Dans cette interview, Souhil Meddah analyse pour nous le contenu de l'avant-projet de loi de finances 2021 examiné en Conseil des ministres, dimanche dernier. Selon lui, cette loi budgétaire répond à des objectifs que le gouvernement s'était initialement fixés, aussi bien au plan fiscal que budgétaire.Liberté : Le projet de loi de finances pour 2021 intervient dans un contexte particulier, marqué par une double crise, financière et sanitaire. Pouvez-vous nous en faire une lecture sommaire '
Souhil Meddah : À la lecture du texte du projet de loi, on peut constater que le gouvernement a établi un ensemble d'objectifs prioritaires comme la réorganisation de l'administration fiscale, l'encadrement du secteur du commerce extérieur, l'allègement des charges fiscales sur les bas salaires suivant un barème progressif, etc.
En effet, le réaménagement de quelques textes en matière fiscale semble revêtir un caractère prioritaire dans l'avant-projet de loi de finances pour 2021, avec comme objectif sous-jacent de basculer vers une application plus efficace et plus stricte des règles en matière de collecte des droits et taxes. Il est également question d'intégrer, de manière effective et réelle, valeurs et plus-values de cessions d'actifs détenus par des personnes morales ou physiques. L'Exécutif s'intéresse aussi, dans le cadre de cette loi en projet, à certaines niches fiscales, jusqu'ici inexploitées.
Dans la même veine, il a élaboré des dispositions plus flexibles dont certaines consistent à plafonner des abattements accordés à des opérateurs économiques en fonction des zones géographiques dans lesquelles les investissements sont localisés. Ce faisant, le gouvernement semble vouloir étendre l'assiette fiscale, en récupérant plus de ressources financières. Il faut, cependant, souligner que les mesures d'abattements et les conditions dans lesquelles elles s'appliquaient nécessitaient une profonde révision.
Dans la même dynamique de réorganisation de la sphère fiscale, l'Exécutif met, en outre, en relief la nécessité d'asseoir le processus de numérisation de l'administration fiscale, un processus évoqué à plusieurs reprises et sous différentes formes. L'opérateur économique a également une responsabilité dans le projet de numérisation. Il doit mieux cerner et mieux contrôler les données et autres informations transmises dans les plateformes déclaratives prévues à cet effet.
Le texte du projet de loi renferme de nombreuses autres dispositions fiscales...
Dans cet avant-projet,le gouvernement veut,par ailleurs,une intégration effective de certaines activités extra-professionnelles dans le circuit réel fiscal. Il compte le faire avec de nouvelles mesures opérationnelles pour éviter l'évasion fiscale. Il a aussi modifié certaines dispositions fiscales pour une meilleure collecte de la TAP. L'Exécutif entend ainsi éviter les interprétations divergentes qu'en font actuellement les entreprises et, par conséquent, permettre aux services fiscaux de mieux calibrer leurs voies de contrôle.
À propos de l'impôt, les ménages et les entreprises en payent toujours plus. Et l'avant-projet dont il est question n'a pas été clément à ce sujet. Votre avis '
Je voudrais signaler que cela n'est pas tout à fait exact, car le gouvernement vient d'établir des dispositions accordant un statut spécial aux exportateurs (personnes physiques). Cela devrait leur permettre de bénéficier d'une exonération fiscale sur l'IRG au prorata du chiffre d'affaires en devises réalisé, au même titre que les exportateurs ayant le statut de personnes morales.
Cela s'inscrit dans le droit fil de la volonté de l'Etat d'encourager davantage les exportations de marchandises et de service, et de diversifier, de manière graduelle, la gamme. Au chapitre des importations, de nouvelles mesures ont été également prises à la faveur de cet avant-projet de loi. Elles concernent le paiement des opérations d'importation ne revêtant pas un caractère vital pour l'économie nationale.
Celui-ci s'effectuera désormais au moyen d'un instrument de paiement dit "à terme" payable en trente jours à compter de la date de l'expédition des marchandises. L'objet de cette mesure consiste à adapter les modes opératoires de financement des opérations du commerce extérieur en exigeant pour des catégories d'opérations à risques un mode de financement, dont le transfert de devises correspondant ne sera fait qu'après épuisement d'un délai de sûreté financière, garantissant aux services des douanes de s'assurer de la conformité stricte des marchandises importées à l'égard des documents commerciaux, financiers, techniques... y afférents.
À mon sens, cette disposition est utile dans l'assainissement graduel de la sphère d'importation de produits non stratégiques ou d'activités à risque. En ce qui concerne les ménages, il a été mis en place un système progressif accompagné de mesures d'abattement partiel flexible sur les revenus allant de 30 000 à 35 000 DA. En théorie, cela devrait permettre de soutenir le pouvoir d'achat des ménages qui se trouvent dans la catégorie de revenus faisant l'objet d'un abattement. Mais au vu de la réalité économique actuelle, l'abattement n'apportera qu'une petite amélioration.
Aujourd'hui, il y a une très forte demande de ressources financières dans tous les secteurs de l'économie, alors que l e pays souffre d'un manque de ressources. Or, le gouvernement vient d'augmenter le budget de fonctionnement, tout en coupant dans le budget d'équipement. Ainsi, l'Exécutif ne semble pas avoir fait l'arbitrage nécessaire entres secteurs économiques et sociaux. Avez-vous un commentaire à ce sujet '
Il existe un déséquilibre entre ressources et dépenses, avec un déficit prévisionnel de 2784 milliards de dinars en 2021. Les dépenses de fonctionnement s'envolent à 5 314 milliards de dinars, en augmentation de 8,60% par rapport à l'exercice 2020.
Cette hausse est liée aux effets de la pandémie avec la mobilisation de ressources en faveur notamment de la solidarité et des familles, mais également à la revalorisation des salaires (abattement sur l'IRG), ainsi qu'à l'ouverture de nouveaux portefeuilles ministériels. Quant au budget d'équipement (2 798 milliards de dinars), il marque une baisse de -4,80% par rapport à 2020.
Cela aura des conséquences sur un certain nombre de secteurs, notamment celui des infrastructures. Et de ce fait, la relance de l'économie sera, pour le dire en un mot, difficile à réaliser. Je crois qu'il aurait été plus judicieux que notre modèle économique bénéficie d'un appui budgétaire dans le cadre de cet avant-projet de loi.
Cela devrait permettre de garantir une croissance économique durant l'année 2021. En résumé, 2021 sera une année compliquée où l'équilibre budgétaire demeurera difficile à trouver. Par ailleurs, j'estime que les mesures appliquées à l'impôt "penchent" davantage en faveur de l'administration fiscale qu'en faveur d'une mobilisation de ressources au profit de la politique publique et de l'économie nationale.
Propos recueillis par : YOUCEF SALAMI
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Posté Le : 12/10/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Youcef SALAMI
Source : www.liberte-algerie.com