«Déguiser, sous
des mots bien choisis, les théories les plus absurdes suffit souvent à les
faire accepter». (Gustave Le Bon)(1)
La crise actuelle
se manifeste sous sa forme la plus difficile et la plus dure en Europe, par
vieillesse du continent nous dit-on ci et là, par jeunesse de l'entité
économique répliquent d'autres par-ci par-là et enfin par dogmatisme économique
et laxisme étatique coupable, nous expliquent certains rares économistes.
Mais le résultat,
pas du tout réjouissant, est le même dans tous les cas!!!
Les gouvernements
de la zone Euro tombent les uns après les autres. La série va-t-elle s'arrêter
là? Après la Grèce
et l'Italie, à qui sera le tour? Ce sera peut-être l'Espagne ou le Portugal
voire peut-être même la France
(2)!!! La crise de l'Euro aura-t-elle raison de l'Union européenne? Des pays en
surendettement (ménages et État), des entreprises en faillite ou en
délocalisation définitive, des peuples au chômage ou sous pression fiscale, des
systèmes financiers instables et extrêmement volatils et des responsables
politiques en totale complicité avec les lobbies transnationaux de la finance,
les systèmes sociaux sont démantelés et les conditions de vie endurcies par la
baisse des salaires, l'instauration de nouveaux impôts, et l'extrême
instabilité des emplois.
Mais comment
peut-on arriver à une telle gabegie dans un espace économique commun considéré,
jusqu'à l'année dernière comme un modèle d'intégration réussie à tous les
niveaux ? Pourquoi la crise s'installe-t-elle durablement dans cet espace
économiquement très expérimenté ? Comment ces pays se sont-ils retrouvés
totalement étranglés par les marchés et par la crise ? Quelles sont les
solutions que ces pays ont-ils adoptées et mises en Å“uvre pour sortir de cette
situation ?
Le cercle vicieux
dans lequel les pays de la
Zone Euro sont entrés est le résultat direct du transfert des
effets de la crise financière de 2008 de la sphère économique vers la sphère
institutionnelle. En langage simple et simplifié ceci veut dire que l'acte de
faire supporter les gouvernements, par l'utilisation des fonds du contribuable,
les conséquences de la crise générée et alimentée par les banques et
institutions financières a transféré les effets négatifs vers les budgets des
gouvernements.
En effet, au lieu
de laisser agir et accepter les lois orthodoxes des marchés en respectant le
cycle de vie économique rigoureusement, les États, complices par les relations
occultes de leurs commis avec le monde de la finance, sont intervenus
vigoureusement pour renflouer leurs amis et les sauver de la faillite qui, ne
l'oublions surtout pas, fait partie des concepts principaux du fonctionnement
des marchés.
Du point de vu
strictement technique, la faillite est la sanction économique d'un comportement
économique pour exprimer une évaluation économique de l'acteur économique. La
traduction de ceci dans les termes que les acteurs des marchés chérissent est
la suivante : la faillite est l'expression ultime des marchés d'une sentence
ultime à l'égard d'un comportement nocif pour les marchés de l'un ou plusieurs
de leurs acteurs pour préserver leur fonctionnement sain. Or, par le
comportement des États, régaliens et régulateurs des marchés, l'un des principes
du fonctionnement de ces derniers est bloqué. Dans ce cas là, au lieu
d'instaurer la confiance des marchés dans les intentions et les actions des
gouvernements, les États remettent en cause les principes mêmes du
fonctionnement des marchés, soit une perte totale de confiance dans les
intentions et les capacités de ces mêmes gouvernements à garantir un
environnement et des règles stables et immuables à l'égard des acteurs des
marchés (3).
Notons que
plusieurs comportements et signaux émis par les États ne sont guère rassurants.
Ils sont plutôt interprétés par les marchés dans le sens inverse même de leur
but initial. Par exemple, les efforts des pays de l'Union et leur ferme soutien
à la Grèce,
sont complètement anéantis par le fait d'imposer aux créanciers de ce pays
d'accepter de perdre une partie de leurs créances (30% minimum) car ceci veut
tout simplement dire qu'il y a de fortes chances (une chance sur trois) que la Grèce fasse faillite
et cesse de payer ses dettes. Les marchés réagissent à cette information en
accélérant leur pression et leur retrait de l'économie de ce pays par le
désinvestissement massif et le refus de tout financement direct ou indirect des
entreprises et des activités qui y sont liées (4).
