Algérie

L'Histoire n'est le bien exclusif d'aucune génération



De la lecture de la contribution de M. Abdelalim Medjaoui parue dans Le Soir d'Algérie du mercredi 1er août 2012 (page 6) et cela en réponse à la mienne datée du 18 juillet, je reste, vraiment, ébahi par le ton moralisateur quelque peu enroué de paternalisme, de condescendance et de populisme, à la fois.
Par Ouali Aït Ahmed
Ancien officier de l'ALN
Faut-il laisser les aiguilles trottiner ou remettre les pendules à l'heure ' Par respect au lectorat en général et aux éminents historiens, en particulier, je me fais un devoir d'en relever les errements, d'autant plus que l'auteur ne nous a pas éclairés de ses vastes connaissances quant à la problématique posée, à travers l'information rapportée par Sofiane Aït-Iflis qui écrivait que «Fouad Soufi récuse ferme la thèse de ceux qui estiment que la date véritable de l'indépendance nationale est le 3 juillet». D'emblée, je tiens à tranquilliser l'auteur et le mettre à l'aise, en lui précisant que je n'ai nullement l'intention, ni la prétention de m'improviser historien, comme il l'écrit, et je me place en position de citoyen libre en dehors de ce qu'il appelle «notre interventionnisme de porteurs de mémoire tout en étant divisés au plan politique et nous opposant les uns aux autres, nous nous posons comme pouvoir intellectuel national», dont il est partie prenante. Et quand il m'arrive d'intervenir, par des écrits ou par voix porteuse, je ne le fais que pour apporter des témoignages sur la période vécue et consignée sur des agendas personnels qui sont toujours en ma possession. Donc, je n'ai nullement attendu ses conseils pour le faire à des historiens de renom et aux nombreux étudiants qui préparent des mémoires de licence, des thèses de magister et de doctorat dont je ne puis que taire les noms et que je salue avec chaleur et respect, à travers ce billet. Sans retenue, l'auteur nous invite, par le titre de son article, à avoir «un peu de bienveillance pour nos historiens». M. Medjaoui oublie, par là, que nos historiens ont une vision claire et nette du concept de la citoyenneté, au sens le plus noble du terme, et qu'à ce titre, ils sont «majeurs et vaccinés». Ils n'ont nullement besoin de tutorat de qui que ce soit dans la manière de mener leurs travaux de recherche. Leur information et la noblesse de leur mission les placent bien éloignés du genre «AYAW AH !» qui ameutent si facilement pour couper routes et voies publiques sans se rendre compte qu'ils «enfoncent le clou par devers le pan de leur burnous» en ne créant tracas et désagréments qu'aux usagers. Il ignore qu'avec leur haut niveau intellectuel, ils ne peuvent que refuser toute forme de pressions, d'où qu'elles viennent et d'interventionnisme». Il leur colle, par là, une tare qui les rend impuissants face «aux rapports qu'ils entretiennent avec le pouvoir intellectuel de l'université française qui, avant même le début de l'occupation coloniale, s'est approprié notre histoire nationale», souligne- t-il, sans se rendre compte du coup de sabre qui leur porte à travers ces lignes irréfléchies. Si certains se placent en satellites, happés de la force attractive de l'idéologie néocoloniale, ils ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes dans leur incapacité de se défaire de leur complexe d'éternels colonisés. Plus loin, il dégaine son affirmation pour dire qu'«en tout état de cause, n'est-ce pas que maintenant, c'est plus leur histoire que la nôtre, celle des jeunes générations». Voilà que les dés sont jetés et tout devient clair, comme l'eau de roche. L'histoire de la guerre de libération ne fait plus partie de l'histoire de l'Algérie pour devenir, de ce fait, propriété exclusive d'une génération : la nôtre !... Et «l'histoire des jeunes générations » nous en sommes exclus d'ores et déjà. Ainsi l'histoire nationale se découpe en histoires de générations : la nôtre, la vôtre, la leur, en attendant de s'effilocher en historiettes : la mienne, la tienne, la sienne !...Ainsi, touche-t-il du doigt le mal originel qui a fait que notre pays a toujours été occupé par différents envahisseurs successifs, depuis la nuit des temps, jusqu'à une date récente. Il oublie que l'histoire d'un pays se tisse en tresse (amezruy) ininterrompue et à l'infini depuis la nuit des temps jusqu'à nos jours pour ne cesser qu'avec la disparition de la planète Terre. L'histoire se rattache toujours à un pays donné qui est une donnée première, fondamentale et fixe, alors qu'un