Algérie

L'or et le laiton, leur apparence est la même, mais la noblesse les sépare !*



Publié le 17.08.2023 dans le Quotidien d’Oran
par Cherif Ali

Dans notre pays, il y a ceux qui achètent de l'or. Il y a, surtout, ceux qui vendent le leur pour satisfaire, dans l'urgence, des besoins, souvent, incompressibles !

Leur destination est la même : ruelles de la Basse-Casbah, ou encore la ville de Douéra, pour les endroits les plus connus d'Alger où on s'adonne, frénétiquement, au commerce informel de l'or.

Il y a aussi M'dina Jdida, Trig Syagha, et tant d'autres espaces consacrés, à 100%, à ce commerce, aussi juteux que florissant.

Il y a également cette artère de la rue Ben M'hidi Larbi, où des fiers-à-bras, comme à la criée, lancent, à la cantonade, leur fameux « Cassé ! Cassé ! Cassé !», pour appâter les chalands.

Une fois, me sentant presque interpellé par un de ces gus, qui me lança son fameux «Cassé ! Cassé ! Cassé !» je me suis entendu lui rétorquer « la voix ???» Bien évidemment, il ne comprit pas le sens de ma vanne et partant me conforta quant à son niveau musical qui s'est arrêté, certainement, au dernier tube de Cheb Redouane. En revanche, il m'épata par sa parfaite connaissance du marché de l'or cassé en m'apprenant, déjà, que la tendance est à la hausse des tarifs, notamment à l'achat.

L'or est une valeur sûre et devant cette situation les gens achètent, à profusion, pour ceux, bien évidement, qui ont en les moyens ou ceux qui sont tentés par le blanchiment de leur argent.

Et, parmi ceux qui achètent l'or cassé, il y a les «collecteurs» qui revendent l'or ainsi amassé aux bijoutiers-artisans. Ils prennent, généralement, une commission qui se situe entre 1.000 voire 3.000 dinars par transaction, sauf s'ils ont à faire à un client naïf, aux dépens duquel ils peuvent ramasser plus.

Le tarif de l'or, à travers le territoire national, leur permet d'en prendre connaissance, en temps réel, ceci pour dire leur niveau de maîtrise du marché et des variations boursières qui en découlent. L'or cassé est actuellement coté à près de 9000 dinars le gramme.

Il y a donc ceux qui achètent de l'or et ceux qui, par besoin, vendent le leur, crise économique oblige ! Avec un marché de l'or dans tous ses états, les clients gagneraient pourtant à le connaître avant de s'y investir, d'une manière ou d'une autre.

On parle aussi d'aventuriers « chercheurs d'or », quelques fois de découvertes réelles ou espérées de gisements prometteurs : il y a matière à s'inquiéter compte tenu de ce qui a été affirmé supra et des situations tendues à nos frontières.

L'Association pour la protection et l'orientation des consommateurs et de son environnement (APOCE) veut s'attaquer au marché de l'or.

Selon la page Facebook de l'association présidée par Mustapha Zebdi: « 80% de l'or en circulation sur le marché national ne serait pas conforme aux normes de qualité requise ».

Elle vient, semble-t-il, se replacer dans ce circuit de récupération de l'or, en offrant à ses clients plus de sécurité dans leurs transactions, eux qui se faisaient arnaquer par les prédateurs, voire même par certains bijoutiers indélicats.

Elle propose également sa «discrétion» aux ménages tentés de s'adresser à elle pour monnayer leurs bijoux ou leur or cassé, ce qui n'est pas sans intérêt pour les personnes tenant à leur discrétion, ce que n'offrent pas les collecteurs des artères de la rue Ben M'hidi à Alger, à Oran ou ailleurs.

AGENOR tente, bien sûr, de se mettre au niveau des prix pratiqués par ceux qui racolent les passants, juste devant ses devantures à Alger. Par défi peut-être! Pour ce faire, l'agence a revu ses prix d'achat et de vente de l'or à la hausse. Le gramme pour les ouvrages en or de 18 carats, poinçonné, est cédé à 7500 dinars alors qu'il était à 5500 dinars. Elle rachète également le gramme à 6500 dinars alors qu'à ses débuts, elle en offrait 1700 dinars.

