«Les dictatures
sont comme le supplice du pal : elles commencent bien, mais elles finissent
mal». G. Clemenceau.
Dans le monde
arabe, chaque jour qui passe inflige des camouflets retentissants aux
«révolutionnaires» de salon, à tous ceux qui assènent avec emphase, et l'air
pénétré que l'Egypte, la Jordanie, la Moldavie du centre et l'Algérie ne sont
pas la Tunisie et ne se ressemblent pas. Ce truisme que n'oserait pas un élève
de sixième dans un pays développé est décliné avec gourmandise et flagornerie
dans les «hautes sphères» arabes et par les adeptes des courbettes qui mettent
à mal des dos bien âgés pour l'exercice et qui trouvent des «spécificités
spécifiques». Ces dernières existent mais sont effacées tout simplement parce
que les peuples arabes partagent à 100%. Ce qui exacerbe leurs ressemblances
quotidiennes, des similitudes devenues déterminantes et communes échappent aux
nomenklatures arabes. Ces dernières, par l'autosuggestion croient depuis
longtemps qu'un pays offert par des militaires, un coup d'Etat hard, soft ou
hérité d'une guerre de libération ne peut leur être enlevé par les «gueux» ou
par la conjonction d'intérêts de puissances qui se pressent de lâcher celui
qu'ils ont aidé et trop méprisé, lorsque l'heure arrive.
Si les pays arabes et africains ont des
histoires différentes comme dirait le préposé aux évidences, ils ont
l'essentiel en commun, à la fin du siècle dernier et au début du 21ème. Le
chômage, le niveau de vie, la pensée unique non mise à jour depuis des
décennies, la prédation, des folles dépenses en armement, en «sommets bateaux»,
pour des «institutions» incapables de régler un litige entre deux mairies de
1300 habitants chacune sont caractéristiques des pays de l'U.A. et de la Ligue
arabe. Ces pays partagent aussi le viol répété des Constitutions, un pluralisme
taïwan, des élections avec des urnes magiques, l'étouffement des libertés, le
contrôle forcené du téléphone, d'un internet sous-développé et des médias
lourds héritiers d'un socialisme triomphant, la surveillance maladive du film,
du théâtre, du livre et l'hégémonie sans partage de l'administration. Voilà
pourquoi, malgré des différences, des cursus différents, les populations sous
dictature ou des régimes autoritaires à la pensée bloquée ont beaucoup plus
d'affinités, de ressemblances au quotidien que le pensent (vraiment?) les
pouvoirs arabes et leurs supplétifs. Certaines armées et des partis dirigeants,
lorsque leur échec est consommé, programment pour leur pays le vide politique
achevé durant leur règne, le chaos, les destructions, le pillage et
l'insécurité. Ils creusent des césures entre la société d'un côté, la police,
l'armée et la politique de l'autre. Parce qu'ils n'aiment ni leur peuple ni
leur pays. Ben Ali l'a fait avant de fuir et Moubarek l'a fait durant une
semaine et plus au moment où ces lignes sont écrites. C'est la preuve de la
schizophrénie et du mépris qu'ont de l'humanité les dictateurs. L'hiver 2011
est le leur, le début de leur chute sans calendrier ni hiérarchie
télécommandés. Parce qu'ils ont tout fait et au-delà, pour oblitérer la simple
éventualité d'une alternance, d'une transition pacifique et rendre impossible
toute médiation politique. Alors la Tunisie ouvre le bal, et c'est à la rue,
avec tout ce que cela implique, de prendre le pouvoir. Grâce essentiellement
aux dictatures.
