Algérie - Revue de Presse

L?être parfait de l?air du temps une chose est sûre, les hybrides se reproduisent comme des rats, si vite et si dangereusement. Mais qui est donc cet être qui se manifeste d?abord par sa fausseté, son inculture et le mensonge qui frôle le paranoïa ? Reprenons à notre compte quelques définitions banales de l?hybride. Le dictionnaire Larousse ne dit que des bribes, mais très importantes : du latin, hybrida, de sang mêlé. Le mulet est un hybride de l?âne et de la jument. D?une nature composite, mal définie. Sur le plan médical, on retrouve le terme : hybridome qui veut dire une cellule issue de la fusion de deux cellules différentes, lymphocite et cellule cancéreuse. Une première constatation, dans toutes ces définitions abrégées une chose qui revient à chaque fois ; il s?agit bien d?un être à deux étages même sur le plan médical. C?est une création artificielle. C?est ça l?hybride, une substance sans forme et sans visage. Sa relation avec l?entourage est déterminée par ses premières fausses cellules. Rien n?entrave les désirs d?un hybride qui deviennent des vérités absolues ; dans les cas extrêmes, des délires. Il se voit important dans toutes les sphères du pouvoir et exige la reconnaissance, responsable, directeur, et peut être ministre pourquoi pas. Rien ne l?empêche d?y croire jusqu?à toucher le summum de l?hystérie. Il est là, là-bas, partout et au même moment. Il développe un discours qui va dans le sens des décideurs. Il est écrivain quand l?écriture miroite ses désirs ; il est moderniste quand la modernité lui offre l?intégration parfaite dans le système qui l?a généré. Il haït de toutes ses forces la pensée généreuse et humaine. C?est un carrefour de tous les déchets culturels. Balancer vers l?antipode de ses convictions est la chose qu?il pratique sans aucun remords, ni aucune hésitation. Embrasser l?islamisme ne l?inquiète pas tant que celui-ci offre garanties et assurances. Le marxisme est dans sa poche et il est plus libéral que le vent. Il est le dur fervent de l?arabisation, mais avec un tour de magie, il se métamorphose, un bon francophone ou un gentil anglophone ou même un germanophone, aucune importance, tant que la langue est signe de modernité et non un moyen d?améliorer la pensée. Il est même capable de « créer » dans une langue qu?il ne connaît pas ou peu. A quoi bon s?encombrer par trop de langues ? C?est sans grande importance, puisque les amis sont là pour jouer le rôle des nègres secrets et attendre gentiment leurs cachets à la fin de chaque correction. Mais les gens le sauront tôt ou tard ? Pas très important. A force de forger, on finit par devenir forgeron. Il haït haut et fort tout ce qui ne va pas dans le sens de ses rêves. On l?insulte, il se tait. Il ne faut pas entraver les décideurs qui peuvent lui faire appel à tout moment ni brouiller leur visibilité par de faux problèmes. L?hybride est capable d?embobiner tout son entourage, même les plus proches, avec son savoir-faire et il faut beaucoup de temps pour que les gens s?aperçoivent du subterfuge. Une intelligence ? C?est plutôt une médiocrité de bas étage. Il lèche les bottes pour arriver. Oui, les bottes sentent parfois du parfum, dit-il aux plus proches, en plus, elles sont fabriquées chez nous. Une fois sur le piédestal, sa mémoire se ferme comme une rose métallique, il oublie vite son entourage pour s?intégrer dans le nouveau. Capable même d?oublier les querelles d?un ennemi d?hier et se placer à son diapason, pourvu que ça rapporte. Etre remarqué par les décideurs est fondamental dans sa vie, quitte à harceler la télévision par des fax, gagner la sympathie des journalistes. Ses sens travaillent à régime complet, H 24. Il entend même le bruit d?une mouche qui annonce le départ d?un gouvernement et l?arrivée d?un autre ou d?un pétard à Oran ou Annaba pour dire qu?on veut à sa tête. Il est même capable d?inventer un kidnapping pour se faire remarquer ou même plastifier sa propre voiture pour déclarer, le lendemain, que les ennemis de l?Algérie le guettent constamment, même si la veille il avait partagé avec eux un dîner ou une bonne tasse de café. La visibilité est sa vie. L?esprit du carnaval l?emprisonne. Une question qui revient à chaque fois qu?il s?agit de l?hybride, comment a-t-il fait irruption dans notre culture ? Pourquoi revient-il aujourd?hui avec force ? Ce qui est sûr, c?est qu?il n?est pas tombé du ciel. Il est le fruit amer de la fusion de toutes les maladies de la société et les déchets de la pensée universelle. Ses assises viennent fondamentalement de l?