Algérie

«L’or bleu» La guerre de l’eau a-t-elle déjà commencé ?



«L’or bleu» La guerre de l’eau a-t-elle déjà commencé ?
Publié le 06.04.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Mahmoud Ameur(*)

«En 1965, l’eau était gratuite. Bientôt, elle coûtera plus cher que l’essence.»
(Paul Watson, fondateur de Sea shepherd, groupe d’action directe)
«L’Égypte ne rentrera jamais en guerre dans la région si ce n’est pour une question d’eau.»
(Jamal Abdennasser, ex-Président, Égypte)
«L’Égypte pourrait détruire le méga-barrage éthiopien sur le Nil.»
(Un trublion nommé Donald Trump. Internet France 24 du 24 octobre 2020)
L’article «Risque d’une crise mondiale de l’eau» publié par le Soir d’Algérie du dimanche 26 mars 2023 (auteur R. I.) devrait inquiéter tout le monde (citoyens et gouvernants). Car la pénurie de cette ressource naturelle a un impact direct sur notre alimentation. Lors d’une conférence de presse, Antonio Guterres a tiré la sonnette d’alarme ; il a même précisé que, dans une région du Niger, «on commence à voir des conflits violents liés à l’eau entre certains groupes». La bataille de l’eau va-t-elle prendre des proportions dramatiques ? Un éclairage sur cette ressource naturelle et stratégique s’impose. Pour réaliser cette contribution, il a été nécessaire de s’appuyer sur des dossiers de plusieurs experts dans le domaine de l’hydrologie tels que : 1- Igor A. Shiklomanov, éminent scientifique russe, spécialiste en hydrologie. Ses travaux dans le domaine de l’hydrologie ont été sanctionnés par le prix international dans ce domaine en 2001 AISH/Unesco/OMM ; 2- Jean Margat, scientifique français, spécialisé en hydrologie, expert auprès de la FAO et de l’Unesco ; 3- Adam Cheikh, spécialiste en impact biodiversité, ainsi que d’autres articles liés à la question de l’eau ; les ressources en eau ; le dessalement de l’eau de mer ; ces guerres de l’eau qui nous menacent ; la construction des barrages attisent les tensions «halte aux barrages» ; le droit international de l’eau douce…
Quelle est la situation de l’eau dans le monde ?
L’eau est une ressource naturelle occupant 70% de la surface de notre planète. Or, 97% de cette eau est salée, donc impropre à la consommation. Moins de 3% de l’eau de la planète est douce. Une partie de l’eau douce est aussi bloquée dans les calottes glaciaires et les glaciers. Selon des spécialistes en hydrologie, l’utilisation de l’eau dans le monde s’effectue comme suit : le principal usage de l’eau est lié à l’agriculture (70% de la consommation d’eau douce) ; 8% pour l’usage domestique ; 22% pour l’industrie.
Les industries, disent-ils, consomment beaucoup d’eau. A titre d’exemple, pour fabriquer 1 litre de Coca-Cola, on utilise 70 litres d’eau. 1kg d’acier 80 litres ;1 kg d’aluminium 1250 litres. Pour la fabrication du journal, à l’échelle planétaire et en une seule journée, on doit utiliser 1,4 milliard de litres ! Selon les prévisions de l’ONU, un déficit en eau de 40% est à venir d’ici 2030.

Une distribution inégale
La distribution des ressources en eau douce (sur le plan exclusivement géographique) est très inégale sur notre planète. Les hydrologues affirment que près de 60% des réserves disponibles d’eau douce sont partagées par 9 pays : Brésil ; Canada ; Chine ; Colombie ; USA ; Inde ; Indonésie ; Pérou et Russie. La quantité d’eau disponible par habitant varie grandement d’un pays à l’autre. Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère qu’une population est en stress hydrique si elle dispose de moins de 1 700 m3 d’eau par an et par habitant et en pénurie à moins de 1000 m3 par an et par habitant. Actuellement, la pénurie touche déjà 1,4 milliard d’individus sur terre. On considère qu’en 2025 1,8 milliard de gens vivront dans une situation de pénurie absolue (moins de 500 m3 par an et par habitant) et plus des deux tiers de la population mondiale pourraient se retrouver dans une situation de pénurie. (Sources : FAO. Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture 2014). Les pays qui souffrent d’un manque chronique d’eau sont situés majoritairement au Moyen-Orient, en Afrique, Afrique du Nord et en Asie centrale. Le problème de l’eau se pose aujourd’hui avec acuité en raison de certains facteurs : réchauffement climatique, forte baisse de la pluviométrie, sécheresse… Certains pays, pour contrer ce phénomène, se tournent vers la construction de barrages ou le dessalement de l’eau de mer. Ces deux options ne sont pas à la portée de tous les pays, car, généralement, les technologies de construction des méga-barrages et surtout celles des usines de dessalement sont entre les mains des grandes entreprises étrangères. Il faut donc disposer des moyens financiers. En outre, les constructions des barrages attisent les tensions, les conflits entre pays voisins.

