Algérie

L'euroïque



L'euroïque
Il était fel bled. Cool. Un salaire de cadre et un cadre de vie enviable. Mais le bled, ce n'est pas un bled où il fait bon vivre. C'était son idée fixe. Au garde-à-vous il se met et décide la «hedda». Papiers, visa touristique. Il est là-bas. Très las et bas.A peine arrivé sur le sol rêvé, il se déguise en natif local et, du coup, nattes, tiffes, coupe sa moustache de véritable Algérien. Il ne s'appelle plus Smaïn mais Smell. Cela fait plus anglo-saxon, moins arabe. Le voilà déambulant sur les grands boulevards et le monde semble lui appartenir. Le soir, lorsqu'il rentre dans sa chambrée, huit têtes se lèvent au même moment: il partage avec elles 15 m2, où si tu ne dors pas avec tes chaussettes dans ta poche, le matin tu n'auras guère la chance de retrouver les mêmes à ton réveil.En Algérie, lorsqu'on demande aux proches: «Yadra, les nouvelles '». «Fi el kharij !». Cela suffit, c'est le mot magique pour créer des envieux. Mais en fait de quoi ' Du mauvais temps, des mauvaises conditions de vie, du travail au noir et aliénant, de la peur de se faire coffrer ' Il est prêt à tout pour rester dakhil ce kharij. Plus encore que vous ne l'imaginez. Il a fait un mariage blanc qui a viré au rouge: il en a vu de toutes les couleurs... Les menottes qu'on lui a collées lui serrent le poignet depuis quelques heures et du sang suinte des plaies déjà creuses. Maâlich, il continuera à sourire aux gendarmes pour essayer de gagner leur sympathie et surtout leur montrer que rien n'est plus dur que de retourner là-bas.Il entend les moteurs de l'avion, les pistes sont au pied du bâtiment où il est retenu. Il tremble. Un gars lui dit: «Ya sahbi, on dirait que tu ne connais pas le bled ! Ce n'est quand même pas le bagne '». Il lui répond: «Maâlich, je veux rester ici». A chaque misère vécue dans ce pays, preuve du chemin à faire pour être heureux, c'est toujours maâlich. Avant d'arriver dans ce centre de détention administratif, il en a vécu des choses, c'est peut-être cela la vie. De toute manière, il sait qu'il a raison d'y croire et il se persuade que sa vie est bien mieux. Le bonheur réside-t-il uniquement dans l'idée qu'on s'en fait '«Persuade-toi que tu es plus heureux et tu le seras vraiment !». Smaïn devenu Smell, ou semelle… euroïque.




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