Algérie

L'Europe en très grands débats (1ère partie)



18 ans après sa création, l'Union européenne s'embrouille. Et les Européens sont devenus les champions du monde du pessimisme.

Depuis le 1er janvier, la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne est passée de la Belgique à la Hongrie et elle est tombée dans les mains du très autoritaire et conservateur Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, au doux surnom de «Victateur». Ce dernier a pris d'une main de fer tous les rouages politiques de son pays. Dernière innovation qui fait tousser la très timorée Commission de Bruxelles ? Une loi sur les médias vient d'être promulguée, qui fleure bon le stalinisme, à la différence près qu'Orbán trouve plutôt son inspiration dans l'idéologie d'une droite dure et chauvine. Ainsi, radios, télés, presse écrite et Net seront, depuis le texte voté le 21 décembre 2008, sous la tutelle absolue d'une «Autorité des médias et de la communication» nommée par l'exécutif et dotée de tous les pouvoirs (perquisitions, interrogatoires de journalistes, recherches des sources…). Elle pourra sanctionner de très lourdes amendes les médias qui se risqueraient à diffuser des informations qui ne seraient pas «politiquement équilibrées» aux yeux de ce Conseil. L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a qualifié la loi de «menace pour la liberté de la presse».

 En pleine crise économique et monétaire, en débat sur son avenir, l'Union européenne va donc être dirigée pendant six mois par un démagogue autoritaire, aussi anti-européen que très faiblement démocrate. Cerise sur le gâteau, la Hongrie se refuse à intégrer la zone Euro…

Les riches et les pauvres

On peut se rassurer en se disant que les décisions éventuellement prises par le Hongrois Orban, ne seront aucunement suivies d'effets. Mais cette présidence fait désordre dans une Union européenne, volontiers donneuse de leçons au reste de la planète, en matière de droits démocratiques.

 Plus généralement, l'Europe est en panne. L'union politique reste illusoire. La crise économique a ravivé les logiques nationales. Même l'euro est ici et là, contesté.

 Comme le note Eric de La Maisonneuve, général et président de la «Société de stratégie» : «l'Europe «molle» actuelle est devenue insignifiante ; contre toutes les lois physiques, elle pèse infiniment moins que la somme des pays qui la composent». Et ils sont nombreux.

 L'effondrement de l'Union soviétique avait permis l'élargissement de l'Europe à de nombreux ex-pays satellites de la Russie. L'Union européenne qui rechigne – de façon scandaleuse- à la candidature de la Turquie, s'apprête à intégrer certains pays balkaniques. L'intégration à l'Europe, 1er PIB mondial, a permis de sensibles progressions de revenus pour les habitants de l'Europe de l'Est.

 Mais comme les a rendues publique, en décembre 2010, l'organisme européen de statistiques, Eurostat, les disparités restent importantes et la réduction des écarts s'est figée depuis plusieurs années. En matière de PIB par habitant, si l'on excepte le petit Luxembourg, où le pouvoir d'achat est en 2009, deux fois et demie supérieur à la moyenne de l'UE27, parmi les nations florissantes, on compte les Pays-Bas où le PIB par habitant était plus de 30% supérieur à la moyenne des 27 pays européens. L'Irlande (mais depuis, la crise est passée par là !), l'Autriche et le Danemark se situaient entre 20% et 30% au-dessus de la moyenne de l'UE27, tandis que la Suède, l'Allemagne, la Belgique, la Finlande et le Royaume-Uni étaient entre 10% et 20% au-dessus de la moyenne. La France ne se situe qu'au 12ème rang, place qu'elle occupe depuis 1997 alors qu'elle était à la 3ème place en 1992 ! Ce pays, comme l'Italie et l'Espagne enregistraient un PIB par habitant entre 0% et 10% au-dessus de la moyenne de l'UE27, tandis que Chypre et la Grèce se situaient entre 0% et 10% au-dessous de la moyenne. En Slovénie, en République tchèque, au Portugal, à Malte et en Slovaquie, le PIB par habitant était entre 10% et 30% inférieur à la moyenne de l'UE27. Il était entre -30% et -50% en Hongrie, en Pologne, et dans les pays baltes tandis que la Roumanie et la Bulgarie se situaient entre 50% et 60% en dessous de la moyenne de l'UE27. La crise économique, ouverte à l'automne 2008, va accroître la stagnation des revenus et aggraver les écarts entre pays. Déjà la Grèce et l'Irlande ont subi des attaques spéculatives d'importance. L'Italie et l'Espagne restent dans le collimateur des banques d'affaires internationales et autres agences de notation.

