Algérie

L’Etat algérien et la langue arabe



Le conflit de la parole Dans des tribunes où l’identité d’un pays doit se manifester à travers la langue par laquelle celui-ci se définit, il semble que les officiels de notre pays prennent assez à la légère la nécessité de s’exprimer en langue nationale. Dans le même temps, dans les médias audiovisuels, l’alternance désinvolte, dans le propos des intervenants, de cette langue avec d’autres langues ou idiomes, est inquiétante, quand on la pense dans une perspective de souveraineté et de cohérence nationales. Ce n’est même plus la dominance d’une autre langue sur l’arabe qu’on observe, mais c’est comme si on voulait nous donner à croire que cette langue nous est intrinsèquement étrangère et qu’elle ne peut porter ce qu’on veut dire. Ce n’est plus visiblement une volonté de se plier à une réalité de transfert ou d’emprunt lexical ou faciliter l’expression et la communication: aujourd’hui, on voit comme une incitation à l’hybridation langagière qui abâtardit toutes les structures d’expression et en rend flous à la fois la source et le contenu culturel. Dans les textes officiels se référant à la langue, il est dit nettement que l’arabe est la langue nationale, du moins la première langue nationale, langue de l’Etat algérien. Je ne ferais pas de raccourci facile en disant qu’on s’attendrait, en vertu de cela, à ce que tout représentant de l’Etat s’oblige, sauf cas objectivement exceptionnel, à se conformer à l’identité de cet Etat et de s’exprimer, en toute situation d’officialité, en arabe. Or voilà: nous assistons parfois au contraire. De hauts responsables, appartenant à un système qui ne cesse de nous ressasser que la langue arabe est notre langue nationale, au-delà de vouloir montrer leurs connaissances et sans que la situation les y oblige, se prononcent en français. Tous les Algériens doués de bon sens et de loyauté, y compris le francophone qui ne comprendrait pas un mot d’arabe, verraient en cela une incohérence irrespectueuse voire une offense. En tout cas, on s’attendrait à ce qu’un responsable de haut rang s’exprime, pour l’essentiel, dans la langue que l’Etat qu’il représente a choisie comme sienne. D’aucuns iront plus loin: pourvu que son interlocuteur ait le moyen de le saisir (parce que connaissant sa langue ou pourvu de moyen de traduction), il doit s’adresser à lui dans la langue nationale. Car ce n’est plus là une question d’efficacité et de rapidité de communication (celles-là étant aujourd’hui possibles par d’autres moyens) ni même celle de donner la preuve de son propre savoir qui honorerait (penserait-il) son pays, mais une question de souveraineté et d’expression de particularité nationale. Dans ce genre de situation de communication, il s’agit avant tout de laisser voir son intégration à l’Etat qu’on représente. A commencer par la langue! Bref, a-t-on vu des responsables d’Etat d’un pays étranger s’exprimer, dans un cadre officiel, dans une autre langue autre que la leur officielle? A-t-on vu une télévision où l’on se fait une règle de varier les langues dans son propos? (C’est différent d’avoir une chaîne en langue étrangère, ou des émissions en langues étrangères dans une même chaîne). Apparemment, nous sommes les seuls à avoir trouvé, dans notre endémique neurasthénie générale, qu’il faille plonger comme dans un gai suicide dans une décontraction qui frise la bouffonnerie. Il fut un temps où les écrivains francophones algériens étaient honnis, taxés de vassaux de l’Etranger par certains milieux du pouvoir. Mais ces écrivains-là se déclaraient algériens écrivant en français; et nombreux parmi eux parlaient l’arabe, comme ils le pouvaient, quand ils devaient afficher leur identité ou s’adresser à un public qu’ils savaient arabophone. On connaît le reste de l’histoire : bien sûr, tout visait à les culpabiliser ou à les bâillonner, les réduisant au silence en créant la suspicion à leur égard. Contrairement aux gouvernants, en tout cas, ces écrivains, eux, n’ont jamais prétendu représenter autres qu’eux-mêmes. Il fut aussi un temps où on introduisit l’arabisation de force, mettant tous les «aliénés» de la francophonie, ou les mentalement exilés dans le français, dans une camisole d’arabité. N’ayant nul souci quant à la déperdition du savoir ou carrément des cadres ne pouvant soutenir un changement aussi paralysant dans le mode de communication de la connaissance. Pourtant, dans le corps des enseignants, nombreux acceptèrent de s’arrimer à la mutation et en approuver, en dépit de tout, le principe. Aujourd’hui, et après tous ces chamboulements, dans certains instituts, les étudiants ne savent plus, linguistiquement, sur quel pied danser : des matières de spécialités sont enseignées en français, d’autres en arabe ; et il n’est pas de matière qui n’exige de son apprenant de recourir à des livres écrits en d’autres langues. Cette langue arabe qu’on enseigne aujourd’hui à nos enfants dans les écoles et lycées, leur servira-t-elle seulement à suivre quelques programmes de télévision du Machrek ou à seulement lire quelques journaux? Avons-nous fait assez montre qu’elle peut, à tous les niveaux et degrés du savoir, constituer un moyen d’expression qui leur donnerait un sentiment de saisie réelle, profonde et organisée de l’univers et de l’être ainsi qu’un sentiment de cohérence dans leur propre identité et d’appartenance à un Etat? Avons-nous bien défini, sans démagogie, ni glorification creuse, sa place par rapport aux autres langues que nous sommes censés ou appelés à utiliser? Et ce, en encourageant l’apprentissage de ces dernières et en évitant autant que possible de laisser croire qu’il faille s’abandonner aux mélanges douteux; car si les langues doivent vivre des transferts entre elles, elles le feront selon une dynamique naturelle -souvent lente celle-là- et non par un forcing qui atteint aujourd’hui une «sabiration» qui répond à je ne sais quel dessein de coincer notre langue (organe) quand elle voudrait se nourrir du fond. L’Algérien vit encore plus un conflit avec la parole. Et la confusion dans le système d’expression et de représentation linguistique, qu’on encourage sous prétexte de richesse, est à mon sens porteuse de danger de paralysie qui précède «l’excision» de la parole tout court.




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