Algérie

l'ode des premières nations



Les Amazighs font partie de ces «premières nations» qui ont émergé et essaimé sur terre. À l'instar des Indiens d'Amérique, des Amérindiens, des tribus asiatiques et autres populations africaines, les Amazighs font partie et sont issus de ces chasseurs-cueilleurs qui ont traversé les steppes, remonté les cours d'eau, franchi les montagnes, affronté moult éléments naturels, survécu à différents prédateurs pour enfin se sédentariser, se séculariser de façon dynamique et renouvelée en usant d'artifices ingénieux pour lutter et survivre face aux différentes menaces: guerres, épidémies, désordres telluriques, etc. Nul besoin d'aller chercher une origine chez les Vikings, au Yémen ou encore dans une hypothétique construction intellectuelle obéissant à des instincts négativistes et négationnistes. La culture amazighe reste une culture première en ce sens qu'elle s'articule avec la nature. Ses préceptes, ses codes sont intimement liés aux origines et aux mouvements d'une organisation défiant l'espace et le temps. Nullement destinée à l'origine à être confinée à un espace territorial donné, la culture amazighe, aujourd'hui, est centrale dans des territoires délimités par des Etats nations. Des îles Canaries, aux confins de l'Egypte, des pourtours de la Méditerranée occidentale aux lisières du Sahara et du fleuve Niger, la culture amazighe a imprégné durablement des communautés humaines aux aspects nombreux et variés. Elle est porteuse de la seule et unique richesse qui vaille: celle de la race humaine! Loin de l'exotisme et du «folklorisme» dans lesquels certains veulent l'enfermer, la culture et la langue amazighes sont détentrices d'une unité, d'une cohérence qui n'a rien n'a envier à d'autres langues et à d'autres cultures. Organisée sous forme de groupes ou de tribus, elles n'en constituent pas moins autant de «républiques» veillant à garantir la stabilité, la pérennité, la transmission d'écosystèmes qui aujourd'hui font école! Les rapports sociaux, l'urbanisme, les modes et comportements alimentaires, la gestion des conflits, la régulation économique sont autant d'enseignements empreints de modernité tant ils en appellent aux fondements environnementaux, aux fondamentaux du respect de l'espèce humaine et de la nature.Des valeurs universelles
Le respect, le partage, vecteurs de liberté et d'égalité sont le moteur d'un fonctionnement démocratique où l'injustice n'a pas sa place. Ainsi, les Amazighs, littéralement «hommes libres», ont une conception innée de la dignité et de l'Etat de droit et imposent respect et reconnaissance de la personne humaine. Ainsi l'Anaya, l'Harma, Taddukli sont autant de principes et de valeurs morales, parmi d'autres, qui imposent ce droit naturel inaliénable, rempart absolu face aux injustices et à l'arbitraire du pouvoir quel qu'il soit. Ainsi, Thilleli (la liberté) a toujours été un élément consubstantiel de leur être et un droit bien avant l'apparition des philosophes dans le monde gréco-romain ou encore dans le foisonnement de l'Europe des Lumières. Au fil des siècles, s'est ainsi constitué un droit original où droit naturel et droit juridique se sont complétés de façon «révolutionnaire». À tel point que, tour à tour, Karl Marx et Frantz Fanon en ont pris de la graine.! Au coeur du monde amazigh, on retrouve en permanence une dualité régénératrice: l'insoumission et le désir de justice. Déjà, le système matrinaire fondé sur la connaissance du monde sauvage et invisible déléguant aux femmes, le pouvoir et l'égalité, était la règle. Ses héritières, d'Antinea à Tin Hinan en passant par Lalla Fadhma n'Soumer et Djamila Bouhired reprirent le flambeau du combat contre toutes les intolérances. La Djemaâ ou la Confédération des archs sont la continuité démocratique d'un écosystème où le citoyen est reconnu et respecté. À ce terreau démocratique viennent s'ajouter la permanence et la transmission des savoirs, l'intégration du rythme des saisons avec le calendrier agraire, la mythologie, une spiritualité libératrice qui jalonnent une identité forgée dans un processus historique à l'épreuve du temps. Ainsi, Yennayer au plus profond des âges, vient rappeler régulièrement aux Amazighs et à l'univers,le nécessaire