Algérie

L'histoire mouvement'e de la Base de l'Est (2e partie et fin)


Par Mohamed Maarfia
F?vrier 1957, Bouglez entreprend une tourn?e qui le conduit de La Calle au nord, ? Louenza au sud. Il explique aux chefs de ses unit?s combattantes la port?e de l?effort qui est demand? ? la Base de l?Est. Le mot ?acheminement? a ?t? prononc? pour la premi?re fois par le chef de la Base de l?Est, accompagn? par Si Mahjoub de la Wilaya II, au lieudit Tabia o? campaient les moudjahidine de la 8e katiba du valeureux Sebti Bouma?raf.
En les passant en revue, il s?arr?te de temps en temps pour dire un mot ? ceux qui se sont arm?s sur l?ennemi, et que Bouma?raf a plac?s au premier rang. Ils portent le Mas 45 ou 49, le Garant, le Mat 49 ou le FM 24/29. Corps minces, gestes f?lins, visages aux traits durs, treillis frip?s, pataugas ?pousant toutes les asp?rit?s du pied et le m?me ?clat dans le regard. Bouma?raf interpelle, par leurs faits d?armes, les hommes qu?il affecte, d?autorit?, ? l?op?ration : ?Ceux qui ont ?t? avec moi au djebel Boussessou un certain grand JOUR !? Quatre hommes avancent d?un pas. ?Celui qui a affront?, seul dans la plaine, un half truck et qui lui a fait rebrousser chemin !? Un homme avance d?un pas.
L?acheminement, une ?pop?e alg?rienne
Apr?s cette singuli?re fa?on d?amorcer les choses, qui fait sortir des rangs une vingtaine de combattants, les volontaires affluent. Bouglez s?adresse ? eux en ces termes. Ses mots font vibrer le c?ur des hommes : ?Ceux qui ont l?honneur d??tre re?us par une unit? comme la v?tre savent que l?Alg?rie vaincra. Partout les moudjahidine sont mobilis?s mais beaucoup n?ont pas d?armes. Aider nos fr?res des Wilayas II, III et IV est pour nous un devoir patriotique. Je sais que vos souffrances seront grandes. Une marche longue de plusieurs centaines de kilom?tres, le dos bris? par une lourde charge, vous attend. Certains d?entre vous p?riront sur le chemin. Qu?importe ! Plus tard, dans l?Alg?rie libre, les fils et les fils des fils de ceux qui survivront parleront avec fiert? de ce vous aurez accompli. Lorsque vous direz ?j?ai fait l?acheminement? et que vous montrerez vos cicatrices, les jeunes Alg?riens qui vous ?couteront sauront ce qu?a co?t? la victoire et ils accorderont de l?importance ? la libert?. La premi?re compagnie d?acheminement, confi?e ? Mohamed K?ba?li, second?e par Mohamed Chebila, quitte Ouled B?chih au nord-est de Souk Ahras, au d?but du mois de f?vrier 1957. SiMohamed K?ba?li tombera au combat sur le chemin du retour. Elle est suivie par trois autres, command?es respectivement par Ahmed El Bessbessi, Youssef Latr?che et Slimane Laceu. Lorsque le retour de la troisi?me compagnie, conduite par Youssef Latr?che, lui est signal?, Bouglez se rend aupr?s d?elle ? Garn Halfaya, o? elle a ?t? envoy?e se refaire une sant? apr?s son long calvaire. En passant en revue les hommes align?s au garde-?-vous, Il est frapp? par leur ?tat physique. Ils n?ont plus que la peau sur les os. La course, le poids du fardeau, le quivive permanent et les privations ont gravement marqu? leurs corps et leurs visages. Et pourtant, pas un murmure et pas une plainte. Beaucoup portent des sandales qui laissent voir leurs pieds pass?s au henn? jusqu?? la hauteur des chevilles. (Le henn? est cens? avoir un effet cicatrisant). Youssef Latr?che, le futur h?ros de la bataille de Souk-Ahras (fin avril-d?but mais 1958 ), qui a conduit sa compagnie jusqu?aux hauteurs de M?d?a, o? elle a ?t? accueillie par le commandant Lakhdar Bouraga?, s?aide de b?quilles pour marcher. ? ?Pourquoi es-tu dans un tel ?tat alors que tes djounoud