Algérie

L'institution militaire face à ses responsabilités



Devenue seul pôle audible et visible du pouvoir politique, l'armée est à la croisée des chemins : ?uvrer à la satisfaction des revendications de la rue ou miser sur l'essoufflement du mouvement. Chacune des deux options aura ses conséquences.Le mouvement citoyen du 22 février n'a rien laissé, ou presque sur son passage. Aucune once de légitimité aux institutions constitutionnelles qui ne sont plus en mesure de se poser, même faussement, comme interlocuteur de la rue. À présent, ni la présidence de la République, ni le gouvernement, ni, encore moins, les deux Chambres du Parlement ne sont à même, aux yeux des citoyens, d'engager un quelconque processus de règlement de la crise. Il ne reste plus que l'institution militaire qui, pour des raisons à la fois historiques et politiques, à rester capable, aujourd'hui, de servir d'interface à la rue. On le voit, le pouvoir ne s'exprime plus que par la voix du commandement de cette institution. On peut donc affirmer qu'elle incarne désormais le pouvoir. On le vérifie encore mieux par ce dialogue à distance entre la rue et l'armée. La journée du mardi est devenue ainsi le rendez-vous national pour l'expression de l'institution, en écho aux messages et revendications lancés les vendredis de mobilisation citoyenne. Mais dans cet échange périodique qui paraît destiné à se poursuivre à l'infini, le chef d'état-major semble accepter ce rôle. Une énorme responsabilité puisqu'il s'agit de répondre aux exigences de la rue qui ne cède rien et qui, mieux encore, fait monter ses revendications d'un cran, semaine après semaine. Cette hausse du niveau des demandes populaires est aussi alimentée par les tergiversations du commandement de l'armée qui tente tantôt de rassurer sur la satisfaction de l'ensemble des aspirations du peuple, tantôt de signifier une fin de non-recevoir aux manifestants qui les expriment en les qualifiant d'irréalistes ou d'irréalisables.
L'armée, devenue le seul pôle audible et visible du pouvoir politique, est donc à la croisée des chemins. Répondre favorablement aux revendications de la rue que le chef d'état-major a maintes fois qualifiées de légitimes porterait l'institution au panthéon de l'histoire. Dans le cas contraire, elle serait comptable d'un échec ou d'un détournement réfléchi de cette révolution inespérée. La déception qui naîtra de ce revers sera inéluctable et probablement fatale pour le pays. Plus de deux mois après l'entame de ce formidable élan révolutionnaire, la rue commence à douter du répondant du pouvoir. Dévoyer ou anéantir la marche du peuple vers un meilleur avenir, à coups de man?uvres dilatoires ou de manipulations, ou encore en travaillant à son essoufflement, reviendrait à miser sur l'incertitude, voire le péril. L'expression pacifique du ras-le-bol des Algériens pourrait, si cette occasion est ratée, s'exprimer à terme, mais d'une autre manière. Même si la chute de Bouteflika, de son gouvernement, le recul sur le 5e mandat, l'annulation de l'élection présidentielle, la démission de Belaïz?, ont été salués par la rue, il n'en demeure pas moins qu'elle reste toujours attentive à l'évolution de la situation. Les affaires en justice intentées à certains hommes d'affaires, probablement conçues comme une réponse à même de faire croire à une louable intention, ne sont surtout pas pour rassurer la rue. Cette dernière dénonce "des cabales" qui s'apparentent à des règlements de comptes. Même les couvertures médiatiques réservées à ces arrestations semblent avoir été orchestrées.
À ce qui s'apparente à une cabale judiciaire dont l'objectif est, peut-être, d'amadouer la rue, s'ajoute fatalement, cette insistance du chef d'état-major à imposer l'application de l'article 102 de la Constitution dans toute sa rigueur, sans prendre en compte le cri des millions d'Algériennes et d'Algériens à l'accompagner, d'une part, par "le départ de tous" et, de l'autre, par des décisions politiques responsables et salvatrices. C'est dire que l'armée, via son commandement, s'est mise, encore une fois, en situation de devoir porter une énorme responsabilité. Elle est appelée, ainsi, à gérer une nouvelle période cruciale pour le pays. Encore une. Saura-t-elle le faire une bonne fois pour toutes, avant de retourner à ses missions constitutionnelles ' Tel est son challenge.

Mohamed Mouloudj


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