Algérie

"L'industrialisation passe par le privé national et étranger"



Ce spécialiste, affirme, dans cet entretien, que l'Etat a "concentré" tous ces efforts sur le seul secteur public, "délaissant" le privé. Cela, a-t-il ajouté, a conduit à la "faiblesse" de l'industrie.Liberté : La production industrielle publique s'essouffle, et celle privée demeure cantonnée dans certaines filières. Quelle analyse faites-vous, aujourd'hui, de l'évolution du secteur industriel, toutes branches confondues ' Ahmed Lateb : Globalement, le secteur industriel est en croissance cette année, comparé à l'année précédente, avec des disparités selon les secteurs. Cette performance cache deux tendances. Nous avons d'un côté un secteur industriel privé en forte croissance tiré par l'investissement privé et une consommation intérieure soutenue. En revanche, le secteur industriel public reste en retrait et ce malgré la transformation des SGP (Sociétés de gestion des participations) en groupes publics sous forme de SPA (Société par actions). Toutefois, cette opération devrait permettre aux groupes industriels publics d'avoir plus d'autonomie d'action et ainsi de retrouver le chemin de la croissance et du développement. L'année 2016 s'annonce plutôt difficile pour le secteur industriel sous l'effet conjugué d'une dévaluation du dinar et d'un ralentissement de la consommation. L'investissement sera lui conditionné à la situation économique du pays et au moral des chefs d'entreprises. Cette situation appelle, de la part des pouvoirs politiques, des mesures urgentes et concrètes pour éviter l'effondrement total de notre industrie à court terme. Pourquoi, selon vous, les politiques industrielles, menées par le passé, avaient-elles échoué ' Effectivement, les politiques industrielles menées ces dernières sont un échec, si on en juge par l'importance de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB). L'industrie aujourd'hui pèse pour moins de 5% dans le PIB, soit une valeur ajoutée de 14 milliards de dollars avec un secteur industriel public qui n'a généré que 2 milliards de dollars. Ce qui est ridicule, comparé aux efforts colossaux consentis par l'Etat lors des différentes recapitalisations et soutiens apportés par les pouvoirs publics aux entreprises industrielles publiques. La faiblesse de notre industrie est due principalement à la politique de l'Etat qui a concentré tous ces efforts sur le seul secteur public et a délaissé le secteur privé qu'il a toujours considéré comme marginal et non stratégique pour le développement du pays. Même dans les projets de partenariat avec les sociétés internationales, l'Etat a toujours favorisé le secteur public en nouant des accords de partenariat de type publics-privés (PPP). En soi, cette politique n'a rien de contestable mais à condition de mener en parallèle des actions de soutien aux privés nationaux, ce qui malheureusement n'a pas été le cas, en tout cas dans les faits. Les autres facteurs qui ont négativement impacté l'industrie sont connus : un accès difficile au financement, un foncier compliqué à obtenir et une distribution gangrenée par l'informel. Citons aussi la bureaucratie qui a finalement réussi à démotiver les entrepreneurs porteurs de projets industriels et a quasiment fait échouer toutes les initiatives des pouvoirs publics. Quel est l'ordre des priorités aujourd'hui dans le secteur industriel ' Faut-il une industrie tournée vers l'exportation ou une industrie destinée au marché intérieur ' La priorité pour le moment est de réhabiliter le secteur industriel public en lui rendant son autonomie totale et le soumettre aux lois du marché pour lui permettre réellement de se développer. L'autre priorité de l'Etat est d'aider réellement le secteur privé dans son développement notamment en réglant les questions du foncier, du financement et de l'administration qui bloquent les projets industriels.En termes de stratégie, l'Etat doit orienter son industrie vers, à la fois, la consommation intérieure et extérieure. Vers la consommation intérieure car la taille et la dynamisme de son marché intérieur rendent les investissements industriels porteurs. Le cas des secteurs des boissons est assez intéressant. Aujourd'hui, nous avons un secteur dynamique porté par une croissance forte de la demande et une dynamique concurrentielle qui ont favorisé l'émergence d'un secteur exclusivement local avec des prix relativement bas comparé aux pays voisins. Finalement, cette réussite est à mettre à l'actif des investisseurs privés qui ont réussi à créer un secteur qui emploie plus de 50 000 personnes avec plus de 250 unités de production réparties sur le territoire. Pour le développement de l'exportation, il faudra sans doute se poser la question de la compétitivité de l'Algérie. En résumé, notre industrie est compétitive dans les secteurs consommateurs d'énergie, de main-d'?uvre et de matières premières. Parmi les secteurs sur lequel l'Algérie sera compétitive, on peut citer la pétrochimie, les matériaux de construction, la sidérurgie et la mécanique.Sa proximité avec l'Europe la rend aussi compétitive sur les industries de montage et de transformation en tant que relais, notamment pour les industriels chinois qui voient en l'Algérie une vraie base de réexportation vers l'Europe et l'Afrique. On peut citer comme exemple le secteur du ciment qui est fortement consommateur d'énergie et de matières premières. L'Algérie produit le ciment le moins cher du monde avec un coût de production à la tonne autour de 10 dollars. Ce coût de production est possible grâce à un coût d'énergie bas et la disponibilité des matières premières en grande quantité et à faible coût d'extraction. Malheureusement, à cause d'une politique industrielle désastreuse en vigueur dans ce secteur, l'Algérie dispose d'un prix de vente au consommateur final parmi les plus chers du monde (120 dollars la tonne) et importe plus de 20% de sa consommation annuelle. Comme on le voit nous avons un secteur sur lequel on peut développer les exportations sur tout le bassin méditerranéen et vers nos voisins limitrophes. Une réindustrialisation du pays dans le moyen terme, vous y croyez...... Le développement de notre industrie est vital pour le pays, il y va de son indépendance économique et politique. Une industrie forte est toujours synonyme d'une économie forte. Un emploi créé dans l'industrie en génère quatre dans les services et l'industrie est porteuse de vertus comme la recherche, l'innovation et l'emploi. Nous sommes condamnés à réussir notre industrie sous peine de sombrer dans la crise économique.Malheureusement, ces dernières années, nous n'avons pas fait d'économie, on a surtout fait de la politique, car les ressources le permettaient et l'Algérie avait les moyens de ses choix. Cette situation est maintenant derrière nous et si nous ne changeons pas de politique économique, nous serons alors condamnés à subir les diktats économiques.L'industrialisation de l'Algérie passe par le privé national et étranger, ils sont les seuls à même de lancer des projets porteurs pour permettre au pays de développer son industrie. L'Etat doit se poser la question de son rôle dans cette phase critique et opérer sa mue culturelle vers moins d'interventionnisme et plus de régulation et de facilitation pour les acteurs de l'Industrie.Y. S.


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