Le dessalement de l’eau de mer
C‘est une méthode permettant de transformer l’eau salée en eau potable. C’est d’ailleurs la solution utilisée par de nombreux pays. On élimine le sel et les autres solides de l’eau de mer ou de l’eau saumâtre. Ces usines de dessalement de l’eau de mer sont devenues opérationnelles à partir des années 60. Il existe aujourd’hui environ 15 906 usines de dessalement de l’eau de mer répandues dans 177 pays. C’est le processus de la distillation ou osmose inverse (système de filtrage de l’eau) qui est le plus utilisé dans le monde. Ce processus est moins coûteux et consomme moins d’énergie : seuls 4 à 5 kWh sont nécessaires pour traiter 1 mètre cube d’eau contre 15 pour le procédé thermique. Il permet aussi de produire de grandes quantités d’eau potable. Mais cette technologie n’est pas sans danger pour l’environnement. En effet, 142 millions de mètres cubes de déchets sont rejetés chaque jour dans la mer. Ces rejets ont un impact négatif sur l’environnement.

La construction des barrages attise les tensions
40 pays (dont la Chine, l’Inde, la Turquie, la Corée du Sud, le Japon, le Brésil, l’Espagne, la Thailande et la Roumanie) ont construit, entre 1950 et 1995, 1600 barrages : «Ce sont donc 1 600 sujets de discorde potentiels sur la planète.» Source : Financial Times cité dans «Halte aux barrages» Courrier International ; novembre 1999. Les barrages sont très utiles : eau potable, irrigation des champs agricoles, production de l’électricité. Toutefois, ils engendrent des conflits entre riverains. «Les barrages peuvent non seulement drainer des perturbations écologiques importantes mais provoquer surtout une intense évaporation en période chaude, ainsi que l’assèchement des fleuves à l’aval si le débit n’est pas suffisant.» Professeur Igor A Shiklomanov. L’assèchement d’un fleuve à l’aval est, semble-t-il, un facteur déterminant pour provoquer des tensions concernant le partage de l’eau et pourrait déclencher une guerre entre pays voisins.

De hauts responsables évoquent la «guerre de l’eau»
Sept hauts responsables (2 anciens chefs d’État, 4 anciens SG de l’ONU et un Premier ministre) parlent carrément de «guerres de l’eau» dans le monde, dans les conflits liés au partage de l’eau.
Des anciens SG de l’ONU ont déclaré :
«C’est l’eau qui entraînera la prochaine guerre au Moyent-Orient.» Boutros Boutros Ghali, alors ministre des Affaires étrangères égyptien en 1985, nommé SG de l’ONU dans les années 90.
«La compétition grandissante pour l’accès à l’eau va très certainement devenir une source de conflits et de guerres.» Kofi Annan, 2001, SG de l’ONU. «La rareté de l’eau peut catalyser les guerres.» Ban Ki-moon , 2007, SG de l’ONU. «L’eau pourrait être un facteur de déclenchement de conflits, comme le pétrole l’était dans le passé.» Wally N'Dow, 1996, SG de l’ONU.
Le Premier ministre de l’Éthiopie, Abiy Ahmed, avait déclaré en octobre 2019, à propos des tensions avec l’Égypte concernant le méga-barrage construit sur le Nil : «Si nous devons entrer en guerre, nous pourrons mobiliser des millions de personnes.» Dans ce contexte, deux anciens Présidents ont tenu les propos suivants :
«L’Égypte ne rentrera jamais en guerre dans la région si ce n’est pour une question d’eau.» J. Abdennasser.
«L’Égypte pourrait détruire le méga-barrage éthiopien sur le Nil.» Un trublion nommé Donald Trump, déclaration rapportée par France 24, publiée sur internet le 24 octobre 2020.

