Les hérésies jointes aux ambitions personnelles continuaient à ébranler l'Islam en le morcelant. Tahert, née dit Kharidjisme, périt par le Chiisme.
La Chia légitimiste du quatrième Khalife, Ali, appelait au pouvoir ses descendants, les Fatimides. Les Chiites vivaient dans l'espoir d'un Mahdi et se livraient en sa faveur à une ardente propagande. Un de leurs émissaires, Abou Abdallah, crut discerner les instruments de Dieu dans les Kotamas, montagnards de la Petite Kabylie. De fait, ceux-ci réussirent à prendre Kairouan, Tahert (909) et à ramener à Kairouan un Mahdi Fatimide, alors prisonnier chez un prince kharidjite du Tafilalet.
Ce fut l'origine de nouvelles luttes. Les Algériens furent englobés dans la rivalité entre les Ommeyades de Cordoue et les Fatimides de Kairouan, et se divisèrent pour suivre le parti de ceux-ci ou de ceux-là. Aux Kotamas Chiites se joignirent les Senhadja, sédentaires de l'actuel département d'Alger, s'étendant jusqu'au Hodna, qui se rallièrent aux Fatimides; leur principal ennemi était le bloc des Zenata, nomades ayant leurs terrains de parcours plus à l'ouest et au sud, fidèles aux Ommeyades. Les Senhadja, et au premier rang les Beni Ziri, l'emportèrent.
Les Beni Ziri s'occupèrent alors de faire régner la sécurité sur leur territoire. Ils y arrivèrent en bâtissant des forteresses, dont la principale, Achir, dans les Monts du Tittery, devint leur capitale.
Ils restèrent fidèles aux Fatimides et allèrent les soutenir en Ifriqya. Les nouveaux maîtres de Kairouan n'avaient pas tardé, pour subvenir aux besoins de la guerre, à lever des impôts non coraniques. D'où leur impopularité, qui trouvait un autre aliment dans le ressentiment des Kharidjites et des Malékites. Une révolte se produisit chez les Berbères, menée par Abou Yazid, l'homme à la chèvre, qui, ayant étudié à Tahert, rêvait de chasser les Fatimides et d'établir un régime théocratique. Il en résulta une crise grave qui dura de 943 à 947. Abou Yazid marcha sur Kairouan, puis sur Mahdiya, port construit sur la côte tunisienne où se réfugièrent les Fatimides. Les Beni Ziri délivrèrent la ville, poursuivirent Abou Yazid, et le prirent dans les hauteurs dominant le Hodna. Le projet des Fatimides était de répandre le Chiisme en Orient, et d'abord en Égypte. Après un premier échec, ils reprirent leur dessein. Pour assurer leur liberté de mouvement, ils confièrent l'Ifriqya à Bologguin, fils de Ziri. Tout en tenant leur place, celui-ci devait continuer la lutte contre les'Zenata. Tâche écrasante, que son fils désespéra de mener à bien : à son tour, usant du même procédé que les Fatimides, il abandonna une partie de son territoire, le Maghreb central, à son oncle Hammad, avec mission de contenir les Zenata, lui-même s'installant à Kairouan.
Hammad ne tarda pas à vouloir se rendre indépendant. Il fonda dans les hauteurs du Hodna la Qala des Beni Ziri, qui, à l'origine simple forteresse, se développa et devint une véritable capitale. En 1017, après une guerre, le sultan de Kairouan dut reconnaître l'indépendance de l'État Hammadite.
La Qala, peuplée d'abord grâce à des déportations en masse, connut une grande prospérité. Cette prospérité, certaine et brillante, mais éphémère, lui vint en partie de ce qui devait causer sa ruine et celle de l'Algérie : l'invasion des Arabes hilaliens. Les Senhadja de Kairouan, dont les convictions chiites étaient devenues assez tièdes, n'avaient pas tardé à rompre avec le Fatimide d'Égypte. Occupé de ses projets orientaux, celui-ci lança contre eux les nomades hilaliens, alors cantonnés dans la Haute-Egypte. Le sultan de Kairouan les accueillit d'abord favorablement; mais ils ne tardèrent pas à être les maîtres. Les Beni Ziri durent abandonner Kairouan, pour se retirer, comme avant eux les Fatimides, à Mahdiya.