Les mesures
prises par certains États sont également génératrices de comportements
déstabilisateurs des marchés. Le soutien accordé aux banques et institutions
financières est interprété par les marchés comme une preuve du pouvoir
structurel que ces dernières exercent sur les décisions politiques et
économiques des pays. Ceci, non seulement renforce, mais aussi amplifie leur
voracité et empêche toute remise en cause de leurs procédés et leurs méthodes
de travail basées sur la spéculation, la prise de risques démesurée,
l'instabilité et la volatilité des référentiels internationaux. Dans cette
anarchie, aucun contrôle n'est possible, aucune mesure des risques n'est
fiable, aucun signal n'est déchiffrable par les agents économiques : c'est le
climat idéal pour plus de gain !!!
Les États et les
gouvernements essayent de calmer les esprits, de rassurer les marchés et de
garantir un environnement serein pour les activités économiques. Ils ont sur le
dos à la fois la pression de leurs peuples mécontents et indignés et
l'expression du pouvoir de leurs créanciers craintifs et prudents.
Ils réagissent
aux situations et aux faits imposés par le comportement vorace des marchés et
par les marches des masses dans les rues. Ils courent dans tous les sens de
façon irréfléchie et subjective, cédant tantôt aux exigences de rigueur
qu'imposent les marchés et répondant favorablement tantôt aux pressions des
citoyens dans les rues.
Dans cette
ambiance déconcertante et lourdement chargée, les acteurs économiques, les
gouvernements et les peuples se livrent une bataille de légitimité, de
priorités, de droits et de devoirs sans précédent. On distingue clairement
plusieurs postures politiques et réactions socioéconomiques de ces
protagonistes
Il y a d'abord
les pays qui croient que c'est l'heure de la rigueur budgétaire, des économies
dans les dépenses publiques et de la surveillance des finances des États. Ces
pays pensent que les peuples de la zone euro vivent au-dessus de leurs moyens
et ne peuvent plus se le permettre dorénavant. Donc, il y a lieu de remettre en
cause toutes les pratiques antérieures à la crise et prendre en considération
ces difficultés et ces contraintes. L'heure est à l'austérité aux coupes
budgétaires et à la chasse aux dépenses, jugées inutiles : baisse des salaires
dans les administrations ou au mieux gèle provisoire des augmentations, baisses
des effectifs dans les institutions et établissements du service public (dans
l'enseignement, dans la santé et dans la sureté
publique), tentatives de suppression des aides sociales et des allocations de
protection contre la précarité, et enfin, des gouvernements de technocrates
sont installés un peu partout pour veiller au respect strict de cette cure (5).
Ces pays ne se
contentent pas de ces remèdes socialement douloureux, politiquement suicidaires
et économiquement très couteux, mais ils font
semblant de lutter contre ce qui semble comme l'origine du mal pour les peuples
: la domination du monde des finances. Ils proposent, timidement, de
réglementer le fonctionnement de ce monde, d'instaurer
plus de transparence dans le fonctionnement de ses acteurs et pourquoi ne pas
taxer, plus encore, les transactions faramineuses qui s'y exécutent. Mais,
malheureusement, cet aspect rencontre plutôt une résistance claire et ferme de
la part des marchés, même s'il est évident que certaines idées ne sont pas
totalement absurdes ni inefficaces, cette première posture est jugée par les
peuples comme étant celle des marchés, le choix des lobbies et des seigneurs de
la finance. Elle est, d'après les sociétés civiles, imposée par les prêteurs et
les bailleurs de fonds et non choisie par les représentants du peuple et les
membres des gouvernements. Pour eux, elle n'est pas concoctée et faite, mais
plutôt imposée et subie.
