L'onde commune

On dit que le langage a été inventé la nuit, quand les gens des cavernes ne voyaient plus assez pour communiquer avec des gestes, le lustre de salon n'ayant pas été encore créé. Comme l'écrit, la voix, le son, cette vibration de l'air qui transforme une onde muette en bruit, a façonné les sociétés humaines. En Algérie, cette vibration naturelle est toujours sujette au contrôle, à l'image des radios privées qui n'ont toujours pas l'autorisation d'émettre, contrairement aux chaînes de télévision, déjà installées même sans autorisation. Si le peuple crie, le Président ne dit rien ; Benflis vient à peine de prononcer ses premiers mots depuis 10 ans, Hamrouche ne parle pas, Bekhadem, Ouyahia et Aït Ahmed non plus, contrairement à Louisa Hanoune qui elle, parle, et vient d'appeler le Président à parler.S'il n'y a plus de débat, ni à la radio ni ailleurs, c'est parce qu'il n'y a plus de son ; seul Sellal parle trop, mais certainement pour couvrir le silence des hautes autorités sur le destin du pays. Dans un monde politique muet, la parole est d'or et ce n'est pas par hasard si, dans les rares apparitions télévisées du Président, le son est coupé pour que personne ne puisse entendre ce qu'il dit. L'image est devenue banale, démultipliée par les différents écrans qui nous entourent, téléviseurs, moniteurs, tablettes et téléphones. Et si l'on peut facilement faire un montage d'images pour expliquer que l'Algérie va bien dans son paradis artificiel, il est plus difficile de faire un montage son pour faire dire au Président ce que l'on veut lui faire dire.Après tous les bouleversements technologiques et sociétaux, c'est le son qui est resté sensible, ultime ligne de démarcation entre ceux qui disent et ceux qui se taisent, ceux qui n'ont rien à dire et ceux qui ont tant de choses à dire et ne disent rien. D'ici avril, l'Algérie va peut-être devoir importer des décibels. En silence.