Algérie

L'histoire «en panne»



Entre 1990 et mi-2008, on pensait vraiment que la cause de l'écriture de l'Histoire contemporaine du pays était désormais entendue et le dossier bel et bien clos, en ce sens que les historiens et les chercheurs universitaires en premier lieu et les autodidactes validés par leurs publications en second lieu, allaient collecter ou regrouper ce qui se raconte ici et là, structurer, analyser et commenter les faits librement, dans des cadres méthodologiques précis et connus universellement, et qu'ils allaient s'en donner à cÅ“ur joie. D'autant que le peuple, libéré des pesanteurs idéologiques du parti et de la pensée uniques, cherchait, de plus en plus, à «savoir» le pourquoi du comment et à avoir des réponses à tous ses questionnements, principalement ceux identitaires et politiques (en plus sur la façon dont ses sous, les sous du pays, ont été et sont gérés). La curiosité était d'autant plus aiguisée que la scène offrait, à partir de la libération des champs politique et médiatique, à partir de fin 1988, un spectacle de lutte sans règles et sans arbitre, les révélations et les promesses de révélations, les insultes et les allusions gravissimes, les mémoires ou les souvenirs et les racontars se succédant, s'empilant, se télescopant se contredisant… Une véritable jungle au sein de laquelle seuls les éditeurs (de livres et de presse) se sont retrouvés.

 Il est vrai que l'Université et la Recherche universitaire scientifique étaient encore inorganisées et encore contraintes, par les habitudes… historiques…, «héritées» de l'ancien système, à ne pas trop se hasarder prudemment sur les chemins de l'Histoire-critique et à subir l' Histoire-apologétique. Au maximum, on avait de l'Histoire-inventaire, ce qui n'est pas, déjà, une mince affaire. Seuls quelques - rares - «découvreurs» se lancèrent à l'assaut des citadelles ( celle «ignorée» des périodes antique et pré- coloniale excepté la période arabo-musulmane, celle «réservée» de l'Histoire de la Guerre de libération nationale et du mouvement national, celle «protégée» de l'Histoire post- indépendance et celle «quasi-interdite» de l'Histoire actuelle) et osèrent la production de documents pour la plupart diffusés au compte-gouttes.

Les plus malins ou les plus méfiants, en tout cas les moins naïfs, surtout des journalistes (ou des cinéastes pour ce qui concerne l'audiovisuel), quand ils ne se sont pas exilés pour produire, ont contourné le problème en abordant ces périodes par le biais du roman (ou du film) - réaliste, un mélange de fiction et de réalités…avec, bien souvent, des indications permettant de savoir aisément qui est qui…mais sans jamais atteindre la rigueur scientifique et ce, quelle que soit l'honnêteté et la formation de l'auteur ou du réalisateur.

Le premier coup d'arrêt est venu, d'abord des habitudes héritées; le second de cette disposition des textes sur la Réconciliation nationale qui, tout en ne l'interdisant pas formellement, limite le champ de la recherche historique, et vous conseille fermement de ne pas (trop) vous appesantir sur les agissements des protagonistes de la «tragédie nationale» des années 90, en tout cas ceux amnistiés. Comme la plupart, sinon tous les acteurs et les figurants l'ont été (amnistiés !), on se retrouve face à un champ de recherches vaste et riche ( ????) mais miné. Une «interdiction» qui fait le bonheur des chercheurs étrangers.

Le troisième, dernier et fatal coup d'arrêt est venu de cette disposition introduite, dans la Constitution, concernant «les symboles de la Révolution et les constantes nationales» (disposition renforcée par l'article 6 de la nouvelle loi 11-03 du 17 février 2011 sur la cinématographie qui impose une sorte de «l'approbation gouvernementale préalable»). Pas touche ! Sinon… Sinon quoi ? On ne le sait pas encore et on attend avec impatience le premier historien ou journaliste «esté» en justice pour irrespect de l'article 3 de la Constitution… qui demande au passage, à l'Etat, de «promouvoir» l'écriture de l'histoire.

