Algérie

L'internet libre à l'assaut des lobbies



L'internet libre à l'assaut des lobbies
Les pères fondateurs de l'internet puis du web doivent s'arracher les cheveux devant le débat suscité par les dernières mesures prises à Bruxelles et Washington pour préserver le sacro-saint principe de la neutralité de l'internet, qui demeure, avec l'autre principe sacré de l'interopérabilité, le fondement de base de l'avènement de l'internet comme réseau universel, accessible à tous depuis n'importe quel point de la planète et dédié à la circulation et à l'échange des données. « La neutralité du Net ou la neutralité du réseau est un principe devant garantir l'égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Ce principe exclut par exemple toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau », peut-on lire dans le chapitre dédié à cette question par l'encyclopédie en ligne Wikipédia qui nous apprend également que « Tim Wu, professeur de droit à l'université Columbia à New York, a popularisé le concept de neutralité de la Toile (Net Neutrality) dans un article paru en 2003 et intitulé Network Neutrality, Broadband Discrimination ». L'encyclopédie note par ailleurs que devant les possibilités techniques offertes depuis le début des années 2000, d'une gestion sélective, selon le contenu des fichiers transportés, susceptible de déboucher sur un traitement discriminatoire des flux de données, « d'importants débats politiques ont lieu depuis le début de la décennie 2010 pour décider si ce principe doit être garanti par la législation. » C'est ce qui vient justement de revenir sur la scène médiatique ces derniers jours avec la publication du rapport du Berec, organe européen des communications électroniques qui, à l'issue d'une large consultation, vient de retoquer une décision prise par Bruxelles sur la neutralité de l'internet.La consultation engagée au début de l'été est similaire à celle effectuée par la FCC, l'autorité de régulation des communications aux Etats-Unis, pour recueillir le maximum d'avis et de positions avant de donner un avis sur la question. La campagne n'a pas été vaine dans la mesure où elle a suscité un engouement important, traduit par la participation de plus de 480.000 internautes. « Cela a été compliqué de traiter ces demandes, mais nous avons rapidement pu identifier les contributions qui émanaient de différentes campagnes et qui se recoupaient, ce qui nous a permis d'isoler les arguments portés par ces différentes contributions », déclare un administrateur du Berec, cité par le site zdnet.fr. Au bout du compte, deux avis ont émergé, diamétralement opposés sur la question de la neutralité de l'internet. Le journaliste de ce site résume ainsi les avis antagonistes : « Les opérateurs appelaient à des règles souples et flexibles dans la gestion du trafic et des services afin de ne pas limiter les investissements, tandis que les militants de la société civile espéraient des prises de position claires et fortes afin de protéger les internautes face aux éventuels abus. Du côté de la société civile, les associations ont donné de la voix, avec notamment une lettre adressée au Berec par plus de 70 associations qui s'inquiètent des implications des mesures envisagées par l'Europe, notamment sur trois sujets épineux. D'abord les fameux services spécialisés tant demandés par les fournisseurs d'accès, qui consistent à sortir un service du flux internet ; l'enjeu, selon le site www.nextinpact.com, serait d'« éviter qu'un opérateur facture à une entreprise le passage par un canal séparé pour obtenir un avantage sur ses concurrents ». L'autre sujet sensible pointé par la société civile est le « zéro rating » ; « Pratique de certains FAI consistant à proposer, en général dans le cadre d'offres de téléphonie mobile, un accès gratuit à certains sites ou certaines applications spécifiques. La consommation de données hors de cette offre spécifique est payante. Ce type de discriminations tarifaires permet au FAI ou à un fournisseur de services de privilégier un accès vers un service spécifique », lit-on sur le site https://wiki.laquadrature.net. Une pratique susceptible à ses yeux de laisser apparaître des distorsions dans la concurrence. Enfin, la gestion du trafic sur internet, que la société civile souhaite voir réduit au minimum. Bruxelles ayant introduit dans ses directives la notion de « gestion raisonnable du trafic », les associations craignent l'émergence de pratiques discriminatoires à l'égard des contenus véhiculés sur le net.Pour leur part, les opérateurs des industries télécoms européens ne sont pas restés les bras croisés, et notamment fait connaître leur point de vue dans un manifeste publié durant l'été passé. Leur démarche assimilée par les observateurs à une véritable campagne de lobbying, a été l'occasion pour eux de dire ce qu'ils attendaient de l'Europe pour relancer l'investissement dans la 5G. « Dans ce document de sept pages, révélé par le Financial Times, ils exposent leur plan de développement de la 5G en Europe, la prochaine génération de réseau très haut débit mobile, attendue pour 2020, relève le site français www.challenges.fr, qui ajoute qu'ils avaient comme condition pour cela « que Bruxelles assouplisse les règles de la neutralité du Net, ce principe fondateur qui interdit aux opérateurs télécoms de bloquer ou ralentir certains types de trafic Internet, sauf exception (décision de justice, etc) », écrit-il. A ceux qui demandent pourquoi lier la technologie de 5G à la neutralité du réseau internet, les opérateurs télécoms répondent : « La 5G permet de créer différentes tranches de réseau au sein d'une même infrastructure, avec différents niveaux de performances adaptées aux différents