sont relativement indemnes '? ? ?C?est que j?ai fait le trajet deux ou trois fois, mon colonel?. ? ?Comment cela '? ? ?A force de courir sans arr?t d?avant en arri?re de la colonne, mon colonel !? Bouglez opine respectueusement du chef. Avant de quitter le bivouac de Garn Halfaya, il rend visite aux malades dans l?infirmerie. Non loin de l?entr?e du baraquement, son regard bute sur un tas de ?pataugas? us?s jusqu?? la corde, laiss?s ? dessein dans cet endroit pour l??dification du colonel. Certaines semelles, d?coll?es, apparaissent verd?tres et alv?ol?es. La plante des pieds des sherpas de l?acheminement avait laiss? son empreinte crevass?e dans le cuir des ?paladiums?? Bouglez, remu? par le message pudique des hommes de Youssef Latr?che, sugg?re ? Krim Belkacem de renforcer les moyens de la Base de l?Est par un renfort encore plus important de katiba de convoyeurs d?armes. Krim n?a pas attendu les avis de Bouglez pour agir. D?s le d?but de l?op?ration, il ?tait convaincu qu?il fallait gagner la course de l?armement pour prendre de vitesse les parades mobiles et statiques que l?ennemi ne manquera pas de mettre en place pour parer ? la menace d?une ALN disposant en quantit? et en qualit? d?armes modernes. Avant m?me le d?part de Youssef Latr?che pour l?Alg?rois, une premi?re compagnie venue de la Wilaya II en mars 1957, conduite par Abdelouahab Guedmani, ancien ?l?ve du coll?ge moderne de Constantine et futur wali dans l?Alg?rie ind?pendante, est prise en charge et conduite ? bon port par les hommes de Tahar Zbiri qui campaient sur le Dahret Ouenza. D?autres katibas la suivront. Des camps sont ouverts ? l?extr?me ouest de la Tunisie. Le plus important est install? non loin de la ville frontali?re de Ghardiamaou, au lieu-dit Ezzitoun. Au summum de sa p?riode f?brile, il abritera jusqu?? un millier de maquisards. C?est ? une cadence de plusieurs centaines par mois que les armes rentrent en Alg?rie, au grand dam des g?n?raux fran?ais, incapables d?en tarir le flot. ?Un seul probl?me, les armes qui proviennent de l?ext?rieur !? Ce cri d?sesp?r? de Robert Lacoste, le socialiste contamin? gravement par l??pid?mie de rage, rebelle ? toute th?rapeutique m?dicale, qui s?vit dans Alger l?europ?enne, ainsi que les mises en demeure de Paris, conduisent l??tat-major fran?ais ? rechercher une parade efficace. La construction d?une ligne de fortification le long des fronti?res est et ouest de l?Alg?rie va ?tre entreprise. La deuxi?me division motoris?e, qui comprend des r?giments d?infanterie m?canis?e et des r?giments de l?gionnaires parachutistes ainsi que des groupes d?artillerie, qui est d?j? positionn?e autour de Souk-Ahras, re?oit dans peu de temps le renfort de la 11e division m?canis?e qui occupait jusque-l? l?ouest de la Tunisie. Ces deux importantes unit?s se d?ploient de telle sorte ? couvrir enti?rement le Nord-Est alg?rien. Le dispositif de combat est repens? pour aboutir ? une configuration qui lui offre des possibilit?s optimales. Les ?tats-majors s?implantent au c?ur du th??tre d?op?ration des bataillons de la Base de l?Est : Guelma, Machroha, Souk-Ahras, Taoura, El Kala. Aid?s puissamment par le barrage fortifi?, qui a avanc? ? grands pas depuis le mois de juin 1957, des r?giments de troupes d??lite, disposant d?h?licopt?res pour leur d?placement, tentent de reprendre l?initiative sur le terrain. Dans une contribution parue r?cemment dans le Soir d?Alg?rie, le commandant Mohamed Chebila, acteur ?minent de la guerre de Lib?ration, a d?crit dans le d?tail la nature des fortifications ?difi?es par l?arm?e fran?aise pour isoler l?ALN.