On sait que la promotion est toujours sous-tendue, en tout cas chez nous (certains pays, dont notre ancien colonisateur, la France, ont adopté cette démarche), par une philosophie… parfois d'encouragement, mais souvent de freinage ou de rég (p) ression. Bien sûr, les protestations n'ont pas manqué, à chaque fois, pour protester contre les barrages plus idéologiques que technocratiques et encore moins scientifiques… surtout de la part des journalistes qui connaissent déjà le prix à payer lorsque la réalité (de «l'histoire au quotidien») est recherchée pour être diffusée. Des continuels «empêcheurs de tourner en rond» ! Les historiens universitaires et autres ont été rares à le faire, mis à part quelques exilés. Il est vrai qu'ils sont déjà si peu nombreux à mériter le titre. La bureaucratie a en a profité pour «enfoncer le clou» avec une disposition contenue dans la loi sur la cinématographie qui «nationalise» en quelque sorte le champ.

Le plus (d) étonnant est venu des hommes politiques, surtout d'anciens décideurs… aujourd'hui écartés du pouvoir mais les pieds dans de chaudes «pantoufles»… et n'ayant pas encore livré leurs mémoires.

Certains estiment que «que l'Histoire doit être écrite par des historiens, les vrais, en faisant preuve de neutralité et d'objectivité» (vrais ! neutralité ! objectivité ! encore des adjectifs castrateurs). Tout en déversant brusquement certaines de leurs vérités «historiques». Coup de pub avant la sortie de mémoires ou rancune tenace à l'encontre de ceux qui les ont «diffamés», insultés même ou brocardés dès son «sortie» du pouvoir.

Qui sait… pour l'instant ? Un autre a demandé à ce que «l'Histoire ne soit pas sous une tutelle politique»… lui qui n'a encore rien livré (dans un ouvrage) sur ce qu'il a vu, vécu, entendu, fait.

Le ministre des Moudjahidine, lui, s'en est tenu, comme d'habitude, à «l'apport de preuves»… tout en sachant qu'une grande partie des faits révolutionnaires se sont déroulés, action clandestine obligeait, dans le secret et l'oralité.

En définitive, et en attendant que les archives coloniales ouvrent leurs portes à la consultation (et, ce n'est pas demain la veille !), c'est parole contre parole, c'est mythes transformés en constantes ou constantes mythifiées contre analyses démystificatrices.

Heureusement, quelques personnalités ont réagi. Comme le Pr. Z. Ihaddadène (universitaire, chercheur, ancien haut-fonctionnaire… retraité… moudjahid… arabisant… francophone… amazighophone… honnête homme comme on n'en rencontre presque plus en ce bas monde) , qui a mis les points, début décembre 2008, sur les i lors d'un débat sur l'écriture de l'Histoire: «L'Histoire est l'affaire des historiens». La cause est (en principe) entendue !

De ce fait, à mon sens, elle ne peut être faite ni par les Appareils de l'Etat, ni par des organisations para- étatiques et encore bien moins par des personnes qui l'ont vécu directement. Les premiers doivent promouvoir par des facilités multiformes et sans interférences (et des aides financières , matérielles ou morales comme cela a été généreusement fait pour le dernier film de Ahmed Rachedi sur Mostefa Ben Boulaid et comme cela va être fait, certainement, très généreusement, pour le prochain film de Lakhdar Hamina (?????) sur l'Emir Abdelkader… et comme cela ne se fera peut-être pas pour le projet de film sur Ben M'hidi de Mourad Bourboune et Bachir Derais ). Les secondes (pour ce qui concerne l‘Histoire du Mouvement national et de la Guerre de libération nationale….et de l'Histoire post -indépendance ) doivent rapidement et aussi honnêtement que possible (objectivement ? pas facile. Aussi exactement que possible, pourquoi pas ?) mettre en forme leur (s) histoire (s) et la (les) livrer aux publics. Tout le reste - séparer le bon grain de l'ivraie, le mensonge des élucubrations, les faits avérés des règlements de compte - est une libre affaire d'universitaires et de chercheurs spécialisés en Histoire. Le plus tôt vaut le mieux. Car, avec les ruines préhistoriques et antiques qui disparaissent, les monuments historiques qui tombent en ruine, les vieilles mémoires qui s' «alzeimérisent» et les corps qui dépérissent ou disparaissent, on n'aura plus, dans nos oueds déjà souvent assez desséchés, que des pierres sans histoires.








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