Algérie

L?incertitude du lendemain



L?on ne sait pas comment demain sera fait. Il est pénible de pouvoir l?imaginer joyeux et jovial. A force de recevoir en pleine figure et chaque jour un lot de désagréments, l?on ne peut plus, las et blasés, penser au meilleur. Le terrible pessimisme s?installe en nous sans gêne et nous mine la vie et son avenir. Démesure dans l?avis ou fatalité du sort ? Prêchons !A moins de 10 mois des élections présidentielles, l?on ne sent nulle odeur de sainteté venir embaumer l?espace politique national. A 130 dollars le baril du brut, l?on ne sent nulle embellie financière venir renflouer les poches des ménagères. A peine 7 mois de l?installation des exécutifs communaux, l?on ne voit nul éclairage venir illuminer les couloirs ténébreux du filet social qui ne cesse de s?étendre de jour en nuit. Vraiment y a une espèce de doute qui tend progressivement à se loger dans la cavité réflexive de tout un chacun. Nul ne semble avoir espoir. L?avenir est tout le temps décrit comme fâcheux, contrariant, voire désastreux. Le défaitisme gagne ainsi tous les coeurs. Y a-t-il cependant des preuves pour pouvoir asseoir incontestablement sa pensée ou corroborer ses doutes ? Les gens ne sont plus heureux, ni chez soi ni ailleurs. La presse n?a de bandeaux que du macabre ou de l?infamant. Des atrocités causées par la barbarie terroriste au terrorisme routier, l?actualité s?engouffre aussi dans les scandales financiers, le rapt, les suicides ou la préméditation auto-meurtrière des harraga. Tout n?est pas beau à lire. A force d?être captée par ces tentations du sensationnel, de l?extraordinaire, la foule ouvre son menu chaque matin sur le canevas qui se propose à l?opinion publique. Plein de méfaits et de choses méchantes. Si ce n?est la prison pour quelqu?un, cadre ou non, c?est la mort pour un autre. Si ce n?est une présumée fâcherie du président à l?encontre de l?un de ses ministres, c?est une gaucherie de l?un de ses ministres. L?actualité va vers l?inouï et l?extravagant quand bien même l?information est véridique et confirmée. Mais il n?y a pas que ça dans ce monde. L?Entente de Sétif a gagné, les logements se construisent, l?autoroute est en voie de finition, le métro d?Alger avance, les trémies sont fonctionnelles, les salons de la SAFEX sont perpétuellement organisés, les drapeaux pavoisent les façades et les frontons de nos wilayas et mairies, nos ministres sillonnent le pays, les journées nationales et internationales sont festoyées et alors ? Le problème, me dit-on, est ailleurs. Il est dans ce qu?expriment ces situations. Les émeutes sont devenues au su de tout le monde la forme la plus expressive du ras-le-bol d?une jeunesse assez défendue. L?on ne prêche dans la notion d?émeute que son aspect extérieur. L?on décompte les effets, rarement les causes. Toutes les manifestations qui commencent et se terminent par le fracas, la rébellion et le jet de pierres, on leur trouve dans l?immédiat des justificatifs. L?état des routes, le manque d?eau potable, le gaz butane, et maintenant voilà que le football s?inscrit comme argumentaire de contestation populaire permettant de casser, briser et de vandaliser les rues et d?éventrer les vitrines. Face à cette légitimation de la contestation que tentent de couvrir certaines voix se ralliant directement au désarroi juvénile au nom d?un pouvoir, n?existe-t-il pas un message à adresser droitement à qui de droit par ce pouvoir au même pouvoir ? La guerre des pouvoirs est plus rude que celle des hordes de rues et des cohortes de boulevards. Cette guerre est pernicieuse et l?intonation de ses balles ne s?entend que plus tard.Ainsi les émeutes sont toujours collées aux jeunes, au moment où ceux-ci continuent à faire les axes prioritaires de tous les programmes politiques. «Les jeunes» reste la bonne formule à insérer dans un discours de circonstance. Le comble, c?est que personne, à partir d?une tribune officielle ou d?un minbar de vendredi, n?a osé dire, de franc parler cet amer constat que tous ces jeunes sont la cause du désagrément algérien. Eh oui, ce sont ces jeunes qui sont derrière les émeutes, qui sont dans les maquis, qui se livrent à la consommation des pires produits psychotropes, qui opèrent des rapts, des casses, des razzias et tout ce qui s?ensuit. Sans vouloir trop les comprendre, car ils ne comprennent pas trop la façon que l?on a de vouloir de les comprendre, ces jeunes demeurent le produit de l?école algérienne. Ils sont issus de la manufacture du système qui des décennies durant n?a cessé d?apporter réforme contre réforme. L?ensemble de ces réformes, le contenu des programmes et plans d?action, les initiatives à leur égard, la réinsertion, l?emploi jeunes, les centres d?animation de jeunesse, les maisons de jeunes, les auberges de jeunesse, l?Union de la jeunesse algérienne, l?ANSEJ et tous les titres accrocheurs de jeunes n?ont connu, dommage de le dire, qu?un cuisant échec. La cause ? Tout a été pensé sans eux, en leur absence et à leur place. En parallèle, subsiste sinon prospère une autre faune de jeunes plus vieux et plus aguerris aux vicissitudes de la vie, ayant compris très vite le mécanisme social du fonctionnement du système qui allait leur permettre un épanouissement jamais imaginé. La banque et le crédit sont là pour réaliser le rêve inégalé de certains. La cupidité vorace profanait les règles de bienséance et violait coûte que coûte un rang social de privilégiés. Les gens voulaient ainsi devenir des notables, oubliant que notoriété n?est pas notabilité, qu?