Algérie

L'ultime combat de Fekhar



En exprimant le v'u d'être enterré au carré mozabite d'El-Alia, Kamel-Eddine Fekhar avait sans doute judicieusement calculé toute la portée que pouvait prendre son choix : donner au combat qu'il menait une dimension qu'il peinait à obtenir de son vivant.Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Mais l'effet s'est propagé dès les premiers jours ayant suivi sa mort tragique. Emporté par les dégâts physiques engendrés par une grève de la faim entamée pour protester contre son incarcération injustifiée, il soulève alors une vague d'indignation mais aussi de sympathie qui s'exprime à l'échelle nationale.
Débarrassés de leur peur, occultant désormais tous les discours officiels déformant leur perception de certaines situations, les Algériens semblent alors ouvrir les yeux plus grands. Et comme pour enterrer définitivement tous les préjugés qui prévalaient jusque-là, beaucoup décident de défiler en portant la calotte mozabite ce vendredi. Ce samedi, au cimetière El-Alia, de grandes funérailles lui sont réservées. Le cercueil enfermant le corps du défunt est déjà exposé en milieu de matinée.
L'emblème national qui le recouvre est ridé par des bourrasques de vent qui souffle fort en cette journée. Pour mettre les invités à l'abri des dards du soleil, une sorte de préau a été mis en place. Il y a foule là-dessous. A 11h30, près d'un millier de personnes sont déjà sur place. Beaucoup sont arrivés tôt de Ghardaïa. D'autres, venus la veille, ont passé la nuit chez des proches. Une vaste solidarité s'est organisée autour de ces voyageurs.
Hadj Brahim Aouf est parvenu au cimetière peu de temps après onze heures. Terriblement amaigri, il a du mal à se déplacer et ne tient sur ses jambes que grâce au soutien que lui portent des amis. Une grande tristesse se lit sur son visage.
Avec Fekhar, il avait été arrêté le 31 mars dernier pour des raisons inconnues. Tous deux avaient été conduits à la prison de Ghardaïa où ils ont dû partager une cellule de deux mètres carrés. L'exiguïté les contraignaient à étendre leurs jambes sur les toilettes turques que contient cette pièce. Ces conditions de détention cauchemardesques, la mort inattendue de son compagnon et les conséquences de la grève de la faim qu'il avait suspendue quelques jours avant le décès de Fekhar l'ont visiblement amoindri physiquement. Craignant sans doute un second décès en prison, les autorités de Ghardaïa l'ont libéré jeudi peu de temps avant la rupture du jeûne.
Les personnalités qui défilent ce matin devant le cercueil de Fekhar tiennent à lui manifester leur soutien. Saïd Sadi, Mohcine Belabbas, Ali Laskri, Amira Bouraoui, le FFS, le PT, et de nombreux autres représentants de partis politiques, médiatiques et de la société civile étaient présents aux côtés d'une foule immense. Des femmes sont présentes.Les organisateurs leur ont réservé une entrée différente pour, dit-on, ne pas subir la foule d'hommes plus nombreux. Nadia Matoub, épouse du défunt Matoub Lounes, icône de la chanson kabyle engagée assassiné par les terroristes, a tenu à faire le déplacement.
Deux jours auparavant, elle s'était rendue au domicile du défunt à Ghardaïa exprimer son soutien à la famille endeuillée.
Des prises de parole sont organisées. Différents intervenants accusent lourdement les pouvoirs publics et plus particulièrement encore ceux de Ghardaïa d'avoir laissé mourir Fekhar. Me Salah Dabouz remet en cause la détention provisoire «appliquée de manière systématique et souvent injustifiée». «D'autres détenus d'opinion sont en prison, comme pour Louisa Hanoune, leur place n'est pas en détention, exigeons leur libération immédiate», dit-il.
Ses paroles sont suivies de cris d'indignation. Réunis autour du cercueil, les présents promettent de s'organiser rapidement pour atteindre l'objectif. Fekhar semble avoir mené son ultime combat avant d'être porté en terre...
A. C.


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