 Pourtant, sous la pression de la Commission européenne et du FMI, l'ensemble des pays européens ont adopté, courant 2009 des programmes de grande rigueur. La réduction du nombre de fonctionnaires, la coupe dans les budgets sociaux, le gel des salaires et des investissements publics et privés peuvent constituer ponctuellement une réponse nécessaire aux crises budgétaires des Etats, condamnés à courir au secours d'un système financier irresponsable.

 Deux remarques, toutefois. Tout d'abord, force est de constater que les efforts sont très injustement répartis, les populations étaient bien plus mises à contribution que les actionnaires. Comme dans le reste de l'Europe, les entreprises du CAC 40 (les 40 plus grosses sociétés françaises) ont ces deux dernières années, affiché des bénéfices record. Par ailleurs, les politiques dites de rigueur durable entraînent une moindre activité, la hausse du chômage, la baisse de la consommation. Ces cures d'austérité, pour ne pas devenir mortifères, doivent s'accompagner de plans de soutien de l'activité. C'est l'un des domaines économiques, avec la politique monétaire, où règne l'absence de cohérence de l'Union européenne, et notamment entre l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France est la plus criante.

Fâcheries entre Berlin et Paris

La construction européenne repose en grande partie sur un accord politique entre ces trois principaux pays. D'emblée, la Grande-Bretagne, ouverte naturellement sur l'Atlantique, très proche des Etats-Unis, tournée vers les activités financières internationales, s'est toujours refusée de rentrer dans la zone Euro. Le développement de l'UE repose donc prioritairement sur une bonne entente du couple franco-allemand. Force est de constater que depuis la fin de l'Union soviétique, l'élargissement aux pays de l'Est, la réunification avec la RDA qui fait de l'Allemagne le 1er pays européen, et de loin, en matière de résultats économiques et de population, le couple a connu quelques fâcheries. L'essor de la mondialisation a accru les incompréhensions. Sur le plan de la politique économique, on croit de moins en moins mais encore un peu, à Paris, à l'utilité de l'intervention d'Etat. A Berlin, la conviction idéologique ne permet aucune contestation sur les vertus d'un marché totalement libre et sans protection aucune. Les Allemands n'ont concédé, à la création de l'euro et à la disparition de leur cher mark, contre l'absolue garantie d'une gestion budgétaire rigoureuse, empêchant tout déficit et toute dérive inflationniste, vieux cauchemar outre-Rhin. Tant que la croissance était là, les choses allaient cahin-caha. La crise économique ouverte à l'automne 2008 a rapidement alimenté les tensions.

 Tandis que la France s'engage, dès décembre 2008, dans un programme de relance conjoncturelle plutôt ambitieux, mobilisant 26 milliards d'euros en 2009, soit 1,3 % du PIB français, l'Allemagne est beaucoup plus frileuse : la relance n'est que de 0,1% du PIB en 2008, mais de 1,6% en 2009 et de 0,9% en 2010. L'Allemagne ne répond à l'attente du FMI qu'en 2009, celui-ci fixant à 1,5-2% du PIB, l'effort annuel à consentir par les Etats européens.

 La «crise grecque» fut une seconde alerte, beaucoup plus chaude. Face à la quasi-faillite de l'Etat grec, durement attaqué par la spéculation, la 1ère position d'Angela Merckel fut marquée d'un solide égoïsme national : «les Allemands ne paieront pour «les excès des Méditerranéens !» (Grèce, Espagne, Italie…).