C'est dire le niveau des efforts consentis par cette Agence pour lutter contre ce type de marché informel, pratiqué, au vu et au su de tout le monde, d'Alger à Tamanrasset, en passant par Tlemcen et Tébessa !

Oui, l'or gagnerait à être contrôlé tant dans ses filières de transaction que dans sa traçabilité, car tout ce qui brille n'est pas or !

Beaucoup d'allégations circulent, d'ailleurs, concernant l'or contrefait ou encore l'or et les bijoux, produits de vols et de rapines, et qui atterrissent via les collecteurs et qui sont recyclés dans les échoppes des artisans, situés dans les Casbahs d'Alger et d'ailleurs. Les artisans-bijoutiers retravaillent cet or qui sera, certainement, transformé en boucles d'oreilles, chaînes et autres pendentifs vendus à des jeunes mariés peu regardants sur la qualité ou le carat réel du produit. Ces bijoux seront cédés nonobstant l'absence de poinçonnement obligatoire et là, il y a matière à se questionner sur les services de l'Etat qui sont, normalement, chargés de veiller au bon ordre de cette activité qui baigne dans l'informel et le flou total.

C'est la seule façon que nous avons trouvée pour essayer de gagner notre pain, disent les bijoutiers-artisans, sinon, avec toutes les taxes que nous devons payer, conjuguées aux prix de l'or, nous ne pourrions jamais nous en sortir. Nous sommes obligés de recourir à l'or cassé pour faire tourner les ateliers.

La majorité des bijoutiers et autres «commerçants» comme les «delalate» opérant à travers le territoire national s'approvisionnent auprès du marché informel. Et des pertes causées au Trésor public, ils s'en tamponnent, j'ajouterais même, si cela pouvait faire rire, ils s'en «poinçonnent»!

Concernant l'envolée des prix, ces bijoutiers l'expliquent par la rareté des produits essentiels au raffinage et au traitement du métal aurifère, ainsi que la cherté des équipements (un laminoir, par exemple, coûte plus d'un million de dinars). Le manque d'acide nitrique encourage la triche, puisque certains bijoutiers, sans scrupules, vendent des bijoux de 14 carats au prix de ceux cotés 18 carats. L'autre élément qui concoure à augmenter le cours de l'or est contenu dans la TVA fixée à 12% pour les bijoutiers alors qu'elle n'est que de 6% pour les autres commerçants.

Avec AGENOR, il y a aussi la BDL qui, quelque part, se situe sur l'itinéraire de l'or et essaie, un tant soit peu, d'en réguler le commerce.

Spécialisée dans l'hypothèque, elle offre à ses clients le moyen de gager leur or et leurs bijoux pour pouvoir, éventuellement, surmonter une passe difficile : Aïd, Ramadhan, rentrée des classes, etc., ou une période financière de remboursement de dettes ou autres crédits, avec la possibilité de le récupérer, peut-être, un jour.

Il faut rappeler que les bijoux gagés, pour qu'ils puissent être récupérés un jour par leurs propriétaires ou leurs ayants droit, doivent faire l'objet d'un paiement d'intérêt.

Le prix offert par la BDL a aussi augmenté, puisqu'un gramme d'or, poinçonné celui-là, a été relevé de 500 à 1000 dinars. Les plafonds de prêt ont été fixés à 1500 dinars comme minima et 250.000 dinars maxima, avec un taux d'intérêt de 8% par semestre.

De ce qui précède, il apparaît nettement que le marché de l'or est déstructuré.

Tous les circuits sont gangrenés par une maffia, qui décide du cours. Les réseaux de contrebande se renforcent, de plus en plus, les bijoux en toc ou en plaqué or, vendus comme or algérien, inondent le marché ; leur provenance, l'Italie, Dubaï et la Chine entres autres. La contrefaçon fait des ravages à telle enseigne qu'on ne distingue plus l'authenticité du bijou ou du Louis Napoléon, d'autant plus que certains ateliers, notamment clandestins, utilisent des faux poinçons pour donner à leurs productions un aspect légal et garanti. Les trafiquants de l'or ont, parait-il, réussi à détourner à leur profit une partie de la production aurifère, la « Gold Mining Algeria ».