La ruine de Kairouan profita d'abord à la Qala Hammadite. Un flot d'émigrés vint augmenter sa population. Il en arriva même d'Égypte et de Syrie, du Hedjaz, et de l'Irak L' Émir En Nacir put ainsi faire de la Qala une capitale, avec dés monuments très importants (Palais du Fanal, Palais de la Mer), aussi remarquables par leurs proportions architecturales, que par leur décoration.
Mais l'invasion hilalienne continuait : sans cesse de nouvelles tribus arrivaient, et les nomades poussaient de l'avant, détruisant tout sur leur passage : à leur tour, les Hammadites durent céder la place, ou tout au moins chercher un refuge sur la côte. En 1090, El Mançour se réfugia à Bougie. Il n'était pas, à vrai dire, complètement chassé de la Qala, et, pendant un certain temps, les Hammadites eurent deux capitales.
Ils firent de Bougie une ville florissante. Sous la pression des circonstances, ces terriens se tournent vers la mer.
Ils encouragent d'abord le commerce, particulièrement avec l'Orient. Des chantiers de construction bâtissent des galères rapides et des bâtiments de transport. Le commerce de Bougie s'étend avec l'Europe : ses souverains éiablissent des relations diplomatiques même avec le Pape. Mais, dans la Méditerranée, ils se rencontrent avec les Normands; et leurs rapports avec eux ne tardent pas à devenir hostiles. Le vieil atavisme guerrier finit par reprendre le dessus : ils se livrent à la piraterie. Du moins, d' après les chroniques, la Bougie hammadite rappelait-elle les splendeurs de la Qala. Il n'en reste plus trace aujourd'hui.
La grandeur des deux villes hammadites, puis leur décadence, eurent pour cause directe, on le voit, l'invasion des Arabes hilaliens. Cette invasion représente le plus important apport de sang arabe dans l'Afrique du Nord. On a calculé qu'il est venu environ un million de ces nomades. La façon dont ils s'établirent dans le pays a eu plus d'influence que leur nombre.
Bien qu'agitée et déchirée encore par des guerres, l'Afrique du Nord, aux IXème, Xème et XIème siècles, avait connu une civilisation sinon originale (les influences orientales sont très nettes), du moins assez développée et florissante : un dernier reflet de la prospérité romaine illustrait le pays. Avec les Hilaliens, le tableau change et s'assombrit. Parlant des Hilaliens, Ibn Khaldoun a écrit : « Tout pays conquis par les Arabes est ruiné. » La future Tunisie, envahie la première, fut effectivement ruinée, et l'Algérie orientale eut le même sort.
Avant l'arrivée des Hilaliens, les souverains de l'Afrique du Nord semblent avoir éprouvé des difficultés toujours croissantes à recruter les guerriers nécessaires pour faire reconnaître leur autorité dans les pays qui leur étaient en principe soumis, et pour se défendre contre leurs voisins. Les nomades fournissaient des contingents tout disposés à se battre. Dans bien des cas, ils intervinrent donc à la demande des Berbères. Mais les Fatimides, en les lançant sur l'Ifrigya, leur avaient concédé, suivant l'usage, la propriété des territoires qu'ils viendraient à conquérir. Par la suite, en se mettant au service de tel ou tel chef ou prince, les Hilaliens acquirent des avantages comparables à ceux des " tribus maghzen " des époques récentes : mariages entre les familles de leurs chefs et celles des roitelets secourus, surtout concessions de terres ou de revenus spéciaux, sous des formes variables, mais voisines des usages féodaux. Ces avantages ne purent leur être acquis qu'au détriment des populations anciennes. L'insécurité, l'instabilité revinrent plus que jamais à l'ordre du jour : l'agriculture disparut, ainsi que le commerce normal.
L'invasion hilalienne ouvrit une période de désordres et de combats. Car, en même temps que la ruine de Kairouan, puis de la Qala, elle produisit un reflux des nomades Zenata, qui commença la dévastation. L'Ifrigya ne s'en releva pas. Le Maghreb central ne connut plus d'État indépendant pendant de longues années. Le flambeau de la civilisation passa, avec la puissance politique, aux dynasties occidentales des Almoravides et des Almohades.
Posté Le : 15/06/2007
Posté par : hichem
Ecrit par : L'ALGÉRIE jusqu'à la pénétration saharienne par M. J. M. BOURGET ; Ancien élève de l'École Normale Supérieure, Agrégé de l'Université, Capitaine d'Infanterie honoraire, Rédacteur militaire au "Journal des Débats"
Source : aj.garcia.free.fr