1958, l?ann?e terrible
Fin 1957. Les bataillons de la Base de l?Est, face aux puissants moyens qui leur sont oppos?s, ont adapt? leur strat?gie. L?ins?curit? dans les territoires o? ils op?rent est encore totale. L?offensive du 20 octobre 1957, d?cid?e par le CCE, est en g?n?ral couronn?e de succ?s. Amara Bouglez coordonne personnellement, dans les territoires qu?il contr?le, les op?rations. Des camps sont durement harcel?s et quelquefois emport?s d?assaut. Mais vers la fin de l?ann?e, le dispositif ennemi, sans cesse renforc?, commence ? recueillir des r?sultats. Les unit?s de l?ALN, affect?es ? l?acheminement, rencontrent des difficult?s pour passer. Elles sont de plus en plus intercept?es. Bouglez, au mois de d?cembre, inquiet de l??volution des choses, entreprend une tourn?e ? l?int?rieur. Il n?est plus escort? par un escadron de jeunes citadins ayant ? peine subi l??preuve du feu, mais par Slimane Laceu ? la t?te de son commando. Il a troqu? la carabine US contre un Mas 49. Aux abords du barrage, il fait des croquis et prend des notes. Dans son rapport ? Krim, il insiste sur la disproportion de ses moyens en regard de ceux de l?adversaire. Il demande le retour imm?diat en Alg?rie des katibas stationn?es encore en Tunisie avant que la nasse ne se referme. Au moment o? son appr?ciation personnelle est n?cessaire sur le terrain, alors que le g?n?ral Vanuxem ? implant? son fanion entre Guelma et Souk-Ahras, Krim est paralys? ? Tunis. Il s??chine ? pousser le rocher de Sisyphe d?une toujours inachev?e coh?sion des rangs. L?ALN qu?il veut restructurer et moderniser est encore ?? et l? dans l?Est, aux mains de seigneurs de la guerre ? la vision amoindrie par des ?ill?res, englu?s dans leur routine, ligot?s par des affinit?s r?gionalistes et quelquefois aussi manipul?s par des mentors anim?s, soit par un antikabylisme primaire, soit par une lecture au premier degr? de la formule ?blasph?matoire? de Abane : ?La primaut? du politique sur le militaire?. Il est en butte aux pressions du gouvernement tunisien qui voit avec un effroi non d?guis? les affrontements se rapprocher de son territoire. Au d?but de l?ann?e 1958, Krim, pris par des t?ches toutes importantes et toutes prioritaires, est seul pour soutenir la pyramide et il l?est davantage encore depuis qu?il a donn? son blanc seing aux bourreaux de Abane. Il est seul comme le sont toujours ceux qui font le choix de ne s?entourer que de collaborateurs qui ne les contredisent jamais. Mouloud Idir, ancien officier de l?arm?e fran?aise, assur?ment patriote et certainement d?vou? ? la cause commune, n?a jamais imagin? son r?le aux c?t?s du responsable des forces arm?es comme celui d?un m?diateur ni son bureau comme une utile ?tape de concertation, de dialogue et de mise ? plat des probl?mes pour en d?nouer, d?abord ? son niveau, la complexit?. S?il est vrai que le secr?tariat politique de Krim ?tait constitu? par la fine fleur des cadres intellectuels de la r?volution, le responsable des forces arm?es, au moment o? il ployait sous le fardeau, n?a pas eu la chance d?avoir ? ses c?t?s ? dans son cabinet militaire ? des hommes de grande envergure. Il n?a eu que des commis. Plus que de m?tier, il a manqu? ? ces fond?s de pouvoir, cette longue proximit? avec les moudjahidine qui donne la capacit? de g?rer les grognes, les impatiences, les conflits subalternes qui naissent des heurts des caract?res et de l?enchev?trement inextricable des ?bonnes raisons?. En plus des bilans secs qui caricaturent les situations et o? ressortent les noms, soulign?s en gras, dans la colonne ?d?bit? des colonels Bouglez et Lamouri, ?tablis par Idir ? l?usage du responsable des forces arm?es, ce dernier pr?te l?oreille aux commentaires, rapport?s par la police du CCE, des ?experts? en