Ils ont fait la guerre, et ils sont là, un demisiècle
après l'indépendance.
Au beau milieu de la révolution égyptienne, Abdelhamid
Mehri, interrogé sur ces dirigeants arabes qui ne
veulent pas quitter le pouvoir alors qu'ils ont atteint un âge respectable, a
répondu par une superbe formule : pas de problème, a-t-il dit, il n'y a qu'à
remplacer Hosni Moubarak par son fils Djamel. Il aurait pu ajouter, alors que
c'était la mode, que Seif El-Islam
pourrait prendre la succession de Maammar Kadhafi, qu'on
pourrait remplacer Ali Abdellah Salah par son fils
Ahmed, et Abdelaziz Bouteflika par son frère Saïd, comme
cela a été évoqué un moment. En fait, la boutade de Abdelhamid
Mehri permettait de remettre les choses à leur place.
Ce n'est pas l'âge des dirigeants qui constitue un handicap, mais le système de
désignation des dirigeants. L'âge n'est, en lui-même, ni un avantage ni un
handicap. Kadhafi lui-même a pris le pouvoir alors qu'il n'avait pas atteint
trente ans. On sait ce qu'il en a fait. Bachar Al-Assad, le Roi Mohammed VI et Abdellah
II de Jordanie sont arrivés au pouvoir relativement jeunes.
Une fois installés, ils se sont comportés d'une manière qui ressemble jusqu'à
la caricature à celle de leurs parents.
A l'inverse, Ronald Reagan, homme de droite, réactionnaire, à la vision
primaire sur certains dossiers, a conquis la Maison-Blanche à
l'âge respectable de soixante-dix ans, pour la quitter à 78 ans. Sa présidence
fut une période faste pour l'Amérique. Il a notamment permis aux Etats-Unis de
dépasser le syndrome du Vietnam. En 2008, John Mac Cain
est candidat républicain à la
Maison-Blanche à l'âge de soixante-douze ans, et le Time le
classe alors comme le cinquième homme le plus influent du monde. En Algérie, où
la confusion est la règle, l'âge des dirigeants est devenu un point de fixation.
Un faux problème, comme c'est souvent le cas. Mais il alimente les faux procès
et les analyses de comptoirs qui alimentent la chronique.
Le pays a même mis à la mode certains termes, comme dinosaures, pour
évoquer les dirigeants issus de la guerre de libération. Ce qui aboutit, en fin
de compte, à jeter le discrédit sur une génération qui a pourtant été la plus
influente du pays depuis deux siècles. Aujourd'hui, le départ de cette
génération, symbolisée par les moudjahidine et la fameuse famille
révolutionnaire, est revendiqué publiquement. Son poids excessif dans la vie
politique du pays pendant de longues décennies en a fait une génération
encombrante, et provoqué une forme de rejet, débouchant sur un absurde conflit
de générations. La confusion aidant, ce rejet s'est progressivement élargi pour
porter parfois sur les symboles, ce qui constitue une dérive particulièrement
grave. Ce n'est plus l'autoritarisme, la mauvaise gestion, le gaspillage et
l'incompétence qui sont visés. C'est toute cette génération supposée les
incarner qui est désignée comme responsable de tous les maux du pays. En ce
début juillet, anniversaire de l'indépendance, les symboles sont un peu
épargnés, et ceux qui les représentent ont de nouveau droit à certains égards. Mais
cela ne devrait guère durer. D'autant plus qu'une nouvelle caste a décidé, au
nom de l'ouverture et de la nécessité de briser les tabous, de ne plus rien
épargner. Des hommes d'une exceptionnelle envergure se sont ainsi retrouvés
traînés dans la boue par des personnages à la posture douteuse. Hocine Aït-Ahmed et Ahmed Ben Bella sont
ainsi régulièrement attaqués. C'est comme si le pays décidait de s'en prendre à
son propre drapeau. Lakhdhar Bouragaa,
autre officier de l'ALN, rappelle pourtant ce que furent ces deux hommes : ils
sont les derniers survivants de la direction historique de l'OS, ils étaient là
lors de l'attaque de la poste d'Oran, premier acte de violence révolutionnaire
du nationalisme algérien moderne, il y a soixante ans ; ils étaient là le 1er
Novembre 1954, et à l'indépendance du pays, il y a un demi-siècle, ils
faisaient déjà figure de vétérans. Ces monuments de l'Algérie moderne, d'une
longévité exceptionnelle, sont attaqués avec une étonnante légèreté, alors que
rien ne semble le justifier. D'autant plus qu'on ne peut même pas leur
reprocher une responsabilité quelconque dans la situation actuelle du pays: Ben
Bella a été évincé du pouvoir depuis 46 ans, et Aït-Ahmed n'a jamais exercé de pouvoir. Peut-être que le
tort de cette génération est d'avoir fixé la barre trop haut. La déclaration du
1er Novembre apparaît en effet trop ambitieuse pour
une seule génération. Mais la première génération a accompli le premier pas, ce
qui a permis à Saad Dahlab d'écrire son livre : «
Mission accomplie ». Il reste aux autres générations d'accomplir les pas
suivants, avant de prétendre se mesurer aux géants qui ont fait du 5 Juillet un
jour de liberté.
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Posté Le : 05/07/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com