Par ailleurs, un
tel choix économique essuie des critiques de la part des économistes les plus
avertis. En effet, ceux-là pensent que c'est une posture économique trop
défensive et beaucoup trop passive. Pour eux, il s'agit d'une posture qui tend
à faire croire aux peuples, à tort et définitivement, que cette crise
d'endettement et ces contraintes des marchés sont des constantes axiomatiques
et des fatalités insurmontables.
Ces responsables
ignorent ou bloquent délibérément, par leur soutien total aux marchés et leurs
craintes coupables des supposées conséquences dramatiques sur leurs économies,
des mécanismes économiques basiques et fondamentaux dits «sanctions économiques
des agents économiques». En effet, les agents performants sont sanctionnés par
les marchés par des récompenses, généralement synthétisées par la croissance et
la progression de la capitalisation boursière, et les agents économiques
médiocres et non performants sont sanctionnés par des punitions, généralement
conclues par la faillite et la disparition.
Cette posture
économique se traduit par une cynique et totale négation de certains
fondamentaux économiques dont ces mêmes responsables sont de fervents
défenseurs en apparence, notamment le libre échange vis-à-vis des pays dont la
compétitivité est trop forte (Chine, Brésil, Inde, Asie du Sud-est par
exemple), l'interdiction et la contestation aux autres pays de certaines
subventions déloyales (l'agriculture en Europe et l'acier aux USA et au Japon
par exemple).
Les débats dans
les pays ayant adoptés cette philosophie, pas tout à fait juste bien
évidemment, sont orientés dans le sens unique de la peur, de la crainte, du
stress économique, de l'austérité, des économies, des réductions des dépenses
et des sacrifices imposés aux peuples et en particulier aux contribuables
moyens et modestes. On entend rarement les théoriciens de cette posture parler
des méthodes et des techniques qui permettraient de développer des nouveaux
produits, de conquérir de nouvelles parts de marché, de création de nouveaux
postes d'emplois. Ils ne pensent que peu aux options agressives et aux
positions d'attaques comme la créativité, la recherche et le développement, car
totalement noyés dans le cauchemar de la loi impitoyable des marchés
internationaux.
La deuxième
posture économique est celle du retour de l'état régulateur et souverain qui
remettrait de l'ordre dans cette anarchie dite libre-échange et économie
globalisée. Elle prône le retour massif de la réglementation des marchés en
particulier, ceux qui font le plus mal aux peuples et à l'économie réelle, les marchés
financiers. Il propose également de modifier et de durcir les conditions de
relocalisation et délocalisation des entreprises, et beaucoup plus de
restrictions économiques vis-à-vis des opérateurs économiques à faible apport
national et social (6).
Les théoriciens
de cette option économique rappellent que cette crise n'est que le produit de
choix et de comportements économiques des agents en interaction dans un
environnement totalement déréglementé et dérégulé. Ils rappellent, également à
ceux qui veulent l'entendre, que c'est l'État qui veille au respect des
conditions objectives et communes de vie des peuples et non les marchés, que
c'est le bien-être national et social qui guide les actions des représentants
des peuples et des gouvernements et non les taux d'intérêts sur emprunts et les
notes de prestige des agences de rating.
Donc, pour eux,
il est évident, voire même urgent de mettre fin à cette situation et permettre
aux mécanismes orthodoxes de l'économie d'agir pleinement. C'est ainsi par l'intervention
de l'État fort et souverain que les conditions objectives de compétitivité et
de croissance durable seront garanties, les positions dominantes et trop
influentes seront systématiquement éliminées et veiller à ce que les cycles
naturels de l'économie soient respectés par tous les opérateurs.
Les observateurs reconnaitront facilement les débats dans les pays et les
parties politiques qui ont adopté cette option, partiellement juste bien
évidemment. Ils sont orientés vers plus d'interventionnisme régalien, plus de
protectionnisme souverain, et plus de réglementation et de régulation étatique.
Mais ces partisans omettent, volontairement et délibérément, de mentionner les
conséquences que cette position pourrait avoir sur le libre-échange avec les autres
États-Nations et font semblant d'ignorer les effets
négatifs de leur pensée sur le libre entreprenariat de leurs propres
entreprises sur les marchés internationaux, et enfin, refusent de donner, voire
même de reconnaître, toutes les solutions objectives et pratiques à cette
volatilité extrême du capital dont une partie est clairement causée par leurs
propres opérateurs économiques.