strat?gie qui si?gent ? la terrasse du Palmarium ou sous la coupole de la Rotonde, les deux caf?t?rias cossues qui donnent sur les belles avenues de la capitale tunisienne. Krim finit par s?aligner progressivement sur les conclusions, tir?es au rabais, qui affirment que les difficult?s que rencontre d?sormais l?acheminement sont essentiellement imputables ? une ?carence? des responsables de la Base de l?Est et de la Wilaya I, ?carence? qui aurait permis au g?nie fran?ais de travailler ?dans une quasi-totale impunit? ?. Il ne s?est pas d?plac? pour constater que le chantier du barrage ?tait prot?g? par des forces ? m?me de contrer efficacement toute tentative de lui faire ?chec. Bouglez affirme que chaque portion du barrage achev?e est imm?diatement int?gr?e dans le disposition de d?fense pr?vu par ses concepteurs et que nul ne peut l?attaquer frontalement sans risquer l?annihilation, il pr?che dans le d?sert. Apr?s une ?ni?me inspection in situ, il ?crit, en soulignant chaque phrase : ?Aux harc?lements incessants dont l?ouvrage est l?objet, r?pondent des efforts ennemis d?adaptation et de renforcement. L?entreprise a ?t? m?rement r?fl?chie. Elle a b?n?fici? d?options d?extension selon les contraintes que nous faisons peser sur elle chaque nuit.? Bouglez n?est ni ?cout? ni entendu. Krim est d?cid?, sur le plan militaire, ? casser une routine qui semble ne plus convenir. Il veut faire de l?arm?e un ensemble coh?rent et disciplin?, et il ne peut pas le faire sans casser le lien d?all?geance entre les chefs autoproclam?s ou coopt?s et leurs hommes. La situation de blocage face au dispositif fran?ais lui offre l?occasion d?op?rer les changements qu?il juge n?cessaires. Il ne veut plus plaider. Il veut agir. ?Pour une n?cessaire restructuration de l?ALN?, il d?cide de centraliser le commandement. Sa d?marche port?e par Mouloud Idir se r?v?lera plus difficile que ce qu?il imaginait. Elle n?est pas comprise par les officiers sup?rieurs vis?s par le mouvement. Bouglez et Lamouri lui donnent une coloration politique. Ils pensent que Krim veut ?carter ceux qui ont pr?t? l?oreille au grand politique assassin? en d?cembre. ?Pour une n?cessaire restructuration de l?ALN?, il d?cide de centraliser le commandement.
Le COM
Le 8 f?vrier 1958, le Comit? op?rationnel militaire voit le jour. Il est d?membr? en COM-Est et en COM-Ouest. Mohamedi Sa?d Nasser, ancien chef de la Wilaya III, est plac? ? la t?te du COM-Est. Le nouveau chef d??tat-major, c?t? est, a une vision du monde d?une grande simplicit?. La plan?te du colonel Nasser est peupl?e d?hommes vou?s ? l?enfer et d?hommes destin?s au Paradis. Dieu, dans son infinie sagesse, a cr?? des ?tres pr?destin?s ? renforcer les rangs des ?lus, mais ils doivent d?abord s?accomplir dans le sacrifice supr?me. B?nie soit la r?volution qui offre au mollah-soldat l?opportunit? de pr?cher le martyr. La ligne Morice, tous les moudjahidine qui ont ?t? command?s par SiNasser le savent, a ?t? invent?e pour l?accomplissement du destin de ces bienheureux. C?est cet homme consid?rable par la taille, officiellement comp?tent, en principe courageux, ostensiblement pieux, illumin? par la sainte R?v?lation que les dynamiques humaines rel?vent de la seule volont? d?Allah, qui est oppos? au g?n?ral Vanuxem et aux six autres g?n?raux qui sont ? la t?te des forces qui occupent de la zone Est Constantinois. Fin janvier 1958, le commandement de la Base de l?Est est retir? au colonel Amara Bouglez au moment m?me o? des actions militaires aux cons?quences politiques consid?rables sont men?es par ses unit?s. Le 11 janvier, un petit contingent fran?ais est pris ? parti par les hommes du troisi?me bataillon de Tahar Zbiri, Les cinq prisonniers que les moudjahidine ram?nent d?clenchent un tintamarre consid?rable