Imaginons
l'Algérie sans aucune parabole, sans internet, sans téléphone ni facebook, et
seulement l'ENTV comme source d'information, de culture et de distraction. Les
jeunes, les vieux, les universitaires, les B.P. des partis, le syndicat unique,
les chercheurs, les journalistes, les ministres, les services, les communistes,
les intégristes, la famille «révolutionnaire», la main de l'étranger, le pied
du parti de la France, les impérialistes et les chiens des multinationales qui
volent les peuples, les chômeurs et les trabendistes deviendraient quoi? Des
morts-vivants, incultes, sans aucune idée des évolutions du monde, de la
science, du sport, des exploits de Messi, des tubes de Rihana, des prix Nobel,
Concourt etc. Des estomacs branchés sur l'Unique pour être au bout de quelques
jours, des «choses» sans cervelle, sans rêves. Heureusement que ce n'est qu'un
complot ourdi, déjoué! La reine mère, la meilleure chaîne d'information
continue au monde, les autres chaînes généralistes ou spécialisées ont capté
l'opinion algérienne et chaque composante de la population intéressée par tel domaine,
tel programme, tel sport, tel genre cinématographique, tel théâtre ou telle
musique. C'est la dépendance vis-à-vis de l'extérieur que certains veulent
combattre par la tchatche.
Et lorsque sur un ton sérieux, grave, avec un
regard qui porte plus loin que l'horizon, un grand chef politique invite
Ghannouchi à faire escale en Algérie, c'est que la maison Algérie n'a plus de
cap.
Cette invite,
déclinée par un homme qui n'a besoin que du soutien de ses militants, a
pourtant délivré deux messages. Le premier est que l'Algérie concernée par le
Sahel peut devenir La Mecque des islamistes. Le signal a sûrement été perçu 10
sur 10 par les grandes puissances. Le deuxième message est à consommation
interne: un parti majoritaire, dans une alliance majoritaire et en son nom
assène que la majorité au pouvoir aime les islamistes du monde entier. Dont
acte. Pérorer sur l'influence de l'extérieur sur l'intérieur «au moment où la
secte des dictateurs makfoufines arabes est sur un volcan c'est réellement
n'importe quoi. Il est plutôt attendu des gouvernants, pour limiter la
dépendance de proposer un plan pour arrêter le béton et développer massivement,
de suite l'agriculture, le médicament, la culture du blé, la fabrication de
véhicules, de laisser se développer un puissant audiovisuel (privé/public) et
rapatrier l'opinion algérienne dans le pays le plus parabolé de la planète. Ce
sont là des parades pour diminuer l'influence de l'extérieur sur le pays. Mais
c'est compliqué de combattre les barons du béton comme ceux qui blanchissent
dans l'informel, les vêtements du monde entier et le maintien coûte que coûte
des paiements dans des sachets et des bureaux de change dont les propriétaires
réels sont au dessus des lois. Les régimes peuvent établir des records
mondiaux. Moubarak a fermé l'internet, la téléphonie (fixe et mobile), facebook
pour l'ensemble des Egyptiens. Record unique! Les médias lourds publics de tous
les pays arabes ont réussi un autre exploit: celui de ne montrer aucune image
et ne rien dire sur ce qui se passe au Yémen, en Egypte, en Jordanie, en
Tunisie, et dans les communautés arabes en Europe. Les résultats directs,
immédiats sont faciles à analyser, même pour un ministre arabe qui n'a pas
fréquenté l'université. Les citoyens arabes se branchent sur Al Djazira et les
TV de l'Occident, à qui on reproche ses ingérences, perdent fierté devant la
misère intellectuelle et informatique de leurs médias et reproduisent pour leur
consommation d'images une dépendance tout aussi grave que celle pour les
céréales, les médicaments et l'addition aux armements. Ce type de dépendance
laisse de marbre les dictateurs qui, intuitivement, sans rien y comprendre,
limitent, «régulent» et mettent sur écoute le téléphone, l'internet et les
discours amoureux. Or, toutes les censures finissent parce que trop de censures
tuent la censure. Les exemples des seisupes tunisien, égyptien et d'autres
prévisibles doivent être médités et pacifiés par la négociation et l'ouverture.
Vite.
