. Selon les professionnels de la filière, depuis le printemps dernier, plus «de la moitié des petits exploitants ont fermé boutique». Une situation qui explique l'état actuel du marché. L'offre a baissé pendant que la demande a augmenté, logiquement les prix se sont «envolés». Néanmoins, les choses ne sont pas aussi simples que cela...
L'origine du problème
Pour comprendre pourquoi le poulet s'est vu «pousser des ailes», il faut remonter à l'origine du problème. On est au mois de mars dernier, une épidémie de grippe aviaire frappe le pays. Le H5N8 touche des dizaines de milliers de volailles. La majorité a dû être abattue. «La grippe aviaire a fait des dégâts énormes chez les aviculteurs, surtout en ce qui concerne les poussins «repro» (reproducteurs, Ndlr) et la poule rouge (pondeuse, Ndlr)», assure l'une des victimes de ce grand désastre. «L'année dernière, nous avions entre 12 et 13 millions de poussins reproducteurs, à travers tout le territoire national. Après l'épidémie, on se retrouve avec moins de 3 millions», atteste-t-il. Les pertes ont été énormes pour ces «fellahs». Cela ce chiffre en milliards de centimes. «J'ai perdu, personnellement, quelque 3 milliards de centimes mais certains de mes confrères on perdu le double, voire le triple de cette somme», a-t-il confié, ce qui fait que les petits producteurs, (qui ont entre 5 000 et 10 000 poussins) n'ont pas pu soutenir le rythme. Cela d'autant plus qu'un malheur n'arrive jamais seul. Des crises comme, celle-ci, ils en ont déjà vécu. Ils ont réussi à être sauvés après avoir vécu des moments très difficiles. Mais, cette-fois-ci, l'épidémie a coïncidé avec l'augmentation des prix des aliments bétail, sur les marchés internationaux. «Leurs cours ont augmenté de plus de 30% sur les marchés internationaux. Si l'on y ajoute la spéculation, ils arrivent chez les éleveurs avec 50% de plus qu'en 2020», affirment tous ceux que nous avons interrogés. De plus, avec cette crise, les fournisseurs de ces intrants ne veulent plus vendre à crédit. «Ils nous imposent de payer cash, car ils savent qu'avec la crise actuelle, beaucoup ne seront pas capables de les payer dans les délais impartis», assurent-ils. Un cercle «vicieux» qui a plongé tout un secteur dans l'inconnu!
La mafia et la faillite de la tutelle
La tutelle n'a-t-elle pas vu la crise arriver' Y a-t-il eu des mesures pour anticiper les choses' «La situation était claire, dès le mois de mars. Les spéculateurs ont anticipé, pas le ministère de l'Agriculture», peste un aviculteur, qui a tout perdu, car, comme ont pu le constater, à travers notre tournée dans ce monde des «poulets», il y a effectivement une «mafia» qui fait la pluie et le beau temps. Elle avait «senti» la crise pour s'emparer du marché des poussins. Elle y dicte sa loi et, bien évidemment, ses prix. Gare à celui qui ne s'y soumettra pas! «Elle est bien organisée et très soudée. Si l'un de nous décide de se révolter, il se fera black lister. Tous refuseront de le fournir», racontent ceux qu'ils qualifient de véritable «racket», ce que leur font subir ces barons. La décision des autorités de fixer les prix des poussins à 120 dinars résume bien les choses. «On nous les a effectivement facturés à 120 dinars mais, réellement, ils nous les vendent à 230 dinars. On paye la différence en cash. C'est à prendre ou à laisser», révèle un autre aviculteur. Une version confirmée par de nom-breux autres acteurs du secteur. D'ailleurs, l'un d'eux a appelé devant nous l'un de ses fournisseurs. Ce dernier commence par lui rappeler les conditions du
«deal». «120 dinars sur la facture, le reste chkara (sachet en référence au cash)», lui répond-il sans ambages. «C'est la seule mesure prise par le ministère, vous voyez comment elle arrange encore mieux leurs affaires», nous dit-il d'un air des plus désespérés. Il envisage lui aussi une reconversion. À l'image de tous ses collègues, il n'a plus d'espoir dans son métier. On «ose» quand même leur poser la question concernant les importations de poussins, annoncées par le gouvernement. Ils esquissent tous un large sourire. «Ils tomberont entre les mains de la mafia qui nous imposera les mêmes conditions. À la fin, on continuera de les payer à 230 dinars», estiment-ils. De plus, cette mesure semble arriver trop tard. Même si les autorités arrivent à «fixer» les prix des poussins, il faut attendre au moins 2 mois pour qu'ils deviennent des poulets. C'est donc comme attendre que les poules aient des...dents!
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