Algérie

L'histoire mouvement'e de la base de l'Est (1re partie)



Par Mohamed Maarfia
Au-del? des jugements ? l'emporte- pi'ce port's sur des hommes qui ont exerc? de grandes responsabilit's pendant la guerre de Lib'ration, au-del? des verdicts prononc's injustement contre beaucoup d'entre eux, demeurent les vraies questions d'histoire que n'ont pas 'puis? les d'bats ouverts dans le cadre des rencontres cycliques des acteurs de la R'volution, les livres publi's ou les 'crits parus dans la presse.
Le sujet relatif ? l'histoire de la Base de l'est m'rite d?'tre revisit?. Les grands 'v'nements qui ont 't? ? l'origine des dynamiques qui ont conduit ? la victoire ont eu souvent pour cadre la Base de l'est. Pourquoi la Base de l'est a-t-elle 't? cr?'e ' Qui a cr?? cette Base d'o? ont pris leur 'lan des hommes qui serviront, plus tard, leur pays ? de hauts postes de l'etat : Chadli Bendjedid, Tahar Zbiri, Mohamed-Ch'rif Messa'dia, Ahmed Dra'a, Abderrahmane Bensalem, Khaled Nezzar, Abdelmalek Guena'zia, Djeloul Khatib, Selim Sa'di et tant d'autres moudjahidine ' Qui 'tait ce colonel Amara Bouglez qui a su projeter sa vision au-del? des horizons o? il exer'ait un commandement sans partage ' Est-il vrai que c'est gr'ce aux moyens de la Base de l'est qu'une poign'e d'hommes (Ouamrane, Krim, Bentobal, Boussouf), venus seuls en Tunisie ? partir de la fin de l'ann'e 1956, porteurs d'un simple sigle (CCE), ont pu s'imposer et concr'tiser le cahier des charges de la Soummam ' Qu'est-ce que l'acheminement ' Pourquoi cette op'ration vitale pour la R'volution a conduit ? la bataille des fronti'res qui a 't? ? l'origine de l'acc'l'ration de la dynamique qui a conduit les Fran'ais ? leur 'impasse d'evian. Mohamed Maarfia, t'moin de la naissance de la Base de l'est, rappelle le cheminement qui a vu une ALN d'sorganis'e, et parfois d'sorient'e, devenir dans le Nord-Est alg'rien une force militaire disciplin'e, capable d'initiatives strat'giques et d'offensives frontales. Il dresse, dans le m'me texte, le portrait du colonel Amara Laskri, dit Bouglez, trop longtemps m'connu, alors que les combats que cet homme a men's ont eu une incidence positive remarquable sur le cours de la R'volution.
R. N.
Une base ? l'est
Dans les structures de l'aLN, la place de la Base de l'est a 't? importante. Le r'le essentiel qu'elle a jou? et qui a fait faire ? la r'volution une avanc'e qualitative remarquable est d? ? plusieurs facteurs : sa position g'ographique, la nature du terrain qu'elle contr'lait, les moyens qu'elle a mis en œuvre, la d'termination de ses unit's et les qualit's du chef charismatique qui l'a cr?'e et qui l'a longtemps command'e : le colonel Amara Bouglez. Le directoire politique de l'alg'rie en guerre, le CCE, issu du Congr's de la Soummam, a donn? la priorit? au renforcement de la lutte arm'e par la restructuration de l'aLN et par un effort cons'quent pour la doter en moyens militaires performants. La d'l'gation ext'rieure du FLN, avant sa capture en octobre 1956, avait s'rieusement d'grossi le dossier de la source des approvisionnements aupr's de certains pays du Moyen-Orient. Le CCE (Comit? de coordination et d'ex'cution), anim? par son noyau dur, travaillera ? 'largir la sph're g'ographique o? la r'volution alg'rienne pouvait pr'tendre ? des solidarit's agissantes traduites par l'ouverture des d'p'ts militaires. La seconde phase, sans doute la plus difficile, sera l'acheminement des mat'riels militaires, obtenus d'une fa'on ou d'une autre, jusqu?? leurs futures utilisateurs dans les profondeurs des djebels alg'riens. Amar Ouamrane, arriv? en Tunisie ? la fin de l'ann'e 1956 en 'claireur du CCE, avait tout de suite compris qu'il fallait une base ? l'est, un tremplin aux ressorts 'prouv's pour faire faire l'ultime bond aux mat'riels qu'ils allaient faire parvenir ? la porte tunisienne de l'alg'rie en guerre. Ce tremplin existe d'j?, c'est la zone autoproclam'e autonome de Souk Ahras. 