Les dictateurs ont libéré la rue et lui ont
ouvert toutes les portes. En verrouillant les médias publics devenus des copies
conformes de ceux des pays de l'Est avant la chute du mur, en bidouillant les
élections et le pluralisme, en surpayant des Parlements factices, en violant
comme une vieille maquerelle la Constitution en créant des oppositions
subventionnées, munies, contre décharge, d'une feuille de route, d'un cahier
des charges et d'un «programme d'opposition gentille. Lorsque des craquements
se font sentir, tous les régimes arabes activent le même logiciel certifié
conforme par la Ligue arabe et l'U.A. Les déploiements spectaculaires de
policiers et de militaires, le survol du pays par des hélicoptères,
l'activation comme dans les films des sirènes d'ambulances, de véhicules de
pompiers, de police, la répétition de communiqués lus à la TV d'une voix
lugubre, l'état d'urgence, le couvre-feu, la répression féroce de la moindre
velléité de manifestation, d'une expression «subversive», la circulation de
rumeurs (agents étrangers infiltrés, casseurs et pillages par milliers, menaces
aux frontières, dénonciation par les partis au pouvoir «des ennemis de la
patrie», des «valets rémunérés par l'étranger» et «les jaloux» du haut niveau
de notre économie et celui des analyses ô combien extraordinaires du zaïm (que Dieu
le préserve de l'Å“il mauvais) et des partis qui gouvernent etc. etc. Le
scénario de catégorie Z adoubé par les ministères préposés à la création, les
intellectuels organiques, les professeurs de l'art de courtiser et de maîtriser
les formules d'allégeance… Haro sur Al Djazira, les chaînes «mécréantes» à la
solde du grand capital, et solidarité active entre les dictateurs jusqu'à la
dernière minute qui arrive tôt ou tard!
Alors que
reste-t-il aux peuples? Aucun parti dans le monde arabe ne peut provoquer ou
diriger une révolution, une véritable révolte déterminante pour l'avenir de
chaque pays. Tous ceux qui sont proches des pouvoirs se taisent lorsque les TV
étrangères sont interdites sur le territoire, et en même temps, certains parmi
eux réclament avec coquetterie, l'ouverture dans les médias, des élections
anticipées, la dissolution du Parlement, l'ouverture politique tout en étant au
gouvernement, au Parlement, dans les associations supplétives qui guerroient
contre les ONG «hostiles» (au gouvernement ou bien aux peuples?), les cours
internationales de justice, les oppositions, les syndicats autonomes, les
médecins etc.
Aujourd'hui, les
situations politiques sont identiques dans les pays arabes où les citoyens, les
créateurs, les managers économiques, les initiatives hors système, hors
corruption, les expressions politiques sont réprimés, humiliés, marginalisés.
La colère des rues arabes, les immolations, les grèves, les émeutes, les
destructions sont les mêmes et ont la même et seule cause: la nature politique
des régimes. Lequel des dirigeants peut dire qu'il est aimé sinon respecté
comme Mandela l'est par son peuple? Voir sur la TV publique en Egypte, les
images d'un vieillard qui intronise un autre vieillard, seuls dans un bureau
est terrifiant. Quel est le dirigeant qui va, demain, embrasser ce responsable
égyptien, chef des services qui jouit de la confiance d'Israël?
Al Djazira,
L.C.I, BFMTV, France 24 nous ont permis de voir des F17 et des chars neufs
déployés pour faire peur aux Egyptiens. On a vu donc où va l'argent de certains
peuples: pour l'achat d'armements destinés à les mater, les tuer, les avilir.
En face, des jeunesses qui n'ont connu qu'un despote, un parlement servile bien
payé, une pensée unique à plusieurs «théoriciens», l'état d'urgence, des médias
incolores aux ordres, s'emparent de la rue. Les responsabilités dans chaque
pays arabe n'incombent pas à un seul homme, même s'il a tous les pouvoirs. Des
partis, des hommes politiques, des syndicats, des intellectuels, des
technocrates peuvent être de parfaits gestionnaires de l'asservissement de leur
peuple. C'est l'hiver des dictateurs makfoufines qui tomberont sur le court, le
moyen ou le long terme pour leur refus d'ouvrir les yeux.
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Posté Le : 03/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abdou B
Source : www.lequotidien-oran.com