Après
l'intervention de l'OTAN en Libye, une question, oubliée depuis l'élection d'Obama, hante les esprits : quelle sera la prochaine cible
américaine? La Syrie
ou l'Iran ? Il y a encore peu, les peuples arabes, pensant à Ben Ali et à
Moubarak qui avaient cédé devant des mobilisations populaires, s'interrogeaient
: à qui le tour ? Mais aujourd'hui, ce sont les états-majors militaires des
grandes puissances qui ressortent les vieux plans impérialistes, rangés dans
les mêmes tiroirs poussiéreux que les cartes de l'accord Sykes-Picot.
Le printemps
arabe est venu, en effet, donner du crédit au droit d'ingérence dont BHL,
philosophe aux heures de grande écoute, a ressorti l'étendard, comme les
monstrueux attentats du 11 septembre avaient permis à Max Boot,
éditorialiste du Wall Street
Journal, de soutenir qu' « une dose d'impérialisme est peut-être la meilleure
réponse au terrorisme », décomplexant ainsi ceux qui ne tarderaient pas à
évoquer les « bienfaits de la colonisation ». Dans un contexte où beaucoup sont
prêts à sauter la case ONU pour aller directement à la case guerre, les
remontrances américaines, anglaises et françaises sur la manière dont a été
assassiné et outragé Kadafi ne doivent donc pas être
prises pour une esquisse d'autocritique mais plutôt comme une précaution
tactique. Ces Etats, ne veulent surtout pas se voir associés à ce qui ressemble
à un crime de guerre, laissant craindre le pire. Et comme disait Bernard
Kouchner, parlant de l'Iran, « le pire, c'est la guerre ».
Accueilli en
messie, annonçant la paix éternelle et la fin l'unilatéralisme, Obama ne marche pas sur l'eau. Il s'avère même, lui aussi,
déterminé par les seuls intérêts de l'Amérique. C'est ainsi que l'UNESCO se
voit privée de financement pour avoir accepté l'Etat de Palestine en son sein.
Retour à l'ère Reagan ? Juste avant, nous avions eu droit à la colère des
Etats-Unis, au conseil de sécurité, face au veto russe et chinois contre une
résolution qui ouvrait la voie à une intervention militaire contre la Syrie. Remake de la
guerre froide ? Cependant l'époque où l'Occident convoquait les valeurs du
monde libre contre le totalitarisme soviétique est révolue. Cette fois, comme
en réponse à Sarkozy qui remerciait les Libyens de rejoindre un Occident
démocratique, les indignés d'Europe et du monde ont transformé un millier de
places à travers la planète en autant de places Tahrir,
prenant les Egyptiens comme modèles. La guerre en Libye semblant finalement
contrarier quelques projets, on agite une tentative d'assassinat de
l'ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, imputée au régime iranien. Le monde lui
accorde, cependant, le même crédit que les accusations de détention d'armes de
destruction massive par le régime irakien. Mais tout en éprouvant pour Ahmadinedjad le même dégoût que pour Saddam Hussein, on se
rappelle que les manifestations mondiales en faveur de la paix n'avaient pas
empêché l'invasion de l'Irak.
Les activistes d'Occupy Wall Street
risquent, malgré tout leur enthousiasme, de s'égosiller, eux aussi, sans
détourner Washington de ses plans. Surtout, comme l'écrit Akram
Belkaid dans le Quotidien d'Oran : «il est possible
que l'apathie du monde arabe, et ses divisions, durant l'intervention de l'Otan
en Libye ont convaincu les stratèges américains qu'une action militaire contre
l'Iran ne déclenchera pas de protestations populaires de grande ampleur. Ce
serait-là une conséquence pour le moins paradoxale du Printemps arabe ».
C'est dans une
atmosphère très va-t-en guerre que - tel Caton l'Ancien qui commençait chacun
de ses discours par « il faut détruire Carthage»- Benjamin Netanyahu ouvre
chaque séance du gouvernement israélien par : il faut détruire Téhéran. Las, le
président Shimon Peres vient de se prononcer en
faveur de l'option militaire. Enfin, tandis que le général israélien Eyal Eisenberg mettait en garde,
en septembre, contre la possibilité d'une «guerre globale et totale» avec un
possible recours à des armes de destruction massive, Newsweek révélait que le
président Barak Obama avait offert en secret à
Israël, il y a deux ans, 55 bombes anti-bunker. Des armes demandées par Tel Aviv depuis longtemps et que même Bush avait refusées.
C'est inquiétant, d'autant qu'on apprend que les USA, Israël et des pays
européens (parmi ceux qui ont voté contre l'adhésion de la Palestine à l'UNESCO ou
se sont abstenus) viennent de mener, au large de la Sardaigne, des exercices
aériens pour des attaques de longue portée. The
Guardian rapporte que Washington planifierait une frappe contre Téhéran.
