Algérie

L'interdit envahit l'économie



L'économie algérienne n'est plus épargnée par l'interdit, qui devient une religion.

En une semaine, trois informations séparées ont montré, jusqu'à la caricature, l'engrenage dans lequel a plongé l'économie algérienne, en raison de l'absence de projet, de l'inertie institutionnelle et des séquelles de ce qu'on a pompeusement appelé le patriotisme économique. C'est d'abord le conseil des ministres qui a sonné la charge, en adoptant un amendement à la loi sur la monnaie et le crédit. L'objectif visé à travers ces nouvelles mesures est de protéger l'économie algérienne et d'introduire davantage de transparence. Le résultat obtenu sera très différent, car le nouveau dispositif tend en fait à verrouiller davantage le secteur bancaire, jusqu'à le paralyser. Ce qui montre clairement qu'on peut souhaiter une chose, et prendre des mesures qui aboutissent à un résultat inverse.

 Le nouveau dispositif impose aux investisseurs étrangers de rester minoritaires dans tout projet de création de nouvelle banque. Autant dire que les partenaires étrangers sont désormais exclus du marché algérien, car aucun banquier n'acceptera d'apporter ses capitaux et son ingénierie pour s'associer avec un partenaire algérien dont le seul argument est sa nationalité. Et comme le scandale Khalifa a rendu impossible l'émergence de nouvelles banques privées algériennes dans les dix ans qui viennent, autant dire que le secteur financier et bancaire algérien est gelé jusqu'à nouvel ordre.

 A priori, ceux qui sont déjà installés peuvent se frotter les mains. Ils disposent d'un marché ultra protégé, où l'argent coule à flots. Mais une épée de Damoclès pèse sur eux. Certes, une voix officieuse, celle de M. Abderrahmane Benkhalfa, président de l'Association des Etablissements bancaires (ABEF), a précisé que les banques déjà installées ne seront pas concernées par le nouveau dispositif. Mais elles ne peuvent pour autant disposer librement de leurs capitaux. De nouvelles dispositions leur interdisent de céder leurs actifs sur le marché international. L'Etat algérien garde un droit de préemption sur ces actifs s'ils sont mis en vente.

 Politique économique ou démarche anti-Orascom ? Toutes ces mesures semblent avoir été décidées en représailles contre Orascom, qui a bénéficié de facilités outrageantes pour investir dans la téléphonie et acheter des cimenteries, avant de revendre une partie de ses biens pour s'en aller ailleurs. Pire : les déclarations d'impôts de l'entreprise égyptienne ont révélé une fraude immense, s'élevant à 580 millions de dollars.

 Les responsables de l'économie algérienne se sont sentis grugés dans l'affaire. Ils ont riposté en bons bureaucrates, en prenant les mesures qui empêchent une nouvelle arnaque de type Orascom. Mais leur effort de réflexion n'est pas allé très loin : ils ont décidé de tout interdire ! Ainsi, le conseil des ministres a décidé d'interdire la revente aux étrangers de biens acquis auprès de l'Etat : «c'est la jurisprudence Orascom», commente un analyste. «Orascom a acheté des cimenteries à bas prix pour les revendre à Lafarge, en empochant un joli pactole. On veut donc à la fois punir Orascom et éviter des arnaques similaires. Et comme on ne sait pas trop comment faire, on a recours à l'arme absolue, la seule qu'on maîtrise : on interdit tout, quitte à paralyser l'économie».

 En fait, ces interdits appliqués aux banques ont déjà été mis en place pour les autres secteurs, depuis la fameuse loi de finances complémentaire de 2009, qui obligeait les partenaires étrangers à s'associer à des Algériens. Le résultat, attendu, est là. Les investissements étrangers ont baissé de près de 60 à 80 pour cent au premier semestre 2010, selon l'Observatoire de l'investissement et des partenariats en Méditerranée Anima-Mippo. Et encore ! Ces chiffres n'ont de signification que si on précise que les investissements les plus importants, dans le pétrole, se maintiennent, ce qui signifie que ceux destinés aux autres secteurs de l'économie sont littéralement écroulés.

 Au final, le bilan des démarches prises dans le cadre de la politique du «nationalisme économique» est affligeant. L'investissement étranger s'écroule, l'investissement national n'arrive pas à décoller en raison des blocages de toutes sortes. Et quand le gouvernement se rend compte que la machine est toujours grippée, il ne fait que ce qu'il sait faire : verrouiller davantage, en élargissant le champ des interdits. Mais ça, on le savait depuis longtemps : plus on interdit, plus on a besoin d'interdire. Les régimes totalitaires le savent. Les régimes théocratiques aussi. Mais aucun pays n'a réussi à bâtir le bonheur de son peuple sur une chaîne d'interdits.








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