PUBLIÉ 23-05-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie.
Par le professeur Ali Cheknane(*)
Les combustibles fossiles sont la source d'énergie la plus utilisée dans le monde. Ils fournissent environ 80% de la demande totale d’énergie dans le monde. Plus des deux tiers de l’électricité sont produits à partir de combustibles fossiles. Néanmoins, leur stock, en quantité limitée, s’épuise ; et leur exploitation d’ici à 2050 serait désastreuse.
En outre, leur répartition dans le monde est très inégale, entraînant parfois des conflits armés interétatiques. Selon le rapport Statistical Review of World Energy 2021 de BP (British Petroleum), publié le 8 juillet 2021, le pays affichant la réserve la plus importante est la Russie, avec une moyenne de 37,4 milliers de milliards de m3, et en est le principal exportateur, représentant environ 40 % des importations européennes. Au cours des dernières années, les effets négatifs de la combustion des énergies fossiles sur l'environnement, avec un impact dévastateur sur notre planète, ont fait l’objet d’une grande attention. Le secteur de l’énergie est à l’origine de 34% des émissions mondiales et a vu ses émissions augmenter de 6% en 2021.
Pour atteindre la neutralité carbone, les gouvernements cherchent à diversifier leurs sources d'approvisionnement en produits énergétiques, à développer significativement les énergies renouvelables et à utiliser d'autres vecteurs énergétiques non carbonés tels que l'hydrogène.
L’hydrogène produit par l'électrolyse de l'eau en utilisant de l’électricité issue de sources renouvelables est un «hydrogène vert» utilisé comme vecteur d’énergie et de stockage. Les avancées scientifiques dans la production de l’hydrogène ont ouvert la voie à son utilisation dans plusieurs domaines industriels. À l’échelle mondiale, quatre raisons principales expliquent pourquoi l'hydrogène apparaît désormais comme une technologie énergétique viable pour la transition énergétique (World Bank Group) :
1- L’Urgence accrue de la lutte contre le changement climatique.
2- La réduction des coûts des énergies renouvelables et le besoin accru de développer les ressources énergétiques renouvelables.
3- Des progrès significatifs dans la filière d’hydrogène et les technologies des piles à combustible.
4- La transition mondiale vers des solutions de mobilité électrique.
Aujourd’hui, les technologies exploitant l’hydrogène retiennent l’attention pour de nombreuses applications différentes. Les progrès récents pour étendre son utilisation sont importants, notamment dans le secteur des transports qui absorbe la majeure partie de l’énergie produite. De plus, l'hydrogène peut être utilisé pour chauffer les bâtiments et alimenter les chaufferies industrielles, en l’injectant dans le réseau de gaz pour assurer son équilibrage. Parmi les modes de production d'hydrogène, ou plus exactement de dihydrogène, existant industriellement, on peut citer : le vaporeformage d’hydrocarbures légers, l’oxydation partielle d’hydrocarbures, le reformage autotherme qui est une combinaison des deux précédents, et la décomposition de l’eau par électrolyse. Les deux premières techniques présentent des inconvénients : rejets de CO2 et utilisation de combustibles fossiles. L’hydrogène vert est produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité provenant uniquement d’énergie renouvelable (pas de rejets de CO2).
Les eaux usées comme source d’énergie…
L’eau recouvre environ les trois quarts de la surface de la Terre. Malheureusement, la plus grande part de cette eau (97,5%) est salée et n'est pas directement exploitable par l'homme. L’agriculture représente le plus grand consommateur avec environ 70% de l’eau douce accessible dans le monde.
L’importance de l’eau dans l’économie humaine ne cesse de croître. Avec une population actuelle de 7,9 milliards d’individus et des ressources en eau limitées, la planète devrait accueillir 9,6 milliards en 2050 (environ 2/3 de la population mondiale vivra dans les grandes villes), ce qui représente tout de même un taux d’accroissement annuel de 80 millions d’habitants par an. Cela entraînera une hausse générale des besoins en eau du fait de la surexploitation. Selon l’ONU, la demande explose et nos besoins en eau vont augmenter de 50% à l’horizon 2030 (chiffres 2017). Selon la même source, plus de 2 milliards de personnes vivent dans des pays soumis à un stress hydrique.
Au dire de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), «un minimum vital de 20 litres d’eau par jour et par personne est préconisé pour répondre aux besoins fondamentaux d’hydratation et d’hygiène personnelle».
Il faut noter à cet égard, que 50 litres d’eau par jour et par personne sont nécessaires pour vivre décemment, et au-delà de 100 litres par personne et par jour pour un réel confort.
La consommation d'eau sur la planète atteint 4 milliards de m3, soit 1,3 million de litres d'eau chaque seconde (127 m3 par seconde) ce qui est supérieur aux capacités de renouvellement des réserves.
La consommation d'eau par habitant et par an en moyenne est de 600 m3/hab./an soit 137 litres par jour. Cette moyenne est une estimation établie par l'Unicef. La consommation personnelle d'eau comprend une consommation d'eau «directe» (boisson, toilette...) et «indirecte» (eau virtuelle), cette dernière étant en fait le gros de la consommation totale.
La consommation en eau domestique par habitant la plus importante se situe au Canada, États-Unis, Japon, Australie, Suisse : supérieure à 250 litres/personne/jour (source : cieau). Elle est de 50 à 100 litres/personne/jour pour l’Asie et l’Amérique latine. La consommation en Afrique sub-saharienne est de 10 à 20 litres/personne/jour. En Afrique, plus de 320 millions d'habitants sont encore dépourvus d'un accès à l'eau potable.