Le rapport de
l'Agence internationale pour l'énergie atomique sur le programme nucléaire
iranien, qui sera rendu public ce 8 novembre aurait sur ce sujet «une influence
décisive» explique, sur un ton anxieux, le quotidien britannique, dont on
imagine le journaliste déjà affublé d'un tablier de plomb pour se protéger des
radiations.
L'ambassadeur de
France à l'ONU a lui aussi prévenu que l'Iran s'exposait à une attaque
préventive s'il poursuivait son programme nucléaire. Il récitait un mantra
élyséen, en reprenant les termes utilisés, fin août, par le président français
décidé à mener une campagne militaire en lieu et place d'une campagne
électorale. On est en attente des breaking news sur
CNN.
Israël qui
continue à jouer la victime absolue vient d'intercepter deux navires
humanitaires en route pour Gaza. Mais qui pouvait encore penser échapper à un
abordage face à un Etat qui détient le triste record mondial des dépenses
d'armement par habitant ? A cause d'Israël et de la politique américaine, la
région est livrée à une folle course aux armements. C'est toujours ça de pris,
se disent les marchands de canons américains qui ne négligent aucuns profits
par ces temps de crise. L'Arabie Saoudite, avec des dépenses militaires
atteignant 16,3% de son PIB, devance l'Inde et le Brésil qui aspirent à accéder
au Conseil de Sécurité de l'ONU et disposent d'une industrie de l'armement.
Pour le moment les armes saoudiennes servent surtout à soutenir la répression
au Bahreïn, avec le silence complice d'El Jazeera. Le
Koweït, Oman et le Qatar, dont l'aviation et les forces spéciales sont
intervenues en Libye auprès de l'OTAN, pardon du CNT, ne sont pas en reste
puisqu'ils consacrent respectivement 9,8%, 10% et 11,7 % de leur PIB en achat
d'armes devant l'Iran qui n'y consacre « que » 7,5% de son PIB. Pourtant ce
pays est présenté comme le péril. Cette menace justifierait, en plus des bases
américaines qui encerclent l'Iran, le déploiement militaire français à Abou Dhabi, provoquant, dans la presse parisienne, un étrange
débat sur la possibilité de faire usage de l'arme nucléaire pour soutenir ce
lointain et minuscule allié. Le transit d'un sous-marin israélien par le canal
de Suez avait jeté la lumière sur les projets d'agression. Depuis la chute de
Moubarak, tout en ayant eu le bon goût de faire, légèrement, évoluer sa
politique internationale, l'Egypte paraît toujours faire partie d'un front qui
n'est pas seulement défensif. Tout comme la Turquie, qui accueille le bouclier anti-missile
américain et participe à isoler Damas, allié de Téhéran, ce n'est pas sa
position par rapport à Israël qui est significative mais bien celle par rapport
à Gaza tenue par le Hamas, allié de l'Iran. Mais
l'Egypte est angoissée. En 2009, son ministre des Affaires étrangères lançait
une mise en garde : «Si le monde arabe se trouve pris entre le marteau et
l'enclume (Israël et l'Iran), il devra se chercher un bouclier.» La réponse à
cette demande est parvenue à l'opinion publique par le New York Times qui a
révélé que « Washington déploie des navires spécialisés Aegis
au large des côtes iraniennes ainsi que des intercepteurs de missiles dans
quatre pays : le Qatar, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Koweït. Ils
négocient également avec Oman. » De leur côté, l'Egypte et les Emirats-Arabes-Unis prévoient d'acquérir de nouveaux
sous-marins. Comme Israël, même si- pour preuve définitive d'esprit critique et
en réponse à la colonisation en Cisjordanie - l'Allemagne annonce qu'elle ne
livrerait pas de sous-marin à l'Etat hébreu.
En effet, outre
les soupçons de fabrication de l'arme nucléaire et ses capacités balistiques,
pour contourner la suprématie aérienne israélienne, l'Iran est considéré comme
une menace en raison de l'achat de sous-marins russes capables de bloquer les
détroits où transitent 40 % du pétrole mondial… si on ne détecte pas les
pétarades de leurs moteurs diesel au démarrage. En effet qui peut,
raisonnablement, se faire des illusions sur les moyens militaires réels de
l'Iran ? Les plans des mollahs risquent d'être à peine moins imparables que
ceux du maître du Tigre et de l'Euphrate. Surtout que Moscou bloque la
livraison de ses fameux missiles S-300. Au final, c'est encore la société qui
paiera un prix qui sera d'autant plus cruel qu'on aura crédité l'Iran de
capacités militaires exagérées.