Pourquoi le Nil attise-t-il des conflits ?
La rareté de l’eau entraîne des attitudes conflictuelles entre les pays riverains, à l’exemple du Nil. Les pays riverains du Nil sont : le Rwanda, le Burundi, le Soudan, l’égypte, le Congo, l’Ouganda, la Tanzanie, l’Érythrée et l’Éthiopie. Le Nil (fleuve long de 6 700 km dont 1 200 km dans la partie égyptienne) est issu de la rencontre du Nil Blanc qui prend sa source au lac Victoria (Ouganda, Kenya et Tanzanie) et le Nil Bleu dont l’origine est le lac Tana, en Éthiopie. Les deux fleuves se rencontrent à Khartoum (capitale du Soudan) puis le Nil traverse toute l’Égypte pour se jeter en un vaste delta dans la Méditerranée. Ce fleuve immense alimente ainsi les populations de dix pays. De vives tensions entre l’Éthiopie et l’Égypte sont apparues lorsque l’Éthiopie a construit un méga-barrage d’une contenance totale de 74 milliards de mètres cubes d’eau. C’est le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique, avec une capacité de 6 500 mégawatts. Pour ce pays, cet ouvrage est vital pour répondre aux besoins en énergie de ses 110 millions d’habitants. Pour l’Égypte, le Nil est capital car il alimente la population en eau ; de plus, l’agriculture du pays en dépend à hauteur de 90%.
Le Nil draine en outre une ressource en devises non négligeable pour le pays, car il attire un grand nombre de touristes. Cet ouvrage menace donc directement les intérêts des pays situés en aval : Égypte et Soudan. Pour l’Égypte, c’est donc une question primordiale ; sa sécurité alimentaire en dépend. Le Soudan, quant à lui, craint que cet ouvrage ne provoque l’assèchement de ses propres barrages et ainsi une pénurie en eau potable engendrant des conséquences désastreuses pour le pays (voir ci-dessus assèchement des fleuves à l’aval, Shiklomanov).
Le Soudan et l’Égypte affirment qu’ils détiennent des «droits historiques» sur le Nil et sont les principaux bénéficiaires du dernier traité de partage des eaux datant de 1959. Le traité actuel de partage de l’eau (élaboré en 1929 par le colonisateur britannique) attribue des quotas favorables à l’Égypte (55, 5 milliards de mètres cubes d’eau) et au Soudan (18,5 milliards de mètres cubes d’eau), soit au total 87% du débit du fleuve.
Il octroie en outre au Caire un droit de veto sur tous les travaux susceptibles d’affecter le débit du fleuve. Les autres riverains, Éthiopie, Tanzanie, Ouganda, Kenya et le Congo ont contesté cette répartition. La doctrine de l’Éthiopie repose sur le principe de la souveraineté territoriale : les eaux du Nil Bleu en territoire éthiopien relèvent donc de la souveraineté de l’Éthiopie. Deux conceptions s’opposent donc : droits historiques et principe de la souveraineté nationale. Qui va l’emporter ? Le Soudan et l’Égypte ont décidé récemment de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. Pourquoi ne pas confier ce litige aux autres institutions : Ligue arabe, OUA ?
Un diplomate français (actuellement la présidence du Conseil de sécurité est confiée à la France) a déclaré que ce litige ne relève pas de l’ONU, mais plutôt de la compétence de la Ligue arabe ou de l’OUA. L’Égypte et le Soudan ont «visé haut» en confiant cette affaire à l’ONU, car si ce problème ne trouve pas de solution équitable, la région risque de s’embraser. Le Caire veut ainsi donner à ce différend une dimension internationale. Le partage de l’eau du Nil a été contesté à plusieurs reprises par les riverains. Mais quelle est la réglementation applicable dans ce cas de figure ?