types de services (voitures connectées, santé, etc.). Ce que ne permettrait pas le cadre actuel de la neutralité du Net », argumente un porte-parole d'Orange, repris par challenges.fr qui note que « sur les sept pages du manifeste, le terme « vertical » apparaît 29 fois pour désigner les différents types de services et d'industries qui devront bénéficier de la 5G ». Les gros groupes des industries télécoms européens vont jusqu'à ce, a averti le Berec , « que les lignes directrices actuelles sur la neutralité du net, telles qu'établies par le Berec, créent des incertitudes significatives concernant les retours sur investissements relatifs à la 5G, indique ce site, soulignant que ces opérateurs « se montrent même très explicites, menaçant de freiner tout investissement dans la 5G si les régulateurs n'assouplissent pas leurs positions ». Le site relève en effet un passage explicite du texte publié par les opérateurs de télécoms européens dans lequel il est clairement dit que « les investissements sont susceptibles d'être retardés, à moins que les régulateurs ne prennent une position favorable à l'innovation ». Cela n'a pas empêché le Berec de rééquilibrer le texte adopté par Bruxelles, offrant une « victoire inespérée pour la neutralité du Net en Europe, Internet est sauvé ! », titre le site du quotidien d'information gratuit français 20minutes.fr, qui juge qu'au moment où « le Parlement européen avait capitulé face aux lobbies, laissant la porte ouverte à de nombreuses dérives sur la neutralité du Net, en octobre 2015, le groupe des régulateurs a rectifié le tir, mardi », en promulguant des directives claires, engagées en faveur de la neutralité du net : « Les fournisseurs d'accès à Internet devront traiter tout trafic de la même manière, sans discrimination, restriction ou ingérence », indique son texte. La société civile a, dans l'ensemble, bien accueilli cette position du Berec même si certains estiment qu'il y a encore des zones d'ombre qu'il faut éliminer pour garantir durablement le droit à la neutralité du net. Le Berec promet en tout cas de revenir sur la question d'ici l'été prochain, en se réservant le droit de retoquer les directives de Bruxelles.Le même combat est rapporté par la presse ces derniers temps de l'autre côté de la rive atlantique, où la FCC tente elle aussi de faire respecter le principe de la neutralité du net, en recourant à la justice qui cette fois lui a donné raison. « Une cour d'appel américaine vient de donner raison au régulateur américain des télécoms face aux opérateurs, rapporte le site www.nextinpact.com dans un papier mis en ligne le 15 juin dernier, ajoutant que les règles strictes de la FCC sur le principe de neutralité « ont passé l'épreuve du feu, tant promise par les groupes télécoms. Ces derniers analysent les recours possibles à cette décision ». La justice américaine vient donc de donner raison à la FCC et de consacrer la légalité de la neutralité du Net, et ce, en réponse à une action en justice menée par le groupe d'opérateurs télécoms US Telecom qui « avait attaqué le texte de la FCC en mars 2015, arguant que la commission n'a pas l'autorité suffisante pour imposer des règles strictes aux fournisseurs d'accès Internet », lit-on sur nextinpact.com. Le texte adopté par la FCC tend à mettre les FAI au même rang que « des opérateurs téléphoniques classiques, avec de nombreuses obligations supplémentaires », note ce site qui souligne parmi ces obligations, le fait que « les opérateurs ne peuvent pas discriminer les utilisateurs ou le contenu, encore moins pour des raisons commerciales ». Les opérateurs n'ont pas tardé à monter au créneau pour menacer de s'attaquer à ce texte dénonçant les contraintes lourdes imposées à un secteur qui, disent-ils, ne demande qu'à innover. Ils ont par ailleurs demandé à être considérés au même titre que les fournisseurs d'accès ou de services, demandant ainsi « à la FCC d'enquêter sur les pratiques de Netflix, qui limitait volontairement le débit disponible sur certains réseaux mobiles », relève nextinpact.com qui mentionne la réponse négative réservée par la FCC à cette requête au motif « que ces opérateurs ont une place centrale dans la vie numérique des internautes, en voyant passer l'ensemble de leur trafic, donc de leurs données. Ils méritent donc une régulation spécifique ».Devant la position ferme affirmée tant par la justice que par la FCC, les lobbyistes américains ont promis de se retourner vers les parlementaires pour les amener à changer le statut et le fonctionnement de l'autorité de régulation.Il est vrai que l'autorité de régulation des télécommunications américaines est traversée par des courants politiques qui font que sa réaction devant la décision de justice n'a pas été unanime. Son président Tom Wheeler, ainsi que deux commissaires du parti démocrate ont effectivement applaudi la décision, saluée comme une victoire des consommateurs et une fin d'une lutte légale qui a duré longtemps. De l'autre bord politique, deux commissaires affiliées au parti républicain ont manifesté leur désapprobation. « La décision de la cour d'appel est plus que décevante, mais j'attends un appel devant la Cour suprême, donc cette opinion n'est pas définitive », déclare le républicain Michael O'Rielly, repris par le site nextinpact.com qui rapporte d'autres de ses propos selon lesquels « la justice vient de donner les clés d'Internet à la FCC, sur la base de craintes injustifiées pour la concurrence ». Un autre commissaire républicain, Ajit Pai, juge pour sa part que « les règles de la FCC enferment le secteur dans des monopoles naturels, en empêchant de petites entreprises d'innover ».


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