En Algérie, les réserves en eau sont estimées à 18 milliards de m3/an répartis comme suit (source : Ipemed : Institut de prospective économique du monde méditerranéen) :
• 12,5 milliards de m3/an dans les régions nord dont 10 milliards en écoulements superficiels et 2,5 milliards en ressources souterraines (renouvelables) ;
• 5,5 milliards de m3/an dans les régions sahariennes dont 0,5 milliard en écoulements superficiels et 5 milliards en ressources souterraines (fossiles).
Les besoins en eau sont couverts actuellement à 17% par l’eau de dessalement avec onze stations qui sont érigées tout au long du littoral algérien.
Deux milliards de litres d'eaux usées, utilisées par l'humanité, sont rejetés chaque jour dans les rivières et les mers, soit plus de 23 000 litres chaque seconde. Sur un an, ce sont 730 milliards de litres d'eaux usées qui sont rejetés dans la nature à cause de fuites, de manque de stations d'épuration, etc., ce qui a des effets néfastes sur la santé humaine, la productivité économique, la qualité des ressources d’eau douce environnementales et les écosystèmes.
Dans les pays à faible revenu, seuls 8% des eaux usées industrielles et municipales font l’objet d’un traitement, une quantité bien supérieure à l'évaporation naturelle des océans dans l'atmosphère (1 milliard de litres/jour).
Le rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau en 2017 démontre qu’une meilleure gestion des eaux usées nécessite à la fois de réduire la pollution à la source, d’éliminer les contaminants des flux d’eaux usées, de réutiliser des eaux récupérées et récupérer les sous-produits utiles et de palier aux pénuries d’eau engendrées par les changements climatiques.
Les techniques d’épuration des eaux usées sont en constante évolution afin de répondre de manière spécifique au contexte dans lequel les stations d’épuration s’insèrent, comme augmenter les réserves d’eau douce et convertir les eaux usées en sources d’énergie. On distinguera les traitements «classiques», largement utilisés par les stations d’épuration, et les traitements «supplémentaires», le plus souvent de désinfection. Les pays comme la Floride, l’Espagne, la Jordanie, Singapour ont pour objectif de satisfaire de 10 à 60% de leurs besoins en eau par la réutilisation des eaux usées épurées. Dans une déclaration à l’APS (mars 2022), le ministre des ressources en eau a affirmé que l'Algérie disposait de 200 stations d'épuration d'une capacité de production de 500 millions m3/an. Ces eaux épurées seront réutilisées pour l'irrigation de 24 000 hectares de terres agricoles d'ici à 2024 pour atteindre, à l'horizon 2030, quelque 400 000 hectares, dont 16 000 hectares dans les Hauts-Plateaux.
La production de l’hydrogène vert à partir des eaux usées, en utilisant l’énergie solaire, représente une solution très prometteuse pour l’Algérie qui dispose d'un important potentiel en énergies renouvelables, notamment l’énergie solaire avec une durée d’insolation qui peut atteindre 3900 heures /an dans le Grand Sud. Dans la pratique de l’électrolyse industrielle des eaux usées, la quantité d’hydrogène gazeux qui pourrait être produite annuellement en Algérie à partir des eaux usées est estimée à des centaines de milliards de m3/an représentant ainsi un énorme potentiel inexploité, particulièrement dans le sud. Tout en notant que le volume des eaux usées domestiques déversées dans la wilaya de Laghouat, une wilaya du sud algérien, dépasse 17 500 m3/jour. Seule une petite quantité est valorisée — ce qui est le cas aujourd'hui dans toutes les wilayas.
Conclusion… Décideurs et exécutants
En Algérie… Pour une meilleure stratégie d’exploitation des eaux usées à des fins énergétiques, telles que la production d’hydrogène vert, il est d’abord nécessaire d’optimiser la gestion dynamique des réseaux d’eaux usées en mettant en place un système d'assainissement adéquat pour récupérer et réutiliser cette ressource précieuse.
A cet effet, une étude plus poussée par les experts est primordiale pour déterminer les meilleurs sites d’exploitation de ce nouvel or noir. Autrement dit, il est utile, voire indispensable d'impliquer les compétences nationales et la diaspora qui œuvrent dans le domaine de l’hydrogène. Dans ce contexte, il nous faut tirer profit des expériences des pays pionniers en matière de valorisation des eaux usées ; comme Patrick Louis Richard l’a dit dans une citation : «L'authenticité est la capacité d'apprendre des autres, sans les mimer.»
Soulignons que beaucoup de recherches intéressantes ont été menées et des études réalisées au sein des universités et centres de recherche, sans aboutir. En outre, il n'y a actuellement aucun investissement dans ce domaine. Et pourtant, l’Algérie s’est pleinement engagée, il y a peu de temps, sur la voie des énergies renouvelables en lançant le grand chantier du projet ambitieux de réalisation de 15 GW d'électricité d'origine renouvelable à l’horizon 2035. Ainsi, le premier coup de pioche de la première tranche du projet a été donné, d’une capacité de production de
1 000 MW «solaire photovoltaïque» dans le sud du pays en lots de 50 à 300 MW. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, pourvu qu'on répare les torts du passé afin d’assurer un avenir énergétique durable et sobre en carbone. «Les erreurs du passé sont le savoir et la réussite de demain.» (Dale Turner)
En guise de conclusion, on peut dire que l’Algérie dispose de tous les ingrédients-clés pour développer le secteur de l’hydrogène, un accélérateur de la transition énergétique qui est nécessaire en raison de l’urgence environnementale.
Cette filière d’avenir ne peut être réalisée qu'en présence d'une véritable volonté de tous les acteurs.
L’espoir est le dernier à mourir…
A. C.
(*) Université Amar-Telidji de Laghouat. Membre du Conseil consultatif - Commissariat aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique (Cerefe).
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Posté Le : 12/06/2022
Posté par : rachids