L'intellectuel arabe est aux prises sérieuses avec son passé, sa langue, sa culture. Enfin, tout ce qui a trait à la tradition qu'il s'évertue à réformer pour une meilleure mise à niveau avec la modernité sans y être en porte-à-faux. Il analyse sa société souvent en crise entre la tradition et la modernité exigée par l'ère technologique à laquelle appartient le monde arabo-musulman bon an mal an. Il ne peut s'y soustraire ni l'occulter. Sa démarche - ou tout au moins sa tentative - est d'être la dynamique qui permet, à sa nation, de rattraper le peloton des nations avancées et les sociétés organisées. Là, il se heurte à un écueil de taille : sa négativité par les systèmes politiques. L'intellectuel se voit condamné à assignation à résidence. Son capital cognitif, dans les régimes totalitaires, doit servir le Pouvoir établi en lui prêtant «serment d'allégeance». Ce qui accentue son désarroi parce qu'il se trouve coincé entre l'immobilisme du système et la stagnation, voire la régression de sa société. Or, son objectif est que sa parole aie un poids et son action - si cela lui est possible - une consistance. Ce que refusent, par crainte, les pouvoirs publics. Ils veulent faire de lui «l'acteur pensant et, en même temps, l'objet pensé.» (1) En tant que «sujet pensant», l'intellectuel lit l'Histoire en aval de son sens et non à sens pluriel. C'est ce qu'on peut appeler l'historicisme qui explique les liens établis des vérités humaines. Ce qui ne va pas sans incidence avec les politiques qui veulent le maintenir dans son rôle éternel d'élève docile et eux (les politiques) les maîtres sans qu'ils n'aient aucune action créatrice pour combler ou rattraper le retard cumulé. D'où, le statut de l'intellectuel à l'intérieur de sa société est, à la fois, politiquement, socialement et même culturellement perturbé. Il se veut une autorité morale, il se voit ravalé à un simple instrument de propagande. Il veut être un intellectuel libre, l'État fait de lui un intellectuel organique détaché totalement des préoccupations de ses compatriotes pour s'atteler à légitimer des Pouvoirs sans assises populaires. Il se trouve, ainsi, dans une position inconfortable qui n'est pas la sienne car, il considère que l'héritage socioculturel est plus traditionnalisant (salafiste) que moderniste comme s'il (l'héritage) est coupé de la réalité universelle et de la vérité historique. Si les dirigeants voilent la positivité de l'Histoire actuelle, c'est pour justifier le devant de la scène qu'ils occupent au moyen d'un blocage politique. C'est, en somme, l'arbre qui veut représenter virtuellement la forêt. Alors que «l'intellectuel est réellement la Qibla [sanctuaire] du progrès et des lumières dans le monde arabe.»(2) Parfois, les intellectuels arabes sont victimes de campagnes de dénigrement par leurs Pouvoirs respectifs accusés d'être les vassaux de l'Occident impérialiste et aliénés par le capital. Abdallah Laroui considère, pour sa part, que «l'aliénation arabisante (médiévalisante) [...] la pire des toutes les campagnes menées depuis tant d'années [...] contre l'aliénation occidentalisante ne sert qu'à camoufler un retard culturel qui ne cesse de grandir.»(3) le Pouvoir limite les horizons des intellectuels et définit la politique culturelle. Ce qui explique que l'école, et particulièrement l'université, sont les instruments des Pouvoirs, même si des avancées démocratiques (?) sont constatées dans certains pays arabes comme l'Algérie. Autrement dit, on n'a jamais entendu un intellectuel de renom tel que El Qaradhaoui, à titre d'exemple, reprocher aux États arabes leurs abus. C'est une des raisons que les plateaux de télévisions arabes lui accordent des plages horaires avec la bénédiction des Pouvoirs. De pareils intellectuels, considérés comme organiques, n'exercent pas une forte emprise sur la société. Ce qu'il faut, aujourd'hui, c'est une réelle «Nahdha» arabe qualitative pour une véritable émancipation politique si on veut mettre, définitivement, un terme à la déliquescence endémique dont souffre le monde musulman depuis des siècles. Pour ce faire, il est impératif de reconsidérer le Savoir et la Science et leurs détenteurs. Faute de quoi, on continue à perpétuer allègrement les voies suicidaires de la régression de toute la nation arabo-musulmane. Les classes dirigeantes, plus enclines à défendre leurs acquis que l'intérêt de leurs peuples, doivent cesser de considérer le discours intellectuel comme «un aventurisme verbal» mais plutôt comme «un chevalier de la plume.» Comme le fait, justement, remarquer Noureddine Toualbi : «Dans ces paysages politiques fermés où tout est minutieusement régenté, il n'est plus d'intellectuel toléré et [...] valorisé.»(4). Tous les intellectuels libres pensent qu'une rénovation d'une foi pensante donnera un nouveau lifting à la nation arabe entière. Par contre, le maintien de l'actuel statu quo favorise fatalement sa régression. Ainsi, la libéralisation de la pensée peut enclencher une émancipation positive de notre société. De ce fait, l'Islam cessera d'être «Islam-politique» générateur de violence pour redevenir, comme par le passé, «Islam-science». Il faut rappeler que le conservatisme organique n'est pas toujours de bon aloi. Cependant, y a-t-il une voie de salut ? Bien sûr, si la volonté politique de la trouver existe. Pour ce faire : - Il faut cesser le dirigisme politique, cultuel et culturel sur l'intellectualité. - Revaloriser socialement et politiquement le Savoir et le Savant. - L'élite intellectuelle doit se constituer en corps organisé, c'est-à-dire en classe scientifique. - Elle doit être consultée pour émettre son avis sur tout ce qui a trait aux grandes décisions du pays à l'instar des sociétés organisées et développées. m Cette élite doit se rencontrer périodiquement sous forme de séminaires et/ou congrès pour faire le point et échanger leurs expériences et leurs compétences comme il se fait dans les pays technologiquement avancés. Si la société arabe persiste dans son immobilisme, la mission de l'intellectuel devient très difficile (voire impossible) à accomplir si le dirigisme politique continue à peser sur lui de tout son poids. Il n'a pas l'intention de réinventer sa civilisation ni sa culture. Elles sont là et elles lui préexistent. Il souhaite tout simplement les actualiser pour amorcer une perestroïka arabe afin de mener sa nation à bon port, c'est-à-dire vers une modernité où l'universalisme nous assiège avec sa mondialisation qui est en train de se faire avec ou sans nous. L'université est le fer de lance pour réaliser ce projet. L'enseignant-chercheur est sa cheville ouvrière en tant que concepteur d'idées qui vont dans l'intérêt de la nation et la nation seulement. La plupart des découvertes, médicales, technologiques et autres, que l'on utilise dans la vie courante, ont vu le jour dans les laboratoires universitaires et non dans les hémicycles parlementaires. Aujourd'hui, l'intellectuel arabe est malheureux de voir sa société vivre une forme «d'infra-modernité». Même s'il est l'âme de sa société où elle puise l'énergie pour sa réhabilitation, que peut-il devant des Pouvoirs hégémoniques et imperméables à toute idée de progrès ? Dans ce cas précis, l'hibernation des arabes - sociétés et régimes confondus - a encore de belles saisons devant elle. Intellectuels arabes, réveillez-vous et unissez vos idées pour la construction de l'Unité Arabe à l'instar de l'Unité Européenne.
*Docteur ès lettres Université de Chlef
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Posté Le : 04/10/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohammed Guétarni*
Source : www.lequotidien-oran.com