peuple est une superstructure variable, pouvant se métamorphoser par des forces intra ou extra-muros. Elle n'est nullement servie en tranches de boudins. Le 5 juillet 1830 aussi amère soit-elle, nous en sommes partie prenante, car elle aura le mérite de nous servir de leçon. Par ailleurs, à lire M. Medjaoui, la colonisation française n'a dressé d'obstacles pour les jeunes «indigènes» qu'au niveau du choix des filières à l'université. Il passe sous silence toute l'idéologie de Jules Ferry qui nous classait en basse sphère de la race inférieure, comparée à la sienne de plusieurs degrés supérieure. Pourtant, s'il est bien de ma génération, il doit bien connaître que seulement 10% des enfants autochtones allaient à l'école. Et ceux qui pouvaient atteindre l'enseignement supérieur, ils étaient peu nombreux, du fait que l'université d'Alger et ses annexes d'Oran et de Constantine étaient réservées presque exclusivement aux enfants de colons. Leur choix se faisait en fonction des perspectives d'insertion sociale pour aider leurs familles à atténuer la misère dans laquelle elles vivaient. Par conséquent, l'administration n'avait nullement besoin d'interdire le département d'histoire aux autochtones. Elle aurait été bien heureuse de leur enfoncer davantage le clou dans le sens «nos ancêtres Gaulois» et leur faire oublier leur origine propre, les Imazighens, qu'ils soient amazigho-phones, arabophones ou francophones. M. Medjaoui relève à ses yeux, la contradiction entre le mouvement d'ensemble que constitue le combat des hommes et des femmes, et la lutte des clans «en sourdine» d'abord , «ouvert» ensuite lors du congrès de Tripoli, en juin 1962. Il doit savoir que si le combat de David face à Goliath est héroïque, c'est parce que face au déséquilibre des forces important et aux coups reçus de la part du géant, il a fini par triompher. Si Goliath avait triomphé, on n'aurait jamais parlé d'héroïsme, ni d'ailleurs de l'équipe de Hassasna qui a su triompher de beaucoup d'équipes huppées, malgré les buts, qu'elle, aussi, encaissait. En résumé, le combat des hommes et des femmes face à la puissance coloniale loin d'être linéaire, ne perd rien de son héroïsme et de son aura, malgré la lutte en «sourdine» à visage découvert, au haut niveau de la hiérarchie, pour la prise de pouvoir. Ce qui est «drôle» et criminel à la fois, c'est le fait de continuer à débiter des contre-vérités et des mensonges portant des dérapages fatals pouvant déboucher sur une fragilité interne suscitant et attisant la cupidité externe tous horizons confondus. Pour embrouiller la piste à propos de la signature de la reddition d'Alger, le 5 juillet 1830, signée par le Dey Hussein pour sauver son trésor et sa famille, l'auteur de l'article conclut par le leitmotiv de «valeurs arabo-musulmanes» oubliant, comme de coutume, les racines amazigh qu'il faut irriguer, été comme hiver, pour fortifier la charpente porteuse et les différents greffons nourris de la même sève. Faire fi des racines et de la charpente, c'est s'inscrire de nouveau dans la quadrature de l'échec. Et l'avenir de notre pays ne pourra se retrouver que dans la promotion de la citoyenneté, faisant abstraction de tout ce qui divise, qu'il soit d'ordre ethnique, linguistique, religieux ou communautaire. Le combat est à ce niveau pour la consolidation de l'unité nationale et la cohésion sociale. Et son emblème national s'inscrit toujours, comme à sa création, dans une perspective d'un Etat confédéral nordafricain. En conclusion, il est temps de revenir à notre fête de l'indépendance pour la célébrer le 3 juillet. Quant au 5 juillet, nous devons nous en souvenir pour que d'autres 5 juillet 1830 ne se répètent plus, que cela vienne de «frères», d'«amis» ou d'ennemis. Et c'est en tant qu'Algérien, jaloux de la souveraineté de son pays, que je ne cesse de le répéter. Seule la vérité est révolutionnaire pour s'inscrire dans la vision de Montesquieu qui a dit qu'il faut être «vrai partout, même sur sa patrie. Tout citoyen en est obligé de mourir pour elle, mais personne n'est obligé de mentir pour elle». Cela m'amène à souligner que, pour moi, il n'existe pas de situation cornélienne dans le choix entre le «frère» ingrat et lâche et «l'ami» sincère et fidèle. Je me place, ainsi, aux antipodes de la décision d'Albert Camus qui a choisi durant la guerre de libération nationale sa «mère» à la justice et dont M. Abdelalim Medjaoui semble épouser la doctrine.


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