en France et en Alg?rie. La quatri?me R?publique est ?branl?e. L?arm?e fran?aise, au diapason des hyst?ries des ultras d?Alger, menace la Tunisie tenue pour responsable de ses malheurs. Le trop-plein de fureur des lobbies alg?rois se d?verse sur les enfants de l?infortun?e Sakiet Sidi Youssef. Mais les ?chos des explosions des bombes de l?aviation fran?aise, qui ont frapp? la petite ville tunisienne, parviennent aussi ? Manhattan. Un toll? consid?rable s?ensuit. Les grandes puissances s?en m?lent. Le conflit alg?ro-fran?ais est brutalement internationalis?. Bouglez fort de ses succ?s, faisant la sourde oreille aux accusations dont il est l?objet, d?cide la cr?ation d?un quatri?me bataillon? Il demande, mais il ne l?obtient pas, un sursis avant de rejoindre sa nouvelle affectation au COM. Il veut veiller personnellement ? la mise en place, sur un itin?raire plus au sud, de cette nouvelle grosse unit? articul?e autour des v?t?rans de Youssef Latr?che. (Nous verrons, dans une autre contribution, ce qu?il en co?tera ? ce quatri?me bataillon d?avoir ?t? d?ploy? au del? de la ligne Morice, par le chef du COM, dans un moment de grand flottement). Celui dont d?pend le sursis demand? par Bouglez est le commandant Mouloud Idir, directeur du cabinet militaire de Krim. Des contentieux anciens opposent les deux hommes. Le chef de la Base de l?Est n?a jamais accept? d??tre bouscul? par des ordres intempestifs concernant la meilleure fa?on (vue de Tunis) de d?truire le barrage. Il s?est gauss?, souvent ouvertement, des ?alibis? qui emp?chent Idir de tester, en personne, la profondeur et les asp?rit?s aiguis?es, tranchantes et d?tonantes du glacis fortifi?. Il a ?t? ouvertement critique devant l?amateurisme qui a caract?ris? la pr?paration et l?ex?cution, par le m?me Idir, de l?exp?dition de juillet I957, cens?e atteindre, via la Libye, les champs p?troliers d?j? prometteurs de Hassi Messaoud. Mouloud Idir, avant le franchissement de la fronti?re libyenne, avait ?cart? du commandement de l?op?ration les officiers exp?riment?s mis ? sa disposition par Bouglez et Lamouri, dont Nour Lamouri, fr?re du chef de la Wilaya I, Lakhdar Belhadj, chef de la Zone V de la Wilaya I, La?d Sabri, compagnon de l?intr?pide Hogass, Ferhat Berrahal, v?t?ran de Novembre 1954, ainsi que le deuxi?me homme du commando de Slimane Laceu, pour d?signer ? la t?te de l?unit?, selon des crit?res connus de lui seul, Mohamed Bernou ? un brave type ? qui ?tait, un mois avant le d?part de l?exp?dition, paisible employ? de la compagnie qui g?re l?a?roport de B?ne-les-Salines. Cette fa?on de faire mettra Mohamed Lamouri et Amara Bouglez, de passage ? Tripoli, dans une indescriptible col?re. Bouglez, n?ayant pas d?autres moyens de se d?fendre, hormis de s?insurger, ce ? quoi il se refuse, range ses affaires et fait ses cartons. Il sait que son affectation dans un bureau est la fin de la ligne ascendante de sa carri?re militaire sur le terrain. Il en est tr?s affect?. Averti, il sait qu?il ne paie pas une ?ventuelle faillite de la strat?gie de la Base de l?Est, mais son franc-parler et ses positionnements aux c?t?s de Abane Ramdane. Au cours du second semestre de l?ann?e I957, son refus, ainsi que celui du colonel Mohamed Lamouri de respecter la quarantaine appliqu?e ? l?un des architectes du congr?s de la Soummam ont fortement inqui?t?. Non seulement les deux colonels ont partag? ouvertement les critiques de Abane concernant ?la gouvernance? des ?3 B?, mais Bouglez est all? plus loin encore en proposant ? Abane, au mois d?octobre 1957, de prendre le commandement de la Base de l?Est. Le fait accompli d?un Abane ? la t?te de la force militaire d?o? le CCE tient son pouvoir, aurait chang? le rapport des forces au sein de ce directoire. La proposition ? au nom de l?ensemble des membres de l??tat-major de la Base de l?Est ? a ?t? faite ? Abane dans l?enceinte de l?h?tel Claridge, ? Tunis, au mois d?octobre 1957, soit deux mois avant sa mort. Le colonel Bouglez, les commandants Mohamed Aouchria et Tahar Sa?dani (Tahar Sa?dani est toujours de ce monde) ont tout fait pour que Abane accepte cette proposition. Cette proposition a-t-elle pr?cipit? la mort de Abane '