'autoproclam'e? ! Pourquoi cette r'gion, qui s?'tend de la Calle jusqu'au nord de T'bessa, sur une profondeur de quelques dizaines de kilom'tres, s'est-elle proclam'e autonome alors, qu?? l'origine, elle faisait partie de la Wilaya II ' L'explication tient en quelques phrases : l'immensit? du territoire de la Wilaya II et ses moyens au d'but limit's n'ont pas permis une coordination effective entre le commandement de la wilaya et les unit's op'rant ? l'extr'me nord-est apr's la mort, le 11 janvier 1955, de B'ji Mokhtar fond? de pouvoir de Youssef Ziroud. L?'tat-major de la wilaya, apr's l'effort consid'rable du 20 ao't 1955 et les r'pressions men'es par l'arm'e fran'aise, s?'tait impos? un repli tactique. L'aur's, au z'nith de sa puissance, d'sireux d?'tendre partout la r'volte, et parce qu'il voulait f'd'rer, sous la houlette de sa prestigieuse Idara,les r'gions berb'rophones audel? des pi'monts du grand massif montagneux du centreest, a affect? d'autorit?, dans cette r'gion de Souk Ahras, des officiers (Tahar Arfa, puis Louardi Guettel et Amor Bouguessa) et des unit's de combat. Youssef Zirout, et apr's lui Lakhdar Bentobbal et Ali Kafi, ont admis tacitement cette main- mise de l'aur's du moment que l'action de ce dernier concourrait puissamment au but commun. Il faut rappeler que l'offensive du 20 ao't 1955 a 't? lanc'e, entre autres raisons, par le commandement de la Wilaya II pour soulager l'aur's assailli par des forces ennemies consid'rables. Les particularit's sp'cifiques aux deux r'gions ? le nordconstantinois et la r'gion de Souk Ahras ont eu, sans jamais remettre en cause la fraternit? d'armes, l'effet de deux p'les positivement charg's. C'est ainsi que le fait accompli de l'aur's ne sera pas remis en cause au moment des discussions concernant la pr'paration du Congr's de la Soummam men'es par Brahim Mezhoudi et Amar Benaouda, membres 'minents de l?'tat-major de la Wilaya II, lors de leur rencontre avec Louardi Guetel, vers la fin du mois de mai 1956 ? Khef Erekhma, au nord de Souk Ahras. Lorsque la coh'sion du commandement de l'aur's sera 'branl'e apr's la mort de Mostefa Ben Boula'd, les difficult's qui s'en suivront auront une r'percussion jusque dans l'extr'me nord de la Wilaya I. La mort tragique de Amor Djebar, un important chef local, conduira au retrait en juin 1956 des officiers nememchas. Leur d'part pr'cipit? cr'era un grand vide et laissera dans le d'sarroi les maquis du nordest. Le Congr's fondateur de la Soummam n'a pas encore eu lieu. La Wilaya II est tourn'e vers d'autres priorit's. L'aur's est d'sormais absent. Le m'rite de Amara Bouglez (de son vrai nom, Laskri) ancien sous-officier m'canicien de la marine fran'aise, qui commandait le secteur de la Calle en 1956, est d'avoir su faire preuve d'opportunisme b'n'fique pour la r'volution en se posant en successeur de ceux que le mouvement giratoire qui s?'tait empar? de l 'idarade l'aur's avait aspir's. Il saura r'pondre avec intelligence ? la question concernant la l'gitimit? de sa candidature que posaient des chefs locaux m'fiants et recroquevill's sur eux-m'mes. Parti des hauteurs qui surplombent la Calle, au d'but du mois de juillet 1956, Amara Bouglez ? il tient le surnom de Bouglez d'un lieu-dit, la source de Bouglez, qu'exploitait son d'funt p're ? visitera, accompagn? d'un groupe de jeunes B'nois rieurs, diserts, les principaux bivouacs des puissants groupes arm's demeur's sans chef, sans coordination et sans perspective. Grand de taille, svelte, brun de peau, la voix l'g'rement rauque, le geste tour ? tour ample ou bref, habill? d'une 'canadienne? au col duvet? de laine, arm? d'une carabine US, Bouglez