Tipaza - Cherchell

L’héroïne de Cherchell. Lalla Zouleikha Oudaï de Kamel Bouchama La suppliciée de Cherchell



Publié le 07.05.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE

Longtemps elle a été sans sépulture. Zouleikha Oudaï, née Amina Echaïb, combattante intrépide, est morte sous la torture des soldats français le 25 octobre 1957. Ce n’est qu’en 1982 que ses restes ont été découverts, exhumés et enterrés dans le cimetière de Menaceur, ex-Marceau (wilaya de Tipasa). Son parcours de militante est retracé par Kamel Bouchama dans ce nouvel ouvrage paru aux éditions Dalimen.
Zouleikha a grandi dans une famille de militants. Son père, gros propriétaire terrien dans la région de Hadjout, adhérait à l’ENA, le parti de Messali Hadj. Quand la guerre de libération se déclenche, son fils aîné, Lahbib, et son époux, El Hadj Larbi Oudaï, rejoignent le maquis. Tous deux tomberont au champ d’honneur.

La combattante du Dahra, Yamina Echaïb, épouse Oudaï, surnommée Zouleikha, a vu le jour en 1911 à Marengo (actuelle Hadjout). Son père Braham Echaïb était conseiller municipal dans cette ville. Il avait également une autre casquette : président du Comité de patronage des écoles indigènes. À 6 ans, la mère de Yamina décède. Ce sont ses grands-parents maternels qui vont l’élever. En 1917, elle entre à l’école communale et devient une brillante élève. «Plus résignée que ses camarades, elle allait crescendo dans la réussite.» Elle décroche avec brio son Certificat d’études primaires.

La jeune fille active dans l’Association des Oulémas musulmans algériens. En 1942, elle épouse Si Ahmed Oudaï, «lui-même militait assidument dans les rangs du nouveau parti, le PPA».

Lalla Zouleikha s’insurge contre le colonialisme. Voir les jeunes servir de chair à canon (guerre d’Indochine, Seconde Guerre mondiale... la révolte : «Elle fulminait, elle se déchaînait pour enfin exploser à leur face, en leur montrant son refus de cautionner leur politique de deux poids, deux mesures, cette politique qui envoyait de jeunes Algériens guerroyer pour des causes qu’ils ne pouvaient s’expliquer, car se situant dans un monde loin, très loin de leurs aspirations.» La militante du Dahra n’avait pas la langue dans sa poche. «Son franc-parler la situait, pour nombre de colons, dans le registre des ‘‘anarchistes’’.»

La militante rentre dans la clandestinité le 21 mars 1957, après avoir été dénoncée pour ses activités au sein du FLN. Elle abandonne sa maison et ses enfants en bas âge pour rejoindre le maquis. «Cette décision lui a été recommandée encore par le fait que tout le réseau FLN de Cherchell a été découvert et ses membres arrêtés.» Au maquis, elle sensibilise et mobilise les djounoud.

La combattante est activement recherchée. Le lieutenant-colonel Gérard Lecointe lance sa meute à sa recherche ; «morte ou vivante», ordonne-t-il, «mais Lalla Zouleikha avait bien dit qu’elle ne baisserait pas les bras, qu’elle continuerait à militer, à combattre devant une situation catastrophique qui nous a été imposés par le colonialisme qui ne voulait, en aucune façon, reconnaître au peuple algérien un minimum de droits et de liberté».

Lalla Zouleikha est finalement arrêtée. Elle subira la torture pendant 10 jours avant d’être exécutée le 25 octobre 1957 dans des conditions atroces ; «... une moudjahida, une brave héroïne, attachée à un blindé, face aux populations des alentours, ramenées de force pour assister au ‘‘spectacle’’ de son supplice, qui subissait, stoïquement, mille injures et mille indignités que lui proféraient les soldats de la colonisation». Même dans cette situation, la moudjahida ne se démonte pas. Elle crache au visage du capitaine qui pilote cette sauvage opération. Lalla Zouleikha se tourne vers l’assistance et leur dit : «Mes frères, soyez témoins de la faiblesse de l’armée coloniale qui lance ses soldats armés jusqu’aux dents contre une femme. Ne vous affalez pas ! N’écoutez pas ces soudards qui sont là pour vous dominer ! Continuez votre combat jusqu’au jour où flottera notre drapeau national (...) Libérez le pays ! Tahya El Djazaïr... Tahya El Djazaïr...»

La moudjahida est fusillée sur place. Son corps sera jeté dans l’oued Aïfer, non loin du centre où elle fut torturée. «... Ce 25 octobre 1957 où elle a été abattue arbitrairement, sauvagement, froidement, comme son époux El Hadj Larbi Oudaï et son fils Lahbib (...) Lalla Zouleikha Oudaï a été exécutée le 25 octobre 1957 à 15 heures et n’a été déclarée que le 12 décembre 1957 à la mairie de Novi (Sidi Ghilès), 48 jours après son exécution par l’armée française.»

Ce n’est qu’en 1982 que ses restes sont découverts en même temps que ceux de deux autres chouhada par un paysan de la région, Ahmed Khodja : «Aujourd’hui, Lalla Zouleikha est enterrée au cimetière des chouhada de Menaceur, et les deux chouhada, Mustapha Rachedi, dit Si Rachid, et Amar Boumaâza sont enterrés à ses côtés.»

Quelques photos de la moudjahida Lalla Zouleikha et de sa famille sont à découvrir dans les dernières pages de l’ouvrage. Ces photos sont précieuses et rares car avant de monter au maquis, la combattante avait détruit son album afin qu’il ne tombe pas entre les mains de l’administration française.

Meriem Guemache

L’héroïne de Cherchell. Lalla Zouleikha Oudaï de Kamel Bouchama. Éditions Dalimen. 2024. 293 p. 1 400 da.

MERIEM GUEMACHE



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