Sous la couronne des ch?nes
Amara Bouglez, le 17 f?vrier 1958, fait ses adieux ? ses compagnons r?unis non loin du camp fran?ais de A?n Ezzana, sur le terrain d?op?ration du 2e bataillon. Il quitte la Base de l?Est ? un moment crucial de la guerre, l?importance de ce qu?il a accompli, attest? par le dispositif extraordinaire que l?ennemi a mis en place face ? lui. Sous l?ample et majestueuse couronne des ch?nesz?en, un silence insolite r?gne. L?atmosph?re est charg?e de cette densit? pesante qui imprime chaque image, pour longtemps, dans la m?moire des hommes. La nouvelle de la mort de Tahar Zbiri, de Sebti Bouma?raf, de Ch?rif Mellah et des cent vingt combattants qui les accompagnaient venait de parvenir. La 8e katiba, qui avait forc? le passage du barrage fortifi?, encercl?e au sud de Guelma, au lieu dit Sfahli par le 9e RPC du colonel Buchoud, avait succomb? au bout de trois jours de durs combats. (Tahar Zbiri, donn? pour mort, repara?tra quelques jours plus tard ? la t?te d?une poignet de rescap?s, dont Cherif Braktia futur colonel de l?ANP). En embrassant du regard les rangs des hommes venus le saluer, et connaissant la raison de leur tristesse, il prononce quelques mots de consolation : ?Si Tahar a ?chapp? ? la planche fatale dress?e pour lui et pour Benboula?d dans la prison de Constantine, parce que son destin ?tait de mourir debout et les armes ? la main. Lui et ses compagnons nous ont pr?c?d?s dans les jardins d?Allah. Gloire ? nos martyrs?, puis il poursuit dans une de ces envol?es dont il a le secret : ?Ensemble, nous avons r?ussi une chose extraordinaire. Je ne parle pas de la prouesse de ceux d?entre vous qui ont travers? de part en part l?Alg?rie quadrill?e par une arm?e. Je ne parle pas de la preuve donn?e sur les champs de bataille de votre valeur. Je ne parle pas des souffrances que vous endurez et que vous endurerez encore longtemps. Mes fr?res des djebels de Souk-Ahras, mes fr?res venus de l?Aur?s, du Djurdjura, de Collo, du Souf, de L?Ouarsenis, de Fellaoucen ou de B?char, mes fr?re venus de France, du Maroc, d?Allemagne ou de Tunisie, vous combattez c?te ? c?te, ?paule contre ?paule, avec la m?me ferveur, pour la libert? de l?Alg?rie. Votre compr?hension du monde convergente et vos valeurs communes sont le v?ritable ciment de l?unit? de notre peuple. Si la Base de l?Est devait ?tre fi?re d?une chose, c?est de vous avoir r?unis autour de la seule id?e qui vaille : renforcer dans le creuset br?lant de la R?volution les liens ind?fectibles de la nation alg?rienne?. Jamais les mots ?peuple uni et nation forte? n?ont eu autant d?intensit? que ceux prononc?s ce jour-l? par le colonel Bouglez. La ressemblance entre les maquisards venus des horizons les plus divers ?tait saisissante. La myst?rieuse alchimie du milieu conducteur o? ils se trouvaient, transcendait les dissemblances des traits des visages, les diff?rences des tournures des phrases, les particularit?s des inflexions du parler, les faisaient proches comme le sont les enfants d?une m?me m?re chez qui perlent le m?me sang et la m?me lumi?re du regard. Les moudjahidine rassembl?s dans la petite clairi?re de la for?t de Ouchtetta sont trop ?mus pour penser ? applaudir Amara Bouglez. Ils le seront davantage encore quand ils le verront, quelques instants plus tard, remettre son ?Mas 49?, symboliquement, ? un jeune maquisard.