rendra tr's vite sa silhouette famili're dans les moindres recoins de la zone de Souk Ahras. Il r'p'tera sans se lasser les m'mes arguments : 'ecoutez-moi, 'coutez-moi bien, sans l'union, l'organisation et l'ordre, les mousquetons harkis seront bient't dix fois plus nombreux que nos mausers. C'est 'a que vous voulez '? Ses interlocuteurs 'taient impressionn's par l'apocalypse qu'il d'crivait si leur ent'tement ? refuser l'union et la discipline devait perdurer. Sa force de persuasion, il la tirait de sa conviction. Livr's ? eux-m'mes, isol's les uns des autres, manquant de l'essentiel, luttant par d'sespoir, ils n'esp'raient plus rien de l'avenir, et voil? que l'ancien marin venait leur communiquer sa foi in'branlable en la victoire, et exprimer sa d'termination ? tout faire pour surmonter les 'preuves qu'ils vivaient tous. Beaucoup de ceux qui avaient t't? du B 26, de l'half truck et du harki qui connaissait les dialectes, les pistes et les r'seaux de soutien, verront en lui l'homme de la situation. Les autres, les plus r'tifs au joug de la discipline, se rallieront, contraints et forc's, lors de la r'union tenue dans la ville frontali're du Kef le 22 septembre 1956. L'intervention muscl'e de la garde nationale tunisienne, sur ordre de Bourguiba, en sa faveur, et le 'vous serez le goulot de la bouteille ?, 'crit par Ben Benbella et confi? au commandant Tahar Sa'dani, ? Tripoli, d'cideront de l'issue heureuse de la rencontre.
Ou le colonel Bouglez fait feu de tout bois
D'sormais reconnu par ses pairs, Amara Bouglez se met en devoir d?'valuer ses moyens et ses possibilit's. Sur le plan militaire, il dispose, au centre, des militaires alg'riens qui ont d'sert? le camp fran'ais de Lebtiha situ? ? quelques kilom'tres de la ville de Souk-Ahras, avec armes et bagages en mars 1956 et qui sont regroup's autour du 'chef? Abderrahmane Ben Salem et de son compagnon Mohamed Aouachria. Ils occupent la r'gion de Ouchtetta et le bec de canard, une saillie alg'rienne au droit de Ghardimaou, petite ville ? l'extr'me-ouest de la Tunisie. Plus ? l'est, op'rent les groupes de Tayeb Djebbar, confort's par la pr'sence, dans leurs rangs, de nombreux transfuges de l'arm'e fran'aise ayant fait leurs classes en Indochine. Les for'ts des B'ni Salah sont tenues par les unit's de Slimane Belachari, un v't'ran du mouvement national. Ce centre deviendra, dans peu de temps, la zone d'op'ration du 2e bataillon de la Base de l'est qui sera confi? ? Abderrahmane Ben Salem. Du sud imm'diat de Souk Ahras jusqu?? Louenza, activent les groupes de Sebti Bouma'raf, Mohamed Lakhdar Sirine, Mohamed Lasnam, Hadj Lakhdar Daoudi et Abdallah Sl'mi. Ces 'l'ments, nombreux et tr's aguerris, formeront l'effectif du 3e bataillon. Tahar Zbiri, de retour de l'aur's, sera bient't ? sa t'te. Au Nord, dans le demi-cercle dessin? par la ligne qui relie le pi'mont oriental de l'edough ? la lisi're des for'ts des Beni Salah et qui remonte vers Tabarka, laissant ? l'extr'me- nord le phare ancien de la Calle, activent les premiers compagnons de Bouglez, quelque quatre cents hommes. Ces v't'rans, dont l'intr'pide Allaoua B'cha'ria et le chanceux Chadli Bendjedid, constitueront le noyau dur du futur 1er bataillon que commandera Chouichi La'ssani. Les 'citadins? du commando de Slimane Laceu (Guenoune Slimane) activent, eux, ? la p'riph'rie imm'diate des implantations militaires de l'arm'e fran'aise et dans la ville de Souk Ahras. Bouglez, d'sormais en position de force, fin politique, r'pond au souci des nouvelles autorit's tunisiennes, d'sireuses de voir l'ordre r'gner chez elles, en prenant une s'rie de mesures destin'es ? faire respecter par ses maquisards la souverainet? du pays d'accueil. Il se place, ainsi, dans la position d'interlocuteur valable face ? Driss Guiga, commissaire