«L'Europe est un espace de respiration pour les pays arabes»

Pour l'ancien diplomate français, Denis Bauchard, le Monde arabe a une importance stratégique pour le Vieux continent.
L'Europe évite au Monde arabe un tête-à-tête avec les superpuissances. C'est l'avis de Denis Bauchard, consultant en géopolitique et chargé du Monde arabe à l'Institut français des relations internationales (IFRI), exprimé dimanche soir à l'Institut français d'Algérie (IFA, ex-CCF) à Alger, où il a animé une conférence sur la nouvelle donne de la relation entre le vieux continent et les pays arabes. «L'Arabie Saoudite a des relations privilégiées et fortes avec les Etats-Unis. Mais, pour ce pays, l'Europe est un espace de respiration qui permet une diversification des interlocuteurs. Cela est également valable pour les pays de l'Afrique du Nord ou l'Irak», a-t-il déclaré. Il a relevé que l'intérêt de l'Europe tient de la proximité géographique. «C'est un monde qui nous est proche. Quelques dizaines de kilomètres séparent l'Espagne du Maroc.
Cette proximité nécessite que l'Europe ait de bonnes relations», a-t-il expliqué. L'intérêt est lié aussi à la position stratégique du Monde arabe, situé entre trois continents, Afrique, Europe et Asie. «Ce monde était le débouché naturel de la route de la soie et de la route des Indes. Et depuis le début du XXe siècle, le Monde arabe a pris dans l'approvisionnement énergétique de l'Europe une place considérable. Plus de la moitié des réserves prouvées de pétrole se retrouvent dans le sol arabe. Et plus de la moitié de la production se trouve dans cette région», a-t-il précisé.
D'après lui, cette situation ne va pas changer dans les prochaines années puisque la dépendance des hydrocarbures ne va pas faiblir. Il a indiqué que le Monde arabe monte en puissance également dans le domaine gazier à travers des pays comme le Qatar, l'Algérie et l'Irak (Le Qatar détient les troisièmes réserves mondiales de gaz naturel après la Russie et l'Iran). L'ancien ambassadeur de France en Jordanie a observé que «la prise de conscience» européenne de l'importance du Monde arabe est devenue plus prononcée après l'embargo pétrolier de 1973. Cela a été exprimé avec «la politique méditerranéenne» de l'Union européenne, le lancement du processus de Barcelone, la création de l'Union pour la Méditerranée et la politique de voisinage de Bruxelles.
20 millions d'Arabes vivent en Europe
La communauté arabe vivant en Europe est estimée à 20 millions de personnes. «La plupart ont la nationalité du pays d'accueil. Ils se dirigent de plus en plus vers le Nord du continent, alors qu'auparavant, ils vivaient en Italie, en Espagne et en France. Le maire de Rotterdam aux Pays-Bas est d'origine marocaine. L'Europe représente une opportunité d'étude et de travail pour les Arabes, malgré les complexités pour obtenir les visas et les difficultés économiques», a-t-il noté. Il a estimé que le Monde arabe représente un enjeu de sécurité pour l'Europe en raison de l'émergence du courant djihadiste visible médiatiquement à travers Al Qaîda. «La menace djihadiste provoque des morts davantage dans les pays arabes que dans les pays occidentaux. Il y a eu une prise de conscience rapide d'une coopération dans le domaine sécuritaire», a-t-il observé.
L'Europe est, d'après le conférencier, le premier débouché commercial des pays arabes avec plus de 60% du total des exportations annuelles. Les échanges annuels sont estimés à 140 milliards de dollars. «Avec un stock d'investissement de 85 milliards de dollars, l'Europe est le premier investisseur dans le Monde arabe. A l'inverse, et à travers les fonds souverains quatari et émirati notamment, les pays arabes investissent de plus en plus en Europe. Selon lui, la puissance américaine est en déclin depuis «la décision désastreuse» de l'Administration Bush d'intervenir en Irak en 2003. Il a rappelé que l'Europe et le Monde arabe se côtoient depuis douze siècles. «Il y a eu des périodes tumultueuses et des périodes d'enrichissement mutuel», a-t-il dit, citant la période d'Al Andalus.
«Le Monde arabe a enrichi la pensée occidentale. Il a été en quelque sorte l'intermédiaire entre Aristote et le monde médiéval», a-t-il expliqué, évoquant la fascination des Européens. Ancien diplomate, Denis Bauchard, avait travaillé dans le cabinet de Jacques Chirac et avait occupé le poste de directeur de l'Afrique du Nord-Moyen-Orient au ministère français des Affaires étrangères. Il avait été également président de l'Institut du Monde arabe (IMA) à Paris. Il est l'auteur, entre autres, de Le jeu des pétroliers et Le nouveau monde arabe, qui paraîtra à la fin de ce mois.