 Pressée par des médias et une opinion publique moins pro-européenne que précédemment, la Chancelière allemande, à la tête d'une coalition bancale, s'est concentrée surtout sur une importante élection régionale en mai 2010,, celle du land de Rhénanie du Nord Westphalie (18 millions d'habitants.), décisive pour la stabilité de l'exécutif. En jouant la carte politique interne, Angela Merckel a clairement donné à ses partenaires européens l'impression de faire passer ses échéances électorales internes avant la construction de l'UE.

 Autre obstacle, l'Allemagne se tire plutôt mieux de la crise que ses proches voisins, grâce à ses exportations. Selon la Banque centrale européenne, les exportations allemandes ont certes crû plus vite que dans l'ensemble de la zone euro (+7,3 contre +5,5%), La politique de son prédécesseur, le social démocrate Gerhard Schroeder est à l'origine de cette compétitivité maintenue. Celui-ci a imposé une forte pression sur les salaires, au milieu de la 1ère décennie : l'Allemagne a effectivement pratiqué une politique de réduction réelle des salaires. Ceux-ci n'ont augmenté nominalement sur les dix dernières années que de 21,8% contre 29,5% dans la zone euro et 35,5% dans l'ensemble de l'Union européenne, mais cette augmentation représente une diminution du salaire réel de -0,8%. A titre de comparaison, les salaires réels ont augmenté en France pour la même période de 9,6%. Mais cette politique trouve également, ses limites connues : la croissance allemande (1,5%) est restée en deçà de celle de la zone euro (+2,2%), l'évolution de l'emploi (+0,1%) est restée inférieure à celle de la zone euro (+1,3%), tout comme les investissements (+1,3% contre +2,4%). Autre facteur de tension, le dogmatisme budgétaire de la Banque centrale européenne, basée à Francfort et une politique d'un euro surcoté par rapport au dollar, au yen et au yuan, favorise surtout l'économie allemande. Fait rarissime, en mars 2010, la ministre française de l'Economie, Christine Lagarde, reproche très vivement à l'Allemagne de pratiquer une politique qui mise essentiellement sur les exportations, privilégie les profits immédiats des entreprises et, en négligeant les salaires, empêche la reprise de la consommation intérieure qui serait profitable à la croissance en Europe !

Des Européens très, très moroses

Depuis, Berlin, se souvenant de l'utilité très grande de l'euro pour sa propre économie, est revenu à de meilleurs sentiments et a mis la main à la poche en matière de solidarité et de soutien à la croissance. Début mai 2010, un plan de sauvetage de l'euro sollicite le budget de l'UE des principaux pays de la zone euro pour un montant de 440 milliards, dont 123 pour la seule Allemagne. Mais c'est peut-être trop tard et surtout trop peu.

 Face au duopole sino-américain et à la montée des pays émergents, l'Europe est décontenancée par la crise du système mondialisé qu'elle a tant promu et qui lui profite si peu. Région la plus riche du monde, l'UE a le plus grand mal à se hisser économiquement, politiquement et diplomatiquement au rôle de puissance mondiale. Incapable de coordonner les politiques nationales, le Conseil comme la Commission européenne multiplient les grandes déclarations sans promouvoir d'action coordonnée. Du coup les Européens sombrent dans le pessimisme. Un sondage BVA-Gallup pour Le Parisien, réalisée auprès de plus de 60.000 personnes dans 53 pays, montrent que les Européens de l'Ouest sont bien moins confiants que les peuples du reste du monde, qu'ils s'agissent des Américains, des autres pays industrialisés, des PVD ou des pays émergents. Les Français sont champions du monde du pessimisme, quant à leur situation économique en 2011, plus inquiets même sur l'avenir que les habitants de pays en guerre, comme l'Irak ou l'Afghanistan ! Ils sont 61% à déclarer que la nouvelle année sera synonyme de difficultés économiques, contre 28% en moyenne dans le monde, 22% en Allemagne, 41% en Italie, 48% en Espagne et 52% au Royaume-Uni. La sinistrose des Français a augmenté de dix points par rapport à l'an dernier, note BVA. Bonne Année !




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