central, puis ministre de l'int'rieur, ou au d'bonnaire Bahi Ladgham, vice-pr'sident de la jeune R'publique tunisienne. Il impose la concertation avec le commandant Mahdjoub Ben Ali, chef de la Garde nationale bourguibienne, pour r'soudre par le dialogue les nombreux probl'mes n's des incessants va-et-vient des hommes de l'aLN ? travers la fronti're. Estimant, ? juste titre, que la r'volution alg'rienne a tout ? gagner d'une Tunisie stable, il repousse ostensiblement les avances de Salah Ben Youssef, le leader de l'aile maximaliste du N'o Destour comp'titeur d'termin? du pr'sident tunisien. Mais, se m'fiant d'une 'ventuelle versatilit? de ce dernier, il maintient dans les unit's de Sebti Bouma'raf un des plus combatifs de ses chefs de guerre, des moudjahidine youss'fistes qui ont combattu l'arm'e fran'aise pendant les 'v'nements de Tunisie, et qui sont venus s'int'grer ? l'aLN, sous la banni're des 'combattants de l'afrique du Nord?. Gr'ce ? son sens du compromis, son r'alisme, ses choix pertinents, il engrange, sans prendre de risques, d'inestimables avantages pour la r'volution. Le premier et le plus important est la b'n'diction de Habib Bourguiba pour l'installation de bases de l'aLN en territoire tunisien. Il ne c'de pas aux options exprim'es, parfois v'h'mentement, sur le maintien du commandement ? l'int'rieur de l'alg'rie. P'dagogue, il explique patiemment aux puristes de la r'volution, et aux allum's du djihad, qu'il est vain d'esp'rer un 'tat d?'quilibre entre les forces de l'arm'e alg'rienne naissante et celles de l'ennemi. Il estime ? et il cite des exemples illustres ? l'appui de sa d'monstration ? que pour durer et esp'rer vaincre un jour, la seule alternative pour un mouvement ind'pendantiste encore faible est de b'tir, ? l'abri d'un sanctuaire, les conditions d'une longue r'sistance. 'l'arm'e fran'aise respectera-t-elle la souverainet? de l'etat tunisien '? Ou bien 'n'est-il pas aventureux de concentrer notre 'tat-major et de le s'dentariser dans un endroit connu de l'ennemi '? Ce sont l? les questions judicieuses qui lui sont pos'es. Le proche avenir d'montra que l'analyse qu'il avance est clairvoyante : 'les Fran'ais seront certainement tent's de r'occuper la Tunisie et le Maroc pour neutraliser durablement les bases arri're de l'aLN, mais un facteur le leur interdira toujours : la conviction que leur agression provoquera la cr'ation d'un front nord-africain uni et d'termin? ? leur r'sister. Ils n'ont pas les moyens humains, mat'riels, financiers et diplomatiques pour s'engager dans une telle aventure. Ce qui est ? craindre, et il faudra veiller ? s'en pr'munir, ce sont des actions de commandos, ponctuelles et limit'es dans le temps, contre nos installations. ? A la veille de l'arriv'e de Amar Ouamrane en Tunisie, Bouglez a d'j? fait l'essentiel en mati're de remise en ordre dans les rangs des groupes arm's qui activent dans le Nord-Est. En tr's peu de temps, il a montr? son savoir-faire. Avant m'me la r'ception des organigrammes de la Soummam, les unit's qu'il commande sont restructur'es par Abderrahmane Bensalem et Mohamed Aouachria, les deux c'l'brissimes d'serteurs de mars 1956, selon le mod'le fran'ais qu'ils connaissent bien. Les anciens seigneurs de la guerre, qui tiennent les djebels, sont entr's dans le moule fa'onneur. Ils ob'issent aux ordres de la nouvelle hi'rarchie. Des centres d'instruction sont ouverts. De jeunes maquisards y apprennent les rudiments du m'tier des armes. L'organisation, mise en place par Amara Bouglez pour 'lever le niveau de l'aLN, fera 'cole, ? telle enseigne que Houari Boum'di'ne, visitant ces installations au courant du deuxi'me semestre de l'ann'e 1957, demandera et obtiendra l'affectation en Wilaya V de l'officier Khaldi Hasnaoui, un des instructeurs de la Base de l'est.