école et de ceux qui l?ont pensée. Il est plus une finalité d?un processus qu?une fatalité ? Le système éducatif a produit un hybride qui sévit dans tous les secteurs politiques, économiques et culturels. Pourtant, on est en droit aujourd?hui de poser cette question : au nom de quoi ou de qui l?écolier algérien n?a-t-il pas le droit de lire ce que le roman arabe a produit de plus beau, sous la plume d?un Mouloud Mammeri, Hanna Mina, Sanaâ Allah Ibrahim, Kateb Yacine ou un Yasmina Khadra ? Pourquoi l?enfant algérien n?a-t-il pas le droit de découvrir ses langues et son histoire ? Pourquoi lui interdit-on d?apprendre que le premier roman universel est né dans son pays sous la plume d?un des siens, Latin, au deuxième siècle : Lucius Apuleius (Apulée) ? Pourquoi l?Algérien n?a-t-il pas le droit de savoir que des artistes de renommée ont vu naître leurs chefs-d??uvre en Algérie ? Les écrits de Camus ou les toiles de Delacroix, de Matisse et d?autres... Au nom de quoi ou de qui, l?Algérien n?a-t-il pas le droit de savoir qu?une partie de la Mukaddima d?Ibn Khaldoun a été rédigée dans la grotte de Frenda ? Au nom de quelle peur, un Syphax, un Massinissa n?ont-ils pas leur place dans notre histoire ? Au nom de quel idéal, l?Algérien n?a-t-il pas le droit de connaître sa chanson judéo-arabe à travers les voix d?un cheikh Raymond de Constantine, d?une Alice Fitouci, d?une Temmar, d?une Line Monty ou d?une Reinette l?Oranaise ? Et j?en passe. Voilà comment notre système est arrivé à la perfection dans la pratique de la médiocrité qui ne pouvait en finalité qu?engendrer cette création hybride. Une ombre molle, sans conviction ni état d?âme. Une girouette qui suit la direction de tous les vents. Il ne s?oppose à rien et glisse aisément à travers les mailles du filet. Lorsqu?un gouvernement saute, il n?a aucun mal à se replacer, il lui suffit d?adapter son nouveau discours aux attentes du nouveau venant. S?il manque une ambassade, on le retrouve ministre. S?il perd une direction, il est déjà dans les bureaux du nouvel arrivant. C?est un homme de non-lieu. Peu sûr de lui, il s?abrite derrière la dissimulation. Plein de suspicion, puisque tout lui porte ombrage. Avec tout le courage qu?il laisse paraître, la peur se lit dans ses yeux, peur du lendemain, peur de la disgrâce, mais aussi peur de la vacuité de cette masse faisant office de cerveau et qui lui pèse dans la tête. Il demeure inamovible, alors que les gouvernements changent. Sans boussole, ni compas, il s?oriente facilement vers le pôle du pouvoir et de l?argent. L?hybride ne s?investit jamais, mais il ne manque pas une seule occasion de se retrouver propulsé en haut du piédestal. Il se fraye un passage dans l?histoire et avance à reculons. Il se range toujours du côté du discours archaïque dominant qui ne lui coûte rien. L?hybride gagne toujours, quitte à se perdre. Les formes et les formules du genre prêt-à-porter lui rendent service. Tu parles de modernité, il a la réponse d?intégrisme ; il te fait de l?ombre. Très empirique dans sa démarche vers la dérive. Son discours valse dans tous les sens, mais cache très mal son archaïsme et sa stupeur de la modernité. Prenons la technique que l?Europe a produite, dit-il, mais méfions-nous de la pensée laïque et aliénante qui la sous-tend. Pas de problème. Il est toujours possible de cuisiner la modernité à la sauce de l?archaïsme même s?il en résulte la négation de soi. L?hybride est le produit d?un processus historique et même plus, puisqu?il véhicule un paradigme à l?intérieur duquel tous les phénomènes de l?esprit sont liés d?une façon organique. L?éclatement des systèmes de la pensée archaïque montre au moins une chose : non seulement ils ne sont plus tolérables, mais ces systèmes ne sont même pas rentables. L?égocentrisme, l?hermétisme linguistique et l?obsession identitaire sont les miroirs aveugles derrière lesquels se cachent tous les projets de l?hybride. L?hybride est la finalité d?un projet raté ou d?un rêve avorté. Il est seulement le fils parfait de l?air du temps.