Sans revenir sur
le fait qu'Israël dispose de l'arme atomique, et que la meilleure manière
d'assurer la non-prolifération passe par son désarmement, il faut rappeler que
l'Iran n'est pas le seul pays de la région qui développe un programme
nucléaire. Égypte, Arabie saoudite, Émi¬rats arabes
unis, Bahreïn, Jordanie : l'un après l'autre, ces pays ont annoncé ou envisagé
la relance de leurs programmes nucléaires civils, et les États-Unis, la France ou la Russie, ont tous, avec
empressement, proposé leur expertise.
L'Égypte a été la
première à franchir le pas en réactivant un programme suspendu après l'accident
de Tchernobyl. Vous pouvez ranger vos comprimés d'iode, aucun soupçon ne se
porte sur ces programmes ! Et, bien que l'Iran soit accusé de vouloir
militariser le sien, aucune preuve n'a été apportée.
Face aux menaces
contre ce pays, le représentant du Mouvement des Non Alignés, remonté au front
en même temps que l'impérialisme, avait envoyé une lettre à l'AIEA - la
pressant d'accepter une résolution intitulée « Interdiction de toute attaque
armée contre des installations nucléaires sous contrôle de l'AIEA,
opérationnelles ou en construction.» En fait, il existait déjà une telle
résolution suite à la destruction par Israël du réacteur de recherche construit
et approvisionné en combustible par les Français sous contrôle de l'AIEA en
1981 à Osirak, en Irak. Décryptage : même un
renoncement de l'Iran à l'enrichissement ne le prémunirait pas d'une attaque.
La résolution 487
du Conseil de Sécurité avait alors condamné le bombardement et proclamé que
«conscient du fait que l'Irak est partie prenante du Traité de Non
Prolifération d' Armes Nucléaires depuis qu'il est entré en vigueur en 1970,
que, en conformité avec ce traité l'Irak a accepté les clauses de sauvegardes
de l' AIEA sur toutes ses activités nucléaires, et que l'agence a certifié que
ces sauvegardes ont à ce jour été appliquées avec satisfaction; condamne
fermement l'attaque militaire par Israël - en violation claire de la Charte des Nations Unies et
des normes de conduite internationale; exige d'Israël de s'abstenir dans le
futur de tels actes et de telles menaces; de plus considère que l'attaque
mentionnée constitue une menace sérieuse à la totalité du régime de sauvegarde
de l'AIEA. » Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle car nous savons ce que
font Israël et les Etats occidentaux des résolutions de l'ONU.
Avec une
brutalité qui dément son attachement au bien du peuple iranien, Hillary Clinton
exige des « sanctions traumatisantes » contre Téhéran. Or, selon une tradition
peu réjouissante apparue ces vingt dernières années, les sanctions sont souvent
un prélude à une guerre. En instaurant un « équilibre de la terreur » au
Moyen-Orient, l'Iran risquerait de provoquer un bouleversement stratégique. On
peut donc supputer que la neutralisation de ce pays ne répondrait pas
exclusivement à l'exigence de respect de la légalité internationale, qui sert
de feuille de vigne aux États occidentaux, voire même au souci de la non
prolifération atomique, mais relèverait d'impératifs moins nobles : sécuriser
la position américaine au Moyen-Orient, et, au-delà, la mainmise sur les
réserves d'hydrocarbures de l'Asie occidentale et le contrôle des nouveaux
oléoducs stratégiques en construction depuis l'Asie centrale, une des
motivations de l'intervention américaine en Afghanistan et en Irak. Par
ailleurs, disent des experts, l'Iran disposant de réserves pétrolières et
gazières importantes, mais qui sont surtout destinées à la Chine et à la Russie, le contrôle de ces
sources d'énergie serait comme une épée de Damoclès brandie contre deux états
émergents qui défient l'hégémonie globale des Etats Unis. Et, cerise sur le
gâteau, un Iran qui exporterait son pétrole et son gaz en Occident ouvrirait
l'opportunité aux pays d'Asie Centrale d'avoir des débouchées autres que... la Chine et la Russie. Par ailleurs
l'Iran représente la plus forte concentration industrielle de la zone qui va du
sud de l'Europe aux confins de l'Inde.
La réussite de sa
stratégie valoriserait sa politique d'autosuffisance technologique et
militaire, de la même manière que chaque succès politique ou militaire de la
résistance libanaise ou palestinienne réhabilite la fermeté face à la
finlandisation des esprits en cours dans le monde arabe. «Notre premier
objectif est de dissuader les Iraniens» de s'en prendre à leurs voisins, a
déclaré l'administration américaine. «Le deuxième est de rassurer les Etats
arabes afin qu'ils ne se sentent pas obligés de se procurer eux-mêmes l'arme
nucléaire. Mais il s'agit aussi en partie de calmer les Israéliens», dit-on à
Washington. Alors même qu'Israël perd son statut de relais des Etats-Unis - ce
qui est injuste après tant de bons et loyaux services doit-on penser du côté de
Tel aviv - le succès iranien entraînerait la
désintégration de l'option arabe de vassalisation à l'ordre américain,
déterminant du coup la nouvelle hiérarchie des puissances dans l'ordre
régional. C'est moche mais cette option reste, elle aussi, inacceptable pour
les USA.