Au nom du CCE
A souk Al Arba?, o? il s'installe avec son staff, d's octobre 1956, une administration voit le jour. Sous la houlette du dynamique Layachi Bena'zza, elle m'ne une action dans toutes les directions gr'ce ? des militants d'vou's et comp'tents : Tahar Sa'dani, Ahmed Nidham, Tahar 'spaguet ?, Amar Bosco, Rabah Nouar, Hama Chouch'ne, Abdelkader Laribi, Daoudi Abdeslem, Salah M'chentel, Mahmoud Harathii, Ahmed Dra'a, Abderrahmane Bouraoui et tant d'autres. La Tunisie et la Libye sont minutieusement prospect'es par Ali Ben Ouerdja et Hadj Hocine Sahraoui ? la recherche des armes abandonn'es en 1943 par l'afrika Korps de Rommel et de Von Arnim. Le r'sultat est parfois fabuleux. Les carabines mausers, (auxquelles les maquisards vouent un v'ritable culte), les mitrailleuses MG 42 et 43, les PM 'schmeisser?, les pistolets 'luger? ou 'parabellum ?, font le bonheur des hommes de Bouglez. L'argent manque. Il ordonne l'exploitation du li'ge. Les ch'nes des for'ts des Ouled Bechih et des Beni Salah sont une v'ritable manne c'leste. Le produit de la vente, r'alis'e par l'interm'diaire de Salah Othmani, grand n'gociant d'origine alg'rienne install? ? Tunis, permet de pallier au plus urgent : la sempiternelle 'mhamssa? des popotes et les chaussures Palladium, dont les maquisards font un usage consid'rable. Les m'dicaments sont r'duits ? l'aspirine et au mercurochrome. 'el imen, baba !? tient lieu de recette miracle pour vaincre le froid, la fatigue et les mille petites douleurs du quotidien. De g'n'reux donateurs viennent au secours de l'aLN. De richissimes membres de la diaspora kabyle d'nouent leur bas de laine, et des commer'ants djerbis, en majorit? fid'les ? Salah Ben Youssef, le secr'taire g'n'ral dissident du N'o- Destour, offrent des centaines de gourdes en fer blanc, des chemises, des pataugas. Les r'fugi's commencent ? affluer en Tunisie, chass's de leurs mechtas par les bombardements de l'aviation, ou fuyant les camps dits, pudiquement, de 'regroupement?. Bouglez essaie, avec le peu de moyens dont il dispose, de soulager leur d'tresse. Les rapports qu'il dresse de la situation de ces d'racin's, rapports confi's ? l'uGTA qui vient d'ouvrir un bureau aupr's de l'uGTT ? Tunis, tenu par le dynamique Brahim Bendriss, seront utilis's dans peu de temps par Ahmed Boumendjel et M'hammed Yazid pour sensibiliser les Croix et Croissants Rouges de la plan'te ? ce qui se passe ? la fronti're tunisienne. D'cembre 1956. Ouamrane rejoint la Tunisie. L'homme a l'aspect d'un bulldozer. Il en a la force. Une grosse t'te pos'e sur le cube puissant du buste. Un visage aux traits durs. Des m'choires impressionnantes. Un accent du terroir brut de d'coffrage. Il est surtout oint de l'huile sainte d'ifry. Les autres atouts de ce gu'rillero de fer sont des 'tats de services anciens et connus de beaucoup d'anciens militants nationalistes du Nord-Est : un engagement ancien dans le mouvement national, un choix pr'coce pour la lutte arm'e, (condamn? ? mort en 1945 pour cause de mutinerie du r'giment de tirailleurs dont il faisait partie et hors la loi fran'aise avant la lettre de Novembre, d's sa sortie de prison), un r'cent et prestigieux commandement wilayal et une proximit? valorisante avec le l'gendaire Belkacem Krim. Mais cela lui aurait-il suffi pour mener ? bien sa mission ? l'est, s'il n'avait point rencontr? ? apr's quelques t'tonnements ? Amara Bouglez ' L'entrevue entre les deux hommes se d'roule dans le bureau de Driss Guiga. Les 'changes sont brefs, mais suffisants. ? 'je repr'sente le CCE, voil? mon ordre de mission?. ? 