L'homme à tout faire

Avant de célébrer ces travailleurs de l'ombre dont le nom est écrit en petites lettres sur les génériques, ceux des endroits obscurs comme le laboratoire, la salle de montage ou bien ces ruches bourdonnantes que sont les studios ou les plateaux de tournage où s'agite une multitude de gens affairés qui s'interpellent avant le fatidique «silence! On tourne», qu'il me soit permis de rappeler ici le destin si singulier de celui qui a fait le film le plus émouvant et le plus atypique du cinéma algérien: Mohamed Zinet. Celui-ci avait dû trimballer son sujet des années durant avant que des illuminés du Cpva n'acceptent de financer cette déclaration d'amour à la ville d'Alger. L'auteur de Tahya Ya didou! finira ses jours dans un hospice parisien!Que de qualités doit-on demander à un réalisateur de films! Et pourtant, ce n'est qu'un être humain destiné à être le chef d'une équipe où tant de caractères se frottent, s'opposent afin de créer une oeuvre dont l'unité de ton étonnera tout le monde. Au-delà de la formation scolaire et professionnelle du réalisateur, il faut à celui-ci, avant tout, une sensibilité artistique évidente. Non seulement, il doit déployer des connaissances littéraires assez larges (sans pour autant être un spécialiste ou un critique du genre), il doit posséder le sens de la dramaturgie et maîtriser les ressorts de l'intrigue. Dans un système où manquent cruellement les agents qui doivent intervenir à chaque étape du processus de production, il doit tout pallier. Il doit souvent remplacer le scénariste qui fait défaut: trouver l'histoire ou le texte de son choix, l'adapter à ses goûts, écrire des dialogues.Là encore, il y a un métier très délicat: comment trouver les formules conformes à mettre dans la bouche de chaque personnage en tenant compte de l'âge, de l'origine et du rang social du protagoniste. Tous ces paramètres ne sont jamais pris en compte en général par les dialoguistes de fortune qui forgent une langue de bois qui devient insipide et enlève toute crédibilité au personnage. Il faut se rappeler la virtuosité du dramaturge britannique qui, dans My Fair Lady, va introduire une jeune fille des rues, vendeuse de fleurs, à l'accent pathétique et au vocabulaire fleuri des titis de son âge, dans l'univers précieux des grands salons de la bourgeoisie londonienne. On peut évaluer dès lors les progrès de la jeune Lady au regard de sa diction et de sa rhétorique. Voilà un exercice qui tient du trapèze! Une fois le récit maîtrisé, le réalisateur doit s'occuper du découpage technique, fractionner son récit en séquences, ses séquences en plans. Déterminer chaque plan en fonction des buts qu'il cherche à atteindre, en fonction de la dramaturgie. Le choix des grosseurs de plans, de la place de la caméra et les mouvements de celle-ci doivent correspondre aux objectifs: description, expression des sentiments... Certains réalisateurs pensent que le film est déjà presque terminé une fois le découpage technique fait, le tournage n'étant qu'une formalité où sont réunies les conditions de la facture du film. Pour d'autres, l'aventure commence au tournage. C'est sur le terrain que s'improvisent les décisions finales. Le réalisateur doit avoir un minimum de culture, posséder un bagage en ce qui concerne l'histoire de l'art. Comment pourrait-il alors imaginer les plans prédécoupés, si, dans sa tête, il ne possède pas la galerie de tableaux qu'il a déjà mémorisés en visitant les musées ou en feuilletant les albums-photos de l'histoire de l'art. Comment peut-il dialoguer demain avec son directeur de la photographie, s'il ne connaît pas les différentes écoles de peinture, les techniques d'éclairage, les rapports de couleur ou tout simplement la valeur des cadrages'