Algérie

«L'inflation est liée à la dépense publique» M'hamed Hamidouche. Docteur en analyse économique



-Après avoir imputé à plusieurs reprises la hausse de l'inflation à la déstructuration du marché, le gouverneur de la Banque d'Algérie (BA) a indiqué, jeudi dernier, que l'Algérie a subi un «choc d'inflation que les économistes expliquent de diverses façons». Serait-ce, selon vous, un aveu d'échec '
On doit d'abord revenir à la définition classique de l'inflation. L'inflation est le déséquilibre cumulatif et la disparité entre le taux de croissance de la production nationale et la liquidité monétaire à la disposition des agents économiques.
De facto, il s'agit là d'un problème lié à l'augmentation de la liquidité détenue par les agents économiques. On peut classer les agents économiques en trois catégories : les ménages, les entreprises et l'Etat. Les habitudes de consommation des ménages n'ont pas changé de manière significative.
Au sein des entreprises, il n'y a pas de gros investissements. Il reste donc un seul agent, qui est l'Etat, qui distribue un revenu à travers les salaires de la Fonction publique, les dépenses d'équipement mais aussi, à cause des décisions prises lors des tripartites, l'augmentation du SNMG. Une situation qui pouvait être anticipée par la Banque centrale puisqu'elle est informée comme tout le monde de l'augmentation du budget, mais elle compte aussi au sein de ses structures du conseil de la monnaie et du crédit et de la commission bancaire des représentants du ministère des Finances.
La BA devait donc anticiper pour trouver des solutions, et ce, dès 2008, alors que les statuts particuliers étaient en négociation et que la dépense de l'Etat commençait à augmenter à vive allure. Je devine que le problème de la Banque centrale n'était pas tant le contrôle de l'inflation, mais l'impression d'une telle quantité d'argent.
-Les responsables de la Banque d'Algérie affirment que celle-ci a pris un train de mesures pour limiter l'inflation à travers l'augmentation des réserves obligatoires des banques et à travers les reprises de liquidités sur le marché interbancaire. Quant à l'open market, ils estiment que c'est un outil qu'on ne peut utiliser dans une situation de surliquidité des banques. Quel est votre commentaire à ce propos '
Le problème réside dans la prédominance du secteur informel. Aussi, quelle que soit la décision prise par la Banque centrale, l'impact qui en découle est difficilement évalué. Le problème posé par l'informel ne concerne pas tant les activités des petits détaillants, mais bien les quantités de monnaie fiduciaire accumulées dans ce secteur informel et qui circulent hors du circuit bancaire. En Algérie, l'informel domine 60% de la sphère économique. Et c'est vraiment difficile de dire que les mesures prises par la BA pourront suffire à réguler et contrôler l'inflation. Un autre problème subsiste. Lutter contre l'inflation reviendrait à limiter la croissance. La maîtrise de l'inflation nécessite des modèles statistiques liant les changements des taux directeurs à l'évolution de la croissance du PIB et l'impact sur le chômage.
-On comprend donc qu'il est difficile, dans les conditions actuelles, de lutter contre l'inflation. Néanmoins, quel est l'impact de celle-ci sur les ménages '
On doit séparer l'effet sur le crédit d'un côté et sur la consommation de l'autre. L'inflation donne des avantages aux emprunteurs, mais elle porte préjudice aux ménages pour ce qui est de la consommation. L'augmentation des salaires et des revenus booste dans un premier temps la consommation. Le marché va automatiquement juguler le déséquilibre créé entre l'offre et la demande par une hausse des prix. En tout état de cause, les ménages à bas revenus sont touchés par l'inflation. Les ménages ayant bénéficié d'une hausse des revenus vont vite déchanter lorsqu'ils se rendront compte qu'ils ont perdu leur pouvoir d'achat. Là, les travailleurs monteront au front de la contestation pour redemander des augmentations de salaires et l'on reviendrait, à ce moment-là, à la case départ.
-Qu'en est-il de l'impact sur l'économie réelle '
L'augmentation des revenus injectés dans le marché pourra dans un premier temps booster la production et donner un surplus aux investisseurs et des profits. Toutefois, dans une seconde étape, avec la perte du pouvoir d'achat des travailleurs et une nécessaire augmentation des salaires, il y aura un réajustement des coûts de production et donc une perte de compétitivité et une diminution des profits. Ce qui aura pour incidence directe une baisse des investissements. Autre conséquence, celle concernant les taux d'équilibre du dinar. Le taux d'inflation influence le taux de change de la monnaie locale par rapport aux devises dans les conditions normales de marché. Or, la formule de calcul adoptée par la Banque centrale est plutôt rigide. Nous bénéficions donc toujours d'un avantage de monnaie. Dans ces conditions, l'inflation aura pour conséquence de décourager les exportations et d'encourager les importations. Ce qui crée des déséquilibres dans la balance des paiements.
-Pensez-vous que cette situation va perdurer en 2013 '
Cela se rapporte aux dépenses de l'Etat prévues en 2013. Le gouvernement prévoit une baisse des dépenses liées à l'équipement. Toutefois, face à ces prévisions, l'on oublie bien souvent d'actualiser les dépenses prévisionnelles avec le taux d'inflation qui est actuellement élevé. On s'achemine donc vers une réévaluation et une augmentation des dépenses d'équipement prévues ou à un maintien des dépenses au niveau prévu au détriment des projets à réaliser. En ce qui concerne le budget de fonctionnement, la loi de finances pour 2013 prévoit la création de plus de 50 000 postes nouveaux dans la Fonction publique, ce qui induit des salaires et donc une hausse des dépenses de l'Etat. Le maintien du rythme des dépenses de l'Etat ne va pas ralentir l'inflation.


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