'bienvenue parmi tes fr'res moudjahidine, colonel Ouamrane?. Tout est dit. Bouglez, l'galiste, 'minemment politique, se met ? la disposition de l'autorit? l'gitime de la r'volution. Ouamrane, m? par le souci de doter le CCE d'une force militaire cons'quente, et surtout ind'pendante des 'tats-majors des wilaya, confirme Bouglez dans son grade de colonel et ent'rine l'autonomie de la zone qu'il commande. Les moyens mis ? la disposition de Ouamrane mettront fin aux agissements fractionnels d'ahmed Ben Bella, ouvertement insurg? contre le principe abanien de 'la primaut? de l'int'rieur sur l'ext'rieur? qui le d'choit, ipso facto, de la pr?'minence qu'il s'est autooctroy'e. Le repr'sentant de ce dernier, Ahmed Mahsas, qui avait r'ussi ? circonvenir l?'tat-major de l'aur's et ? l'inciter ? ne pas reconna'tre la l'gitimit? du directoire politique issu du congr's de la Soummam, d'crit comme une 'dunette? r'gionaliste, est contraint de quitter Tunis dans la pr'cipitation, exfiltr? in extremis, par les services de Driss Guigua. Quelques jours apr's cette premi're rencontre avec Ouamrane, Bouglez r'unit son staff de commandement et ses officiers de l'int'rieur dans la propri't? d'un Alg'rien non loin de la ville tunisienne de B'ja. Il pr'sente Ouamrane. Son pr'ambule va au principal : 'le congr's du FLN, qui est l'autorit? supr'me de la r'volution, a d'sign? une direction politique, le colonel Ouamrane, que voici, la repr'sente. En votre nom, je d'clare que nous reconnaissons cette direction. En votre nom, je souhaite la bienvenue ? si Amar.? Il poursuit, avec le langage imag? qu'il affectionne, tout en agitant un gros classeur de couleur blanche : 'ceci est le nouveau code de la route de la R'volution. Il a 't? r'dig? par Larbi Ben M'hidi, Abane Ramdane, Belkacem Krim et Youssef Zirout. Le chemin qu'il balise conduit ? la victoire?. Il passe la parole ? Ouamrane. Les officiers de la Base de l'est, r'unis par Bouglez pour 'couter l'homme, que le journaliste Robert Barrat a m'diatis? en mars 1955, attendent de lui qu'il commente, ? leur usage, les articles du LIVRE qui vient de leur 'tre R'v'l? et qu'il leur donne sa propre analyse sur les perspectives ? plus long terme de la r'volution. Ouamrane n'est pas un tribun. Il estime qu'il n'a nullement besoin de pr'cher la r'volution ? ceux qui la font. Il se contente de montrer par-dessus son 'paule, du pouce de sa main droite, le gros classeur que tient toujours Bouglez, et en hochant la t'te d'une fa'on significative, il dit : 'nous l'appliquerons !?, puis il encha'ne sur sa r'cente rencontre avec Habib Bourguiba. Discours 'pique valant bien des envol'es ! Les mots, dont il dit avoir us? devant le pr'sident tunisien, sont un 'chantillon du lexique 'diplomatique? dont il fera bient't 'talage ? Tripoli, au Caire ou ? Baghdad. La tenue droite et le langage fort du rugueux maquisard ont pos? d'finitivement, ? sa juste place, la R'volution alg'rienne sur l?'chiquier r'gional : 'a djma?, j'ai rencontr? hier ce couillon de Bourguiba et je lui ai dit assma? mlih, la R'volution alg'rienne a pris son essor. D'sormais, elle traitera avec chacun d?'gal ? 'gal?? Mouvements divers dans les rangs des officiers de la Base de l'est pr'sents ce jour-l? . On se rapproche de l'homme de la Soummam. On l'entoure de plus pr's. Son attitude face ? Bourguiba traduit une nouvelle donne. Elle ne pr'te ? aucune 'quivoque. Ils en saisissent imm'diatement le sens : l'alg'rien en Tunisie, au Maroc, en 'gypte ou ailleurs n'est plus le cousin pauvre, il n'est plus l'orphelin de l'histoire, il est d'sormais le fils de la grande r'volution de Novembre. Quelqu'un ose une interrogation. ? 