Algérie

L'inégalité face au « martyre »: quand l'épouse et la fille comptent pour moitié



L'inégalité face au « martyre »: quand l'épouse et la fille comptent pour moitié
Un adl Ishad tunisien a pris la liberté d'appliquer les règles islamiques du partage successoral pour la répartition d'une indemnité allouée par l'Etat entre les membres de la famille de Chawki ben Hassine ben Lakhdhar Nssiri, mort le 31 décembre 2010 des suites de ses blessures, après avoir été atteint par les balles de la police de Ben Ali, le 22 décembre 2010. Aux hommes une part entière, aux femmes une demi-part, a décidé cet huissier-notaire! Pour Sana Ben Achour, professeur de droit à Tunis et membre de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), même s'il ne s'agit que d'un « tour de passe-passe », ce partage inique est « significatif de la prégnance des discriminations à l'égard des femmes et de la capacité des dispositifs d'infériorisation des femmes à se reproduire et à se régénérer dans la société ».
Le 22 décembre 2010, alors que dans une fuite en avant, l'on continuait d'exprimer l'« attachement au Président Ben Ali, en tant que choix du présent et de l'avenir », des manifestants tombaient à Menzel Bouzayane sous les tirs d'une police aux abois. Par ce grand froid de décembre et de féroce répression, de soulèvements dans la région qui vont finir par s'étendre à tout le pays et par mettre à bas vingt-trois ans de règne sans partage, à Sidi-Bouzid, Meknessi, Menzel Bouzayane, Rgueb, les familles pleurent leurs morts. Parmi eux, Chawki ben Hassine ben Lakhdhar Nssiri, professeur de l'enseignement secondaire, 47 ans, marié, père de deux enfants, une fille de trois ans et un petit de six mois. Atteint de plein fouet, il meurt le 31 décembre 2010 des suites de ses blessures à l'hôpital régional de Sfax.
Le 19 mai 2011, quelques mois après l'effondrement de la dictature et la mise en place des principales institutions de la transition, dont la Commission indépendante d'enquête sur les abus et les exactions, un décret-loi du président intérimaire décide de la réparation des dégâts résultant des émeutes et mouvements populaires survenus dans le pays. Il institue notamment le paiement d'indemnités au titre « des atteintes aux personnes physiques ayant engendré le décès ou autres préjudices corporels, et ce, à compter du 17 décembre 2010 ». Le montant de l'indemnité due à ce titre aux familles des victimes et des martyrs et dont la liste a été arrêtée aux parents, au conjoint survivant et aux enfants ne sera fixé que tardivement, au mois de janvier 2012. Il est de 20.000 DT au profit des ayants droit (dhawi al haq) des défunts et de 3.000 dinars au profil des personnes atteintes de dommages physiques. Ainsi se bricolait un système réducteur de réparation, dans l'oubli de la vérité sur les exactions et dans lequel allaient s'engluer les autorités du pays et se discréditer « leur » justice transitionnelle.
En exécution de ces actes réitérant « fidélité aux martyrs de la Révolution du 14 janvier 2012 et reconnaissance de leur sacrifice pour la dignité du peuple tunisien et sa liberté », le gouverneur de Sidi Bou Zid prend un arrêté en date du 27 janvier 2012 par lequel, non sans erreur manifeste de droit et graves conséquences sur le cours des événements et leur enchaînement, il affecte la somme de 20.000 DT aux « héritiers (sic) du défunt Chawki ben Hassine ben Lakhdhar Nssiri en réparation de son martyre » ! La confusion est grotesque entre héritiers et victimes!
Le partage passe alors entre les mains d'un huissier notaire (adl Ishad). Sans même s'interroger sur la nature de la somme (affectée à la réparation d'un préjudice) et sur les circonstances de son attribution - postérieure au décès -, il applique sans état d'âme les règles bien assises de l'héritage et du partage successoral selon lesquelles, dans bien de situations et selon le jeu d'inclusion-exclusion de l'agnation (la plus proche parenté par les mâles), les hommes ont deux fois plus que les femmes. Ainsi, déterminant dans un premier moment les héritiers (la mère du défunt, son épouse et ses deux enfants, sa fille et son fils) il applique la fridha et ses quotes-parts allouées considérant « que la succession représente 72 parts, le huitième revenant à l'épouse soit 9/72, le sixième à la mère soit 12/72 et le reste à partager entre les enfants sur la base qu'au mâle revient le double des filles, c'est-à-dire 34/72 au fils et 17/72 à la fille ». Au total la mère aura 3.333DT, l'épouse 2.500DT, le fils 9444 DT, le double de sa s'ur qui recevra la moitié de son frère : 4.722 DT.
De quelle justice parle-ton quand, face au martyre, l'épouse et la fille comptent pour moitié ' Comment expliquer à la petite, orpheline de son père à l'égal du frère, l'inégalité des parts du seul fait qu'elle est fille' Et l'épouse ' Quel est son tort ' Car, dans cette affaire, elle est doublement pénalisée, elle qui, prenant tout de front et à charge, vient en dernier par l'effet d'un système qui en fait à jamais l'intruse, l'étrangère au groupe patriarcal. Comment plaquer les règles de l'héritage à l'indemnité compensatrice des dommages ' Comment peut-on à ce point ignorer une jurisprudence établie de longue date selon laquelle « le droit à réparation ne peut s'appliquer sur la base des règles du Code du statut personnel relatives aux successions mais bien compte tenu des dommages personnels et directs causés aux victimes directes et indirectes » (Tribunal administratif, 1ère instance, 15 juillet 2005. Affaire n° 19680].
Simple omission ou tour de passe-passe, il est significatif de la prégnance des discriminations à l'égard des femmes et de la capacité des dispositifs d'infériorisation des femmes à se reproduire et à se régénérer dans la société.
N'est-il pas temps « d'abolir les privilèges » '
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