Algérie

L'Histoire entre ombres et lumières



Ouvrir cette boîte de Pandore serait-il préjudiciable, voire dangereux pour une révolution considérée un moment fondateur de la nation ' Ils ne sont pas rares ceux qui croient qu'attenter aux symboles de cette séquence sacrée risquerait de l'amoindrir et de la déconsidérer aux yeux des nouvelles générations. Braquer la loupe sur les pages peu glorieuses de celle-ci, n'en retenir que sa face noire serait une lecture partielle et partiale. A contrario, pour d'autres esprits, la mise sous scellés de pans de la mémoire nationale, l'occultation d'épisodes, le voile jeté sur les conflits internes n'est pas la meilleure voie pour apaiser une nation. La réconciliation avec son passé doit cheminer à travers les sentiers de la vérité. Si elle ne sait pas regarder ses erreurs, si elle ferme les yeux au lieu de s'interroger et de vouloir comprendre, elle favorise l'amnésie. A long terme, quand la vérité qui comme l'huile finit toujours par remonter, elle causera plus de dégâts. Les fantômes de l'histoire, qui ne se plient jamais au moratoire, n'ont de cesse de demander des comptes aux vivants. Abane Ramdane, assassiné en décembre 1957 dans une ferme près de Tétouan au Maroc, fut un dirigeant du FLN de grande envergure. A partir de 1955, il joua un rôle de premier plan, donnant une ossature et un contenu politique au FLN, dont il fit un vaste mouvement national ouvert à tous les patriotes. Jacobin et intransigeant, doté d'une solide culture politique, l'homme suscita de l'admiration mais aussi beaucoup d'animosité et de controverses. Ces dernières années, Ali Kafi, dans un passage de ses mémoires, puis Ahmed Ben Bella, dans une longue interview à Al Jazeera, ont tenté d'amoindrir son rôle en parlant de notamment « d'une tentative d'ouvrir des négociations avec l'ennemi » pour le premier. Avoir dévié la révolution de sa trajectoire est le grief retenu par le second. L'homme est accusé d'avoir, en intégrant les forces politiques qui n'avaient pas pris part au déclenchement du 1er Novembre, introduit des germes de désunion et de réformisme. Bélaïd Abane nous apprend que les premières attaques datent des années 70 et furent portées par Malek Bennabi dans un de ses livres. C'est une défense sans concessions d'une mémoire outragée que ce livre présente. Replaçant les événements dans leur véritable contexte, déterrant des épisodes pour confondre les détracteurs, l'auteur replace l'architecte de la Soummam sur son piédestal. Mêlant le souci du détail et une ironie mordante, le livre répond sans concession aux arguments des détracteurs. Pour lui, les critiques dont fut victime l'éminent dirigeant trouvent certes leur origine dans des conflits d'ordre personnel. La vision politique distinguait Abane de ses contempteurs. Ainsi, Bennabi, qui n'a jamais milité dans le mouvement national, s'est vengé d'une exclusion des organes de la révolution attribuée à Abane. Sa ranc?ur trouverait aussi sa source dans les différences d'appréciation d'un militant aguerri et engagé et de celui que l'auteur désigne ironiquement comme « l'inspecteur des travaux finis ». Il avait écrit sur la « colonisabilité » de son peuple quand celui s'attaqua à la forteresse coloniale. Ali Kafi n'aurait jamais pardonné son éviction du Congrès de la Soummam. La plus grande partie révèle les dessous du conflit avec Ben Bella dont l'auteur présente les multiples ressorts d'une inimitié qui s'adossant à des ressorts psychologiques politiques. On se délecte alors de son habileté à confondre le mensonge, à tailler en pièces la mauvaise foi. On découvre au fil des pages l'histoire cachée des ambitions, des conflits souvent tus. Au fil et à mesure que le temps passe, l'histoire perd de sa sacralité et révèle ses faces cachées. La polémique, les révélations qui s'appuient sur des documents, des témoignages font toujours avancer sa connaissance. Elles sont nécessaires, car dit-on, tenter d'atteindre l'objectivité en la matière suppose la juxtaposition de plusieurs subjectivités. Les biographies, les divergences d'analyse sur un événement ou un personnage sont préférables aux silences coupables et hypocrites. L'auteur écrit à juste titre « qu'évoquer l'apport de Abane à la révolution ne signifie pas que son parcours soit exempt d'erreurs. Ne peut se targuer d'avoir un parcours sans fautes que celui qui regarde passivement la caravane de l'histoire ». (p 49). L'histoire est une matière humaine ou s'imbriquent et s'entremêlent les passions. La jalousie, la cupidité, les sentiments ont depuis toujours façonné des destins, déterminé des trajectoires. Les romanciers ont d'ailleurs puisé dans cet immense réservoir pour donner vie à des êtres qui ne sont plus réduits à des sigles ou à des dates désincarnées. L'histoire n'est jamais un simple concentré d'héroïsme. Il arrive toujours un temps où ses acteurs retrouvent leurs statuts d'hommes, non exempts de contradictions. Ce genre d'ouvrages comportent tout de même un risque et peuvent laisser un goût amer. En encensant les uns et en ne traquant que les faiblesses des autres, ils risquent d'avoir en quelque sorte les défauts de leur qualité. Ceux qui sont égratignés ne sont pas seulement ce qu'on veut présenter d'eux. Ils ont aussi d'autres facettes. Il serait quelque part injuste de croire que leur parcours ne tient qu'à un conflit où ils auraient tenu le mauvais rôle.R. Hammoudi
« Ben Bella-Kafi-Bennabi contre Abane ou les raisons occultes d'une haine », de Belaïd Abane, Editions Koukou, Prix public 600 DA.


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