'qu'est-ce que Bourguiba vous a r'pondu, mon colonel '? ? ? Assia'ka, il pense ce qu'il veut le type, l'essentiel est qu'il sache que les armes qui vont arriver passeront ? travers la Tunisie et arriveront jusqu'? vous, co'te que co'te !? C'est peut- 'tre ce jour-l?, non loin de la petite ville de B'ja, que le CCE a gagn?, sans r'serves, les suffrages de l?'lite combattante du Nord-Est. Il les a gagn's gr'ce ? l'orgueil inspir? ? l'immense Kabyle par les d'tonations des fusils des moudjahidine dans les djebels alg'riens, orgueil qu'il exprimera avec la m'me superbe devant tous les grands du monde arabe. Les armes, h'las, les armes ! Longue et tragique saga des pourvoyeurs de l'aLN. La question a hant? les chefs de la R'volution avant m'me le d'but de l'insurrection. La recherche des armes a failli co'ter la vie ? Ben Bella en f'vrier I955, ? Tripoli. Elle a co't? leur libert? ? Mostapha Ben Boula'd et ? Tahar Zbiri. Elle a contraint Taleb Larbi et Abdelkrim ? s'vir d'une main de fer contre les civils tunisiens ou libyens soup'onn's de d'tenir des fusils de guerre. Ces deux moudjahidine le payeront de leur vie. Des bateaux ont 't? sabot's dans des ports, coul's ou arraisonn's dans la M'diterran'e. Des caravanes ont 't? intercept'es dans le d'sert et des fournisseurs europ'ens ont 't? assassin's dans des h'tels. A't Ahc'ne a 't? victime d'un attentat en Allemagne. L'avion de Mustapha Ferroukhi s'est d'sint'gr? au-dessus de la Mongolie, tout comme l'avion tch'que le fut ? proximit? de la base am'ricaine de Nouaceur, au Maroc, en 1961. Et tant et tant d'autres drames ? l'est, ? l'ouest, au sud et au nord de l'alg'rie provoqu's par la recherche effr'n'e d'armes par le FLN, contr'e par les meurtres et les sabotages ex'cut's par les services secrets fran'ais. La qu'te d'armes entreprise par le CCE, couronn'e de succ's d's le d'but de l'ann'e 1957 am'nera l'ennemi ? imaginer l'impensable : installer des rideaux de fer le long des fronti'res de l'alg'rie pour emp'cher l'aLN d'avoir les moyens de lui tenir t'te. Dans peu de temps, cette muraille de Chine ? la fran'aise va devenir pour les uns la carte ma'tresse dans leur strat'gie et pour les autres le facteur n'gatif principal dans leur 'quation. D'but 1957, les membres du CCE, chass's d'alger par la dixi'me division parachutiste du g'n'ral Massu, rejoignent en ordre dispers? la Tunisie. Krim, seul rescap? du prestigieux premier 'tat-major de l'aLN, est l'homme fort du directoire politique issu d'ifry. Les affaires militaires rel'vent naturellement de lui. La probl'matique des armements de l'aLN est enfin s'rieusement prise en charge. L?'quipe dont il est entour? est convaincue de l'imp'rieuse n'cessit? de tout mettre en œuvre pour la r'soudre. Une fois les sources d'approvisionnement
d'couvertes et exploit'es, les armes promises par Ouamrane arrivent enfin en quantit's. Les structures install'es par Bouglez d'montrent leur utilit?. Les d'p'ts de B'ja, de Souk El Arba?, du Kef ou de Ghardimaou regorgent bient't de caisses remplies de fusils 303 'enfield?, de mitrailleuses 'lewis? ? chargeur camembert, de MG 42 et 43, de lance-roquettes ? ressort 'piatt?, de mortiers de tous calibres et d?'normes quantit's de munitions. Il faut ? pr'sent faire rentrer ces mat'riels en Alg'rie. La mission sera naturellement confi'e ? la Base de l'est, dont c'est la raison d?'tre. Ses plateformes de d'part prot'g'es par un relief accident? et bois? qui les met ? l'abri de toute incursion m'canis'e, ses fili'res, ses relais et ses moyens humains consid'rables vont 'tre mi ? l?'preuve.


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