Algérie

L'intellectuel et l'émeutier


Le silence des intellectuels face aux soubresauts, aux émeutes et aux expressions violentes sporadiques de la société est un phénomène particulièrement étonnant. N'ont-ils rien à dire nos clercs, dont le silence prend une épaisseur abyssale ? Face à des manifestations brutales et apolitiques, l'opinion est en mal d'explications et de propositions. Cette absence des intellectuels est particulièrement ressentie dans un contexte où les politiques sont confinés à la pure représentation, alors que ceux qui ne figurent pas au rôle officiel se murent dans une distante réserve. La situation est en effet difficile à déchiffrer et les perspectives encore plus difficiles à définir. Que faire, que penser face à des explosions subites et violentes dénuées, en apparence, de toute dimension politique et qui posent pourtant d'évidentes questions de cette nature ? Il est clair que le mode d'exercice du pouvoir et les formes de représentation font partie de l'énoncé du problème. Encore faudrait-il que des voix se fassent entendre pour en démonter les mécanismes et exposer les alternatives. Sommes-nous condamnés à ces moyens de contestation ? Depuis plusieurs années, l'émeute est la règle: les manifestations de désespoir, d'anarchie, de destructions gratuites, de vol provoquent la peur. La seule réponse apportée est le durcissement des mesures de maintien de l'ordre et l'établissement d'un climat caractérisé par la méfiance vis-à-vis des jeunes et des manifestations populaires. Il est essentiel pour la résolution des crises, pour l'éclairage de tous que l'intelligentsia nationale s'exprime dans la diversité des opinions et des points de vue pour que tous nous puissions discerner les options et débattre en toute conscience des alternatives possibles à l'émeute. La violence spontanée qui occupe de manière récurrente les rues de nos villes et de nos villages apparaît comme un phénomène purement algérien. En effet, nul autre pays, quel que soit le régime politique, ne semble vivre la fréquence et l'intensité de ces bouffées de destructions gratuites. Et pourtant, peu de contributions sérieuses de nos chercheurs, analystes ou universitaires viennent tenter d'éclairer nos lanternes désemparées. Nos intellectuels ne seraient-ils plus que des consultants ? La disparition des médiations traditionnelles et l'inefficacité avérée de celles installées sous l'impulsion de l'administration expliqueraient-elles à elles seules ces explosions à répétition ? Les prétextes au déclenchement de cette colère aveugle et autodestructrice vont du plus sérieux, logement, adduction d'eau..., au plus secondaire, l'issue d'un match de football. Comment expliquer qu'un résultat sportif puisse induire la mise à sac d'une ville toute entière ? On le sait, les manifestations de dépit de supporters frustrés créent ailleurs des problèmes très localisés et ne concernent que quelques centaines de personnes particulièrement excitées. Dans les logiques d'abandon qui sont la marque de fabrique de la gestion sociale, les émeutiers, les harraga sont les premières victimes de l'incurie. Seraient-ils aussi les victimes de l'indifférence de ceux qui possèdent un savoir ? Ceux-ci n'ont-ils pas un devoir d'expression ? Dans nos traditions, être lettré et instruit induit une responsabilité à l'égard de la société, vis-à-vis de laquelle ils restent redevables. On semble l'avoir oublié.
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