Existe-t-il un droit sur le partage de l’eau douce ?
Le droit international de l’eau est constitué des règles régissant les eaux continentales et notamment les ressources en eau douce. La spécialité relève à la fois du droit international des ressources naturelles et du droit international de l’environnement. Il y a aussi la convention de New York sur les utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation. Cette convention a été ratifiée par 35 États. Il existe aussi la convention d’Helsinki sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (1992). (Source Wikipedia). Toutefois, certains spécialistes de la jurisprudence internationale affirment que cette législation est insuffisante pour régler les différends entre pays concernant le partage de l’eau. Car les pays qui utilisent cette ressource naturelle en amont d’un fleuve par exemple n’ont pas les mêmes intérêts ni les problèmes identiques à ceux situés en aval. C’est le cas notamment du conflit entre l’Éthiopie et l’Égypte. Le Soudan et l’Égypte se basent sur des «droits historiques» sur le Nil (ils exploitent le fleuve depuis l’existence des pharaons) tandis que l’Éthiopie semble se prévaloir de la souveraineté territoriale (les eaux du Nil Beu étant en territoire éthiopien relèvent donc de la souveraineté de l’Éthiopie). Trois doctrines pourtant les plus utilisées (droits historiques ; souveraineté territoriale ; intégrité territoriale absolue) ne semblent pas faire l’unanimité en matière de jurisprudence internationale. Car lorsqu’un cours d’eau est exploité par plusieurs pays, il est parfois difficile de trouver un consensus sur le partage de l’eau. L’utilisation de manière équitable et raisonnable d’un cours d’eau international implique ¬— selon certains juristes — la prise en considération (dans chaque État) des facteurs ci-après : les facteurs géographique ; hydrographique ; climatique ; écologique… Il convient aussi de connaître les populations tributaires du cours d’eau, les besoins économiques et sociaux du cours d’eau des États intéressés… Il faut noter que, dans le conflit avec l’Éthiopie, l’Égypte fait référence à la note E/ECIL.36 de la commission économique pour l’Europe de 1952 qui fait référence au principe des «droits historiques». Finalement, c’est un dialogue de sourds entre les deux pays.
La législation sur les conflits en matière de partage de l’eau douce par les pays riverains prévoit tout de même quelques solutions. En cas de différend, les États concernés doivent engager immédiatement des consultations et des négociations en vue de parvenir à une solution équitable. Si cette démarche n’apporte aucune solution, ils peuvent dès lors recourir à la conciliation ou à l’arbitrage. Si ces deux possibilités (conciliation et arbitrage) n’offrent aucune solution, les pays concernés doivent s’orienter vers la voie judiciaire (Cour internationale de justice).

En guise de conclusion
La guerre de l’eau va-t-elle finalement éclater entre l’Égypte et l’Éthiopie ? Une «guerre du football» s’est déroulée entre le Honduras et le Salvador en juillet 1969 pour la qualification au Mondial 1970 ; alors pourquoi pas une «guerre de l’eau» ? Le Caire enverrait-il ses avions de chasse pour détruire le méga-barrage construit par l’Éthiopie sur le Nil ? Pour rappel, le trublion international Donald Trump avait, en octobre 2019, «estimé que l’Égypte pourrait détruire cet immense barrage» ! Dans un tel cas, le Soudan accepterait-il, sans broncher, que son espace aérien soit violé par son puissant voisin, au risque de se mettre à dos la communauté internationale ? Il reste quand même la voie de la négociation et sur ce plan, l’Égypte a un petit avantage car une commission européenne avait, en 1952, validé ses «droits historiques» sur le Nil. La population égyptienne dépend à hauteur de 90% du fleuve, alors que l’Éthiopie, surnommée «le château d’eau de l’Afrique», est plus avantagée en matière de ressources hydriques (notamment les ressources souterraines). En tout cas, ce «feuilleton» égypto-éthiopien pourrait probablement durer de longs mois avant de trouver une solution (??).
M. A.
(*) Chef de service régional du travail à la retraite, ex-correspondant de presse.

SOURCES
Le Soir d’Algérie du dimanche 26 mars 2023. «Risque d’une crise mondiale de l’eau».
Le droit international de l’eau douce (Wikepidia) ; la convention d’Helsinki sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (1992).
Dossier sur les barrages (assèchement) Igor A. Shiklomanov, spécialiste en hydrologie. «Ressources en eau et utilisation dans le monde». Jean Margat, hydrologue, expert auprès de la FAO et de l’Unesco.
Le droit international réglera-t-il les litiges du partage de l’eau ? Le bassin du Nil et quelques autres cas. Frederic Lasserre et A. 2019 Annatelle Boutet (Études internationales).
Dessalement de l’eau de mer : l’ONU s’inquiète des risques pour l’environnement. Journal La Tribune du 14 janvier, Giuletta Gamberini.
L’eau, l’or bleu. Adam Cheikh, cadre entreprise Kepler Chevreux novembre 2022.
«L’Éthiopie et l’Égypte : un barrage à l’origine d’un conflit», Monde, Perspectives économiques, Marie Tirilly, 2 septembre 2020.
Quel pourcentage d’eau douce est disponible dans le monde ? Blog de l’espace Enrique.
«La construction des barrages attise les haines». Courrier International novembre 1999.
La «guerre du football» (appelée aussi guerre de cent heures) a opposé le Honduras et le Salvador en juillet 1965 (altercations au cours d’un match de football entre les deux sélections). Cette guerre a provoqué 3 000 morts.
Plusieurs autres dossiers sur le thème de l’eau.




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