renouvellement de la nature, l'éclosion d'un nouveau monde, l'entrée dans une nouvelle période vouée au travail, au bonheur, à l'amour, à la prospérité. Balayées par le vent, rafraîchies par la rosée, illuminées par la lumière céleste, les portes de la nouvelle année s'ouvrent. S'y engouffrent, l'impétuosité des enfants, le chant des femmes, l'orgueil des hommes; pour claironner haut et fort: bienvenue et que la joie demeure! À mi-chemin de Dujamber (décembre) et de Fura (février) auquel il a emprunté une journée, Yennayer s'étale pendant 3 jours et 3 nuits pour célébrer la nouvelle année: Aheggi (les préparatifs), Tisewiqt n'yennayer (marché de Yennayer), Imensi'n yennayer (le dîner du réveillon amazigh), Tibura usegas (les portes de la nouvelle année). Rituels d'initiation, invocations de divinités amazighs protégeant la nature et les hommes, pensées pour les exilés, les voyageurs, les malades, les démunis;Yennayer réconcilie le païen et le sacré, le prosaïque et le divin. On fait ainsi appel à Anzar, le dieu de la pluie, Bayada, le dieu de la fête et de la joie, Warin le dieu du bonheur, Amnar le dieu des Saints de la mythologie berbère et surtout, Africa, déesse amazighe ayant donné son nom au continent et dont Tseriel et Loundja héritières mythiques, rebelles et protectrices, continuent de régner sur l'invisibilité.
Tamazight reconnu dans son pays
Plurimillénaires, la culture et les traditions amazighes ont traversé les siècles, intégré et accepté toutes les influences païennes, juives, chrétiennes, musulmanes, etc. Aujourd'hui, nombre de rites religieux actuels recouvrent un substratum amazigh. Alors que la religion est adoptée, la culture elle, est transmise de générations en générations. C'est pourquoi, les Amazighs du monde entier, quelle que soit leur religion ou leur non-religion, leur courant de pensée, leur mode de vie, sont attachés à leur substantifique moelle, à la préservation de leur ADN et suivent ce précepte «Azar itavaâ Azar» (les racines suivent les racines). L'identité et la culture amazighes ne sont une menace pour personne et c'est pourquoi aucun Amazigh ne tolérera qu'elles soient à leur tour menacées, inquiétées, discriminées, persécutées. Phéniciens, Romains, Byzantins, Arabes, Européens, Eurasiens ont tour à tour envahi les contrées amazighes sans jamais coloniser l'esprit libre d'une culture universelle qui, aujourd'hui, ne demande qu'à être reconnue, respectée, transmise.
Les Berbères ont donné au monde nombre de savants, de philosophes, de reines, de rois, de dirigeants, d'intellectuels, d'écrivains, de chefs d'Etat, d'artistes à travers la planète. Pourtant, ils sont soit confinés dans les poubelles de l'Histoire, soit versés comme pertes et profits des régimes dictatoriaux où d'empires hégémoniques. Aujourd'hui, la langue amazighe est reconnue nationale, voire officielle dans nombre de pays, mais à beaucoup d'égards, cette reconnaissance dans certains Etats relève du baiser du serpent: je t'aime tellement que je vais t'avaler. Un étouffement programmé qui réduit progressivement les espaces naturels d'épanouissement de la culture amazighe. Réduite au folklore en attendant qu'elle soit un vestige visité par les touristes en mal d'animaleries et de bouffonneries. Pourtant, la culture et la langue amazighes sont profondément modernes. Yennayer est là pour nous le rappeler. L'environnement, l'écologie, l'économie durable, le régime méditerranéen, la lutte contre le réchauffement climatique et l'avancée des déserts, l'égalité homme-femme, la sécularisation, les mobilités nécessaires, la lutte contre le gaspillage, le respect des écosystèmes, etc. En ouvrant les portes de la nouvelle année, nous créons les conditions de notre renaissance. En se débarrassant des pensées funestes, l'optimisme guide nos pas vers le changement. Nous ensemençons une nouvelle réalité et décrétons la paix sur Terre. Enfin, célébrer Yennayer, c'est vouloir faire de notre monde le meilleur qui soit.


Nacer Kettane
*Membre honoraire du Conseil économique, social et environnemental
Président fondateur de BEUR FM
Secrétaire général fondateur de l'Institut de recherche, d'innovation et de prospective méditerranéen


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