Algérie

«L'indépendance de l'Algérie est advenue malgré tout»



Nous continuons notre débat sur la mémoire que nous avons initié à l'occasion du 60e anniversaire de la signature des accords d'Evian et du cessez-le-feu. Des historiens, des universitaires, des journalistes et parfois même des acteurs de cette guerre atroce, nous éclairent par leur intervention sur cette période sensible de notre Histoire. Dans la page d'aujourd'hui, nous proposons à nos lecteurs deux spécialistes de la guerre d'Algérie, Sylvie Thénault, directrice de recherche au CNRS et Tramor Quemeneur, spécialiste de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Entretiens:L'Expression: Que retenez-vous des accords d'Evian'
Sylvie Thénault: Les accords d'Evian, signés le 18 mars 1962, interviennent après 2 ans de négociations. Juste avant la phase finale à Evian, les dernières ont eu lieu aux Rousses, du 11 au 18 février, avec des représentants au plus haut niveau. Côté français: Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes; Robert Buron, titulaire du portefeuille des Travaux publics; Jean de Broglie, secrétaire d'Etat au Sahara. Côté algérien, outre le vice-président du GPRA, également ministre de l'Intérieur, Krim Belkacem, il y avait trois ministres: Lakhdar Ben Tobbal, ministre d'Etat; M'hamed Yazid, ministre de l'Information; Saad Dahlab, ministre des Affaires étrangères.
Est-il exact, comme le signalent des chercheurs, des acteurs politiques et des médias, que depuis les années 1970, il y a des clauses ou des annexes relatives aux accords d'Evian, concernant les essais des armes nucléaires et chimiques dans le Sud algérien qui demeurent à ce jour classées secrètes'
Les accords d'Evian se composent de trois grandes parties. La première définit les conditions de l'autodétermination: installation d'un Exécutif provisoire, organisation du scrutin et amnistie de tous les détenus et internés qui l'avaient été en raison de leur participation à la lutte pour l'indépendance. La deuxième règle les désaccords qui ont opposé les négociateurs depuis 2 ans. Sur les Français d'Algérie, d'abord, avec l'idée qu'ils resteraient massivement. Les Français d'Algérie avaient 3 ans pour choisir entre la nationalité française et la nationalité algérienne, leurs libertés devaient être garanties, le transfert de leurs biens et capitaux vers la France ne devait pas être entravé. Concernant le Sahara, la France sauvegardait ses intérêts économiques et obtenait de continuer ses essais nucléaires pendant 5 ans. Elle conservait par ailleurs pour 15 ans la base de Mers el-Kébir. En échange de la sauvegarde de ses intérêts, la France devait soutenir le développement de l'Algérie. Après cette partie centrale, la troisième partie prévoit le cessez-le-feu au lendemain 19 mars 1962 à midi. Elle rappelle les engagements à l'égard des Français d'Algérie, avec le maintien de leurs droits de propriété sauf indemnisation.
Dans le Sahara et dans le domaine militaire, l'application des accords ne se discute pas jusqu'à la nationalisation des hydrocarbures en 1971. En revanche, les garanties en faveur des Français d'Algérie ont été vidées de leur substance. Et ce bien sûr, en raison de leur départ massif.
Quelles étaient les résistances à ces négociations, en Algérie et en France'
L'accélération des violences après le cessez-le- feu l'explique. Puis, après l'indépendance, Ben Bella et Boumediene, le tandem qui accède au pouvoir, étaient opposés aux accords. Ils les ont désapprouvés et donc ne se sentaient pas tenus par leurs clauses.
Toutefois, la coopération était indispensable. Celle-ci, d'ailleurs, peut être vue autrement que comme une forme de néocolonialisme: elle peut être considérée comme une forme de compensation de la période coloniale. Elle a été importante: l'Algérie est le pays avec lequel la France s'est le plus engagée après 1962, au point d'être mal vue par les Etats limitrophes, Maroc et Tunisie. Ainsi les Algériens bénéficiaient de la liberté de circulation avec la France. Aussi les deux premiers présidents algériens, par réalisme, ont tempéré leur opposition aux accords. Ils ont néanmoins cherché à limiter leur dépendance envers la France en se tournant vers les pays arabo-musulmans, ceux du bloc de l'Est ou encore Cuba. La politique d'arabisation, autour de 1970, a mis un terme à la prédominance des coopérants français. Un contentieux a perduré sur le plan financier: l'Etat algérien, héritier des dettes de la période coloniale qui représentaient une lourde charge, a renégocié les sommes à verser.
Est-ce que les accords d'Evian ont été respectés par la partie française et algérienne'
Il faut insister sur le fait que les accords ont été appliqués sur l'essentiel: définir un processus de sortie de guerre. Malgré les violences qui ont suivi le cessez-le-feu, le référendum d'autodétermination a bien eu lieu et l'indépendance est advenue. En France, ces accords ont signé le retour à la paix pour les métropolitains qui les ont approuvés par référendum, le 8 avril 1962. Sur le plan extérieur, la politique française a pu être orientée vers l'avenir avec la construction de l'Union européenne. Ainsi chaque partie a tiré bénéfice des accords qui n'ont pas été dénués de portée.


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