L'horizon réduit dans un repas

Il y a une routine répugnante à voir encore une fois lemois du ramadan provoquer les mêmes débats alimentaires, au ras d'une terreincapable de produire et d'approfondir des métaphysiques faute d'eau, defleuves et d'élites. A quelques jours de ce mois lunaire, on a déjà droit à ladistribution annuelle des rôles: le salarié dit victime de sa sous-paie face àun commerçant carnivore, présenté sous l'avatar de l'ancien bourgeois anti-socialiste,l'Etat sous la forme d'un généreux donateur pour les pauvres et d'un impuissantcyclique face à la spéculation et, enfin, le ramadanismecathodique, avec son ENTV grimée pour la circonstance, les satellites et leursdéluges de feuilletons et les nuits avec leurs passants en digestion bloquée, enquête de soldes et de chaussures. Et cela dure depuis des années et desdécennies.

Le tabou religieux faisant que l'on n'ose nulle part parlerde ce mois en séparant le rite, du dogme et de sa socialisation et de ses abus.Le jeûne est vécu avec violence, envers soi ou enversles autres, comme une pénalité budgétaire et une hystérie de consommationincroyable. Tout le monde en connaît la facture économique dans un pays quitravaille peu et qui a toujours pris soin de cacher les mauvaises récoltes parl'obligation de la prière et tout le monde en vit l'impasse de sens comme unecorvée que l'on n'ose pas dire avec une surabondance d'enthousiasme bigot. Laraison ? Une folklorisation abusive du rite par uneélite religieuse incapable de lui donner un autre sens que celui de sa routineet reconduisant d'année en année les mêmes causeries religieuses qui valent ceque valent les appels de l'union des commerçants à la «pitié» des commerçantsenvers leurs clients durant ce mois.

Le folklore qui est le cadavre des cultures, toucheaujourd'hui le religieux dans le Ramadan ou dans le pèlerinage et sert àhabiller une sorte de collectivisation immorale de la pratique du sens et desmisères humaines réduites à la mastication. Et rien n'illustre au mieux laperte de sens dans ce pays, entre une dizaine d'autres coincés, que cetteréduction du rite et de la culture à la tirelire de ses dépenses et àl'hypocrisie de ses idéologies avec un mauvais humour traditionnel sur lagoinfrerie ou la cupidité et qui font l'humour grossier des peuples sansraffinement. L'ENTV vous fera alors rire, de vous-mêmes, là où l'Etat voustraitera comme des estomacs doués de la capacité de valider des élections et làoù les élites religieuses vous foreront la cervelle avec des discours épiquessur le Ramadan utopique, idéal, sans relation avec votre réel, votre malaise, vosattentes, réduites à une commission de surveillance de la lune à l'oeil nu.