être noble n?est non plus être notoire.Les banques servaient, à la lumière d?une ouverture curieuse, les désirs socio-économiques de certains individus qui subitement transformés en clients réguliers et potentiels devenaient membres influents dans les divers secteurs. N?a-t-on pas lu, sur la devanture des tracteurs routiers et des semi-remorques neufs, cette phrase en gros et gras: «hadha min fadhli rabi» (ceci est par la grâce de Dieu) ! Il fallait écrire, sinon il faudrait lire: ceci est par la grâce de la BADR, du CPA, de la BDL ou d?autres bailleurs de fonds. Car si ce ne fut que par la grâce de Dieu, Dieu n?est l?apanage de personne. Il étend sa bonté et sème ses grâces sur l?ensemble de sa création. Le crédit, mon vieux, le prêt pense-y ! Le prêt a de ce fait créé chez nous de faux riches. Au lieu de promouvoir une vie vers un horizon acceptable et à la limite du réel, il a provoqué le tournis et étourdi pas mal de têtes. A voir les belles et neuves voitures, les immenses villas, les gigantesques garages et hangars, les nombreuses plaques publicitaires d?un produit ou d?un service, l?on se croirait en plein bonheur d?une aisance mercantile stable et durable. Les investisseurs grouillent, les harraga aussi. Les importateurs pullulent, les chômeurs aussi. Dans cette terre algérienne, il existe en fait plusieurs pays. Au moins deux. Un pays réel et un autre de rêverie. Le réel s?étend du maigre salaire à l?impuissance d?honorer une facture banale de Sonelgaz. Quant à l?autre, plus versatile car précaire et instable, il s?étend de l?illusion bourgeoise aux visas, à l?euro passant par le 4x4 jusqu?aux demeures d?Alicante, de Lisbonne, Dubaï ou de Paris. L?on a beau dans ce monde inventé, quand on n?était qu?un quelconque petit inconnu, à avoir une limonaderie, une faïencerie, un groupe industriel ainsi qu?un fidèle et puissant réseau d?amitié où le seul coefficient d?utilité se confine en l?intérêt mutuel, mais où l?on ne peut goûter tranquillement aux charmes du sommeil profond. Car ce sommeil est vite interrompu par la trouille des échéances de paiement, des agios, des pénalités de retard, des royalties ou des surestaries à débourser. Le paradis visible et apparent devient pour son locataire un véritable enfer fiscal, cambiaire et financier. Et c?est là où ce qui apparaît aux autres comme fortune, luxe et belle vie n?est en fait qu?une misère en sourdine, une angoisse permanente et terrifiante que le riche débiteur, l?investisseur fraudeur, l?emprunteur insolvable ou le redevable défaillant subit l?enfer en y pensant tout en y étant. Le sommeil ne serait retrouvé chez les uns plus sceptiques qu?à travers l?achèvement d?un litre de whisky frelaté ou chez les autres plus ingénus que par la pratique inaccoutumée de kiyam elleïl et autres liturgies croyant ainsi se faire oublier par le banquier du coin, le percepteur du quartier ou/et le créancier d?outre-mer.Alors que doit faire le jeune qui se morfond et se mord les doigts, attablé à une terrasse de café maure mal fréquenté ou adossé à un mur anonyme et qui voit passer à des allures de hogra ces gens embourgeoisés, ces gens fraîchement enrichis ? Que doit dire l?autre dans le cuir de sa bagnole, abasourdi par la voix du raï à voir le voir, ce jeune oisif, délinquant, sans rien faire et encore refusant l?offre d?emploi qu?il ne s?empêche de proposer ? Qui a raison, qui a tord ? Le dilemme, voyez-vous, est extrémiste. La thèse porte en son propre sein son antithèse. Les deux bouts du problème multiplient justement l?unique problème. Ils le rendent pervers et insoluble. Si pour l?un la richesse ne lui est pas innée, l?autre aussi n?est pas né délinquant, ni harrag ou sans emploi. Le concours de circonstances, le hasard et la fatalité font que parfois la formation des générations se fasse à un rythme et suivant un mode auxquels personne des concernés n?a été à un moment du processus de gestation, concerné, consulté ou informé. Le monde de certains peuples peut ainsi et le plus souvent se faire sans eux.En tous les cas, les différentes situations du corps social peuvent se rejoindre les unes aux autres pour faire un fonds commun d?un malheur général. L?un a peur de la vie, de ses lois et des changements probables, l?autre a aussi peur de ses prochains jours et de la dure réalité dans laquelle il se sent obligé d?y vivre éternellement. Le doute qui creuse davantage tout petit esprit de planification est arrivé à s?extrapoler jusqu?aux détenteurs des leviers de commande de la destinée nationale. L?on n?arrive plus à penser des lendemains sûrs et positivement certains. L?on ne sait plus qui sera président, qui sera ministre au moment où l?on peut deviner qui sera plus riche et qui sera plus pauvre.Néanmoins l?énorme disponibilité du pays, l?on n?arrive pas à pouvoir s?affranchir de ce climat délétère. Le constat est certes sombre et lugubre. Il frôle le pessimisme le plus grégaire. Mais ceci n?empêche que la marche vers l?avant ou vers l?ailleurs continue son cheminement, laissant sur le pavé de l?histoire des coeurs aigris et des corps cramoisis. Le dégel de la situation impliquerait une démarche plus franche et sincère. Autre que celle qui a servi jusqu?ici à déguiser des masques afin de brouiller toutes les issues de sortie ou de secours.Le rêve étant un élément fécond et géniteur d?espoir, méditons cet adage arabe: «Celui qui espère est mieux loti que celui qui attend. Et celui qui attend est mieux loti que celui qui perd espoir». Espérons et attendons. Quant à l?espoir ? L?incertitude y plane.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)