Algérie

L'homme à la main verte



L'homme à la main verte
Il y avait un homme qui la cultivait. Qui s'en nourrissait. C'est une plante exceptionnelle. Elle mérite d'être reconnue. Ou plutôt réhabilitée. Parce que plus personne ne s'en nourrit. Elle pousse sur les pentes des régions arides, mais ne supporte par le froid, nous dit-on.Lui non plus.A moins cinq degrés, elle donne des signes de faiblesses avant de se redresser. Elle est reconnaissable à sa taille. Elle plonge ses racines profondément dans la terre. Elle domine littéralement son environnement du haut de ses cinq mètres. Elle atteint, parfois, les quinze mètres. Elle peut se le permettre puisque son tronc se distingue par sa grosse taille. Un tronc d'ailleurs qui ne supporte pas d'être touché à cause de sa rugosité. Il était le seul à l'apprivoiser. Ses fruits sont de couleur brune. Ses graines ont toute une histoire. Leur poids était, et demeure, en quelque sorte, une unité de mesure : le carat, utilisé depuis l'antiquité. Il est de l'ordre de 0,20 g. Le carat, comme chacun sait, vient de l'arabe qirat. Et lui, l'arabe, il maîtrisait.Elle a des propriétés insoupçonnées. Par exemple, en Allemagne, elle remplace le cacao. Sa pulpe est constituée de «quarante pour cent de sucres (glucose et saccharose), trente-cinq pour cent d'amidon, sept pour cent de protéines, et, dans des proportions plus faibles, des graisses, des tannins et des sels minéraux».Riche en calcium, phosphore, magnésium, silice, fer et pectine, ses «propriétés épaississantes sont dues à la présence d'un sucre, le galactomannane». Elle rassure.Cette plante, ou plutôt cet arbre, si peu exigeant et pourtant si prodigue en bienfaits, c'est le caroubier. Ses fruits, on en fait des confiseries. Mélangé a de l'huile de sésame (tahini) il se mange avec du pain. Ses graines permettent de produire une gomme utilisée surtout dans l'industrie alimentaire. Après avoir satisfait le monde paysan, il est à l'origine de nombreuses autres applications industrielles. Comme il l'en a soupçonné.Toutes ces vertus, et d'autres encore, ne pouvaient laisser indifférents des hommes de lettres et des poètes. Omar Khayyâm la mentionne dans ses Roubaiyate, ainsi que le poète Ahmed Rami. Autant dire des références incontestables.Curieusement, sa production en Algérie ne représente plus rien depuis quelques années. Autour de deux pour cent de la production mondiale. Autant dire la proportion de la population qui en consomme encore, contre vents et marées.Comme sa longévité est de 500 ans, disent encore les spécialistes - ils n'en demandent pas tant - des femmes et des hommes grappillent, ici et là, ses graines tombées par terre, - que personne ne récole plus, allez savoir pourquoi - espérant, à la longue, arriver à s'en alimenter au quotidien. Pour retrouver l'énergie perdue. Et, si ce n'est pas eux, disent-ils -parce que l'écorce de son tronc a été taillée par des malfaisants pour empêcher les quidams de le grimper - leurs enfants et leurs petits-enfants disposeront, espèrent-ils, de moyens pour parvenir à atteindre les sommets - là où se cachent, dans les feuillages, les fruits défendus.Ils gardent espoir même s'ils se font des soucis pour l'arbre et son protecteur disparu on ne sait comment. Même si nous savons tous pourquoi. Car cet arbre, depuis la disparition de son protecteur, est assailli de toutes parts. Les nouveaux gardiens le rendent responsables de beaucoup de maux et, prenant prétexte d'une relative désaffection, conséquence d'un matraquage insidieux au fil des décennies, ils lui tournent le dos pour aller chercher ailleurs ce qu'ils ont sous les yeux. Ailleurs, ce sont ces pays qui en consomment, qui ont favorisé sa culture et le bichonnent.L'homme, son gardien, croyait que le caroubier lui survivrait. C'était l'une de ses erreurs. Un arbre ne peut survivre s'il n'a pas disposé du temps pour se multiplier, si la population, séduites par d'autres cultures éphémères, en prend très peu soin. Ainsi il n'eut pas le temps de transmettre son projet. Sa vision.Personne ne pouvait parler de l'un sans évoquer le second. C'est pour cela, je crois, qu'on l'appelait Boukharouba. Mohammed Boukharouba, pour être précis. Le père du Caroubier.Boukharouba nous a quitté il y a 36 ans.Le Caroubier pleure Boumediene, comme il se faisait appeler.Les deux pour cent aussi.Et je ne sais quoi dire au Caroubier qui se flétrit.Quelquefois, je me dis que je ne donnerai pas cher de son tronc. Ou de ce qu'il en reste. Quelquefois seulement.




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