Cette dernière qui a réalisé une production record estimée à 3,447 onces a battu tous les records. Si l'on ajoute les gisements de Tirek et ceux d'Amesmessa, nous obtenons un niveau de 16,131 onces d'or, soit plus de 0,461 tonne ce qui aurait eu pour effet, pour le moins, de vendre ce produit disponible et le bijou, peu ou prou, adorable. Ce n'est pas le cas.

Nous avons dit maffia locale, il y a aussi une maffia internationale

Elle aurait, semble-t-il, pris les apparences d'une intervention internationale, sous l'égide de l'ONU s'il vous plaît, comme celle qui intervient au Sahel, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, alors qu'en réalité ce qui est visé, ce sont les gisements et les richesses aurifères notamment. Beaucoup de pays d'ailleurs, comme le Libéria, le Congo, le Burundi, le Rwanda et tant d'autres, ont connu des guerres «préfabriquées» et ont vécu des troubles à cause de leurs pierres précieuses convoitées par ces «puissances régionales qui s'inventent des droits d'ingérence» aux motifs inavoués.

Les éléments de la Sûreté nationale ont démantelé, il y a peu de temps, un réseau criminel de trafiquants d'or, composé de 25 individus, dont deux femmes, et saisi pour plus de 330 milliards de centimes d'objets et de fonds.

L'opération a été rendue possible, précise la même source, grâce à une exploitation efficace de renseignements sur cette affaire, et la mise en place d'un plan opérationnel bien ficelé ayant permis la saisie d'objets d'une valeur totale de 330 milliards et 744 millions de centimes. Les saisies consistent en une quantité d'or de plus de 135 kg, 180 kg d'argent dont 140 kg de matière première, lit-on dans le communiqué qui fait état en outre de la récupération de 5 milliards de centimes, 32.000 euros, et le gel de comptes bancaires affichant un solde de plus de 135 milliards de centimes».

Quant au commerce informel, qui est aux mains des maffieux locaux, dont la partie visible de l'iceberg est représentée par les collecteurs, il y a, à mon sens, trois possibilités pour prendre en charge le problème:

1. laisser faire, et dire que les intervenants sur le marché de l'or sont identifiés, connus, comme ceux de la devise qui opèrent tranquillement.

2. réglementer, soumettre les collecteurs à un registre de police.

3. interdire ce commerce informel.

Des trois hypothèses, celle qui comporterait le plus de risque, c'est sans contexte, la troisième!

Et il me vient à l'esprit cet extrait du livre «La martingale» écrit par Abderrahmane Hadj-Nacer et préfacé par Kamel Daoud, que je livre aux lecteurs tel quel :

«Un Algérien qui a longuement fréquenté l'école ne parvient pas à remplir ses fonctions économiques, à acquérir de la valeur sociale et représenter un modèle au sein de sa famille. Avant lui son père, qui a fait la guerre de Libération sans participer à la prédation qui a suivi l'indépendance, a aussi été disqualifié. Du coup, la troisième génération a tiré les leçons de ces expériences et n'accorde que peu d'intérêt aux questions de citoyenneté, de scolarité ou à l'économie formelle. C'est une génération dure, capable de brutalité et de violence, qui n'entend pas être bernée comme l'ont été celles qui l'ont précédée. Sa morale se résume aux célèbres formules de Tag à la men tag ou encore de sans pitié».

Et en l'occurrence, c'est de cette génération-là que sont issus les fiers-à-bras, les collecteurs, que j'ai évoqués en début d'article, qui s'adonnent à ce métier.

Ils vendent du«cassé», eux-mêmes ayant été «cassés» par la vie qui ne les a pas ménagés : études interrompues, chômage au long cours, pas de ressources, et des casiers judiciaires pour un certain nombre.

Beaucoup ne comprendraient pas qu'on veuille «leur enlever le pain de leur bouche» !

*Proverbe sénégalais




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