Les affligeantes r?alit?s de l?arri?re
Amara Bouglez ?tait un grand r?aliste dans ses rapports avec les hommes, tant il avait palp?, avant la ligne burin?e de novembre, le faux tissu qui les parait. Il aimait la r?volution parce qu?elle avait transmut?, telle une pierre philosophale, les sentiments de ceux qui l?accomplissaient. Il savait que la constance dans l?amiti? ?tait conditionn?e par l?avantage que l?autre escomptait en tirer, le prix indiscutable qu?il exigeait pour se laisser convaincre ?tait le partage des m?mes valeurs. Le p?cule commun ? tous les moudjahidine ? vivre et mourir pour l?Alg?rie ? le fit ainsi l?ami de tous. Il s?arr?tait souvent au milieu d?une phrase pour ?valuer le degr? d?attention de son vis-?-vis. Quand il d?couvrait l?indiff?rence ou la distraction, il l?imputait d?abord ? la faiblesse de son expos?, il r?ajustait alors son approche, multipliant les ?tefhem '?, attentif ? la direction du regard, au lapsus r?v?lateur ou aux raclements de la gorge qui traduisent souvent l?agacement et plus souvent encore l?insolence. Devant l?ent?tement, impossible ? d?liter par la raison, il savait ass?ner, avec le ton idoine, l?obligation de l?ob?issance aux ordres du chef. Ses col?res n??taient jamais feintes, mais elles ?taient rares. Aucune de ses unit?s n?entra jamais en dissidence contre lui. Lorsqu?un petit chef ? les petits chefs, en temps de r?volution, ont souvent de grandes ambitions ? commence ? exprimer quelques vell?it?s de dissidence, il savait fourvoyer le capitaine em? dans l?impasse ?troite d?un bureau afin qu?il puisse, sans danger pour personne, soulager son stress en ?ructant tout ? loisir ses diarrh?es verbales. Le plus rugueux, il l?affectait dans une de ses unit?s de combat ? chez Laceu ou Bouma?raf de pr?f?rence ? o?, voyant la Faucheuse quotidiennement ? l??uvre, le pr?tendant sera tr?s vite convaincu de cette pr?carit? de la vie qui am?ne ? relativiser les choses et ? appr?cier les bonheurs simples comme manger de la ?souika?, boire de l?eau saum?tre, esp?rer que l?aboiement d?un chien derri?re la cr?te ou la lumi?re p?lotte, que l?on devine dans les profondeurs des t?n?bres, marquent la pr?sence d?une hutte de paysan qui n?a rien ? envier, apr?s plusieurs nuits de marche et de privations ? une suite dans un ?cinq ?toiles?. Ma?tre incontest? d?un immense territoire, il n?usa jamais de son pouvoir pour mettre ? mort des moudjahidine. Le p?nitencier qu?il ouvrit et qu?il confia ? Cha?b El Hasnoui, ceux qui y s?journ?rent d?couvriront un jour qu?il leur avait ?vit? le seul voyage d?o? nul jamais ne revient. Amara Bouglez, d?sormais membre du COM, sera charg? de la formation et de l?instruction. Il sera tr?s vite confront? aux affligeantes r?alit?s de l?arri?re. Le poids des ranc?urs accumul?es depuis que Krim a c?d? au principe vieux comme le monde, herm?tique comme les certitudes : ?Les miens sont toujours les meilleurs?, (et ils le demeureront h?las, m?me quand ils auront d?montr?, au pied du mur, le contraire), ajout?s aux jeux malsains de ses pairs du CCE qui travaillaient dans l?ombre ? sa perte, ajout?s encore au traumatisme provoqu? par l?assassinat de Abane mettront, dans tr?s peu de temps, en branle la dynamique du complot dit ?des colonels ?.
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