Pour nourrir ses
ambitions mondiales l'Amérique reste dotée de la première armée. Avec un budget
de plus de 650 Mds, une part mondiale de 42%, et une
croissance décennale de plus de 240 Mds (+66 %), les
USA sont les champions de monde toutes catégories et loin devant le second (en
l'occurrence la Chine
dont le budget ne représente « que » 5,8% de la part mondiale). Surtout, les
Etats-Unis ont mis au point des plans de bombardement spécifiques pour l'Iran,
a depuis longtemps indiqué le général Petraeus. Une
dépêche de Reuters reprenant les dires du Lieutenant Général Mark Shackelford, officier le plus haut gradé de l'armée de
l'air, précisait que l'armée américaine voulait même accélérer la production de
10 à 12 bombes Bunker Buster géantes en 2010. «Ces
achats vont au-delà de celles nécessaires pour tester leur capacité... en
d'autres termes l'armée cherche à construire un petit stock de 10 à 12 bombes.»
L'entreprise de mercenaires Blackwater ne l'ayant pas
encore totalement remplacé, le ministère de la défense avait auparavant demandé
au Congrès US d'inscrire au budget 2009, 68 millions de $ pour hâter la
fabrication de ces bombes conventionnelles MOP ayant un pouvoir d'explosion
plus de 10 fois supérieur à la bombe de génération précédente. Un exposé Powerpoint avait dû permettre d'expliquer que la MOP est «la mère de toutes les
bombes», conçue pour pénétrer à 60
m de profondeur avant d'exploser, là où se trouveraient
les installations nucléaires iraniennes.
Le président Obama a paru fixer le cap de sa stratégie iranienne à
l'occasion de la session spéciale du Conseil de sécurité qu'il a présidé, et
durant laquelle était inscrit le problème du désarmement nucléaire et de la
non-prolifération.
Avec le discours
du Caire - ich bin ein egyptian - s'était le temps
de la main tendue et du soft power. Mais, aujourd'hui, cette main est
visiblement dans un gant de fer. Et, alors qu'il recevait son prix Nobel de la
paix, le propos d'Obama portait sur les guerres
justes, affirmant ainsi que rien ne le détournerait de ce qu'il devrait faire.
Le journal Le Monde rapportait, par ailleurs, que dans un discours sur l'état
de l'Union, le Président américain n'avait consacré que huit minutes - sur soixante-dix-à la politique étrangère. Il n'avait pas
mentionné le conflit israélo-palestinien, relégué dès 2010 au second rang. Il
n'a pas non plus cité la Chine,
si ce n'est pour donner en exemple ses trains à grande vitesse. Mais sur
l'Iran, M. Obama a eu un commentaire remarqué,
promettant aux dirigeants iraniens des «conséquences croissantes». Le président
américain a commencé par sauver les banques, bien qu'il ait été élu contre
elles. Alors qu'il est au plus bas dans les sondages et que son prochain mandat
est en jeu, on peut craindre qu'il fasse aussi le job en Iran, oubliant qu'il
avait été élu pour mettre fin aux aventures militaro-impérialistes
de Bush.
Gérard Duménil et Dominique Levy du CNRS
avaient expliqué, il y a quelques années, le lien entre néolibéralisme et
néo-militarisme, en se livrant à la critique du néo-conservatisme. La nouvelle
stratégie militaire des Etats-Unis répond à des motivations politiques, elle
aussi, mais on doit également l'appréhender en relation avec la situation
économique. En dépit de la crise financière, et peut être même à cause d'elle,
on peut dire que la tentation d'un conflit est réelle pour les Etats-Unis.
Au pire, le monde
financera la prochaine guerre, et sa conduite le convaincra qu'il a intérêt à
continuer à financer le niveau de vie des américains. Le nouveau cours
militaire qui s'articule à une promotion de l'islamisme « modéré » comme le
montrent les exemples libyen et tunisien, doit être saisi comme une composante
du système général de l'hégémonie américaine, une forme de néo-keynésianisme
impérial. Même s'il prend parfois les accents de Martin Luther King, Obama ne fait qu'un rêve : un nouveau leadership !
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Posté Le : 10/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Yacine Teguia
Source : www.lequotidien-oran.com