Entre ces deux
positions contradictoires et fortement dominantes, il est des penseurs et
économistes qui essayent avec beaucoup de peine et sans moins de justesse et de
sagesse, de rappeler que les fondements classiques de l'économie sont muets et
neutres et ne prennent, en aucun cas, en considération toutes les variables
exogènes non modélisables et non quantifiables, antérieurement classées comme
étant résiduelles. Ils évoquent des concepts totalement ignorés auparavant dans
les modèles économiques cartésiens notamment la maximisation du bien-être
humain et la minimisation des coûts écologiques (7).
En effet,
personnellement, je pense avec autant de certitude que de conviction que ces
deux concepts connaîtront des développements hallucinants dans les prochaines
années et démontreront, de façon scientifiquement convaincante, que ces deux
aspects seront les problématiques économiques duales que l'être humain devra
approfondir.
Il est évident
que les anciens modèles économiques basés sur la maximisation de l'utilité
assimilée, faussement, à la maximisation de la richesse matérielle, et la
minimisation des coûts assimilée, par simplisme humain, à la minimisation de
l'utilisation des facteurs directs de production sont trop limités. Or,
l'observation démontre que la maximisation de la richesse matérielle ne procure
guère le bien-être à l'agent économique par excellence qu'est l'être humain.
Les plus riches sont-ils les plus sereins, les plus heureux et les plus sains ?
Les plus développés matériellement sont-ils les plus justes, les plus honnêtes
et les plus sincères ? Même s'ils imposent leur philosophie, je doute fortement
de sa justesse !!!
La maximisation
des richesses en minimisant l'utilisation des facteurs directs de production
nous a conduits visiblement à la destruction massive de notre environnement, au
développement de maladies terrifiantes et à la dégradation de nos valeurs
morales. Les modèles économiques classiques autour desquels toutes les
innovations et les développements des marchés ont été réalisés, n'ont donné en
fin de compte que risques, volatilité et incertitude. En bref, ils nous
conduisent droit vers ce que l'on vit actuellement: LA CRISE !!!
Cette nouvelle
tendance des économistes et des chercheurs à pousser les politiques à prendre
conscience des défis et des dangers auxquels fera face l'humanité à cause de
convictions erronées de personnes désintéressées ou de dogmes sacralisés par
des lobbyistes intéressés, ne manquera surement pas
de conduire à une démonstration évidente qui est la suivante : «La
problématique économique de maximisation de la richesse n'est autre que la
problématique, plus large, de maximisation du bien-être humain et sa
problématique duale de minimisation des coûts n'est autre que la problématique
plus juste de minimisation de la destruction de notre environnement commun».
En guise de
conclusion, j'aimerais rappeler une affirmation qui paraissait tout à fait
logique et axiomatique et que nous avions, un jour, tous entendus dans la
bouche de notre professeur de mathématique «deux lignes droites et parallèles
ne se croisent jamais». Eh bien, la science a démontré que cette affirmation
n'était valable et vraie que dans un espace plat à deux dimensions, mais
totalement fausse et illogique dans un espace courbé (hyperbolique et
elliptique) et multidimensionnel. Alors, gare au dogmatisme économique
préjudiciable.
* Economiste et
chercheur
Notes et
références:
(1) Anthropologue
et sociologue français, 1841/1931, dans Aphorisme du temps présent, édité par
Amis de Gustave Le Bon /1913 / France.
(2) Des élections
ont sanctionné durement l'ancien gouvernement socialiste espagnol et ont porté
les partis de droite au pouvoir. Les sénatoriales en France ont pour la
première fois dans l'histoire basculé cette chambre
vers la gauche et les élections présidentielles ne manqueront surement pas de sanctionner la droite sévèrement.
(3) Les
économistes ne comprennent toujours pas pourquoi les USA ont aidé AIG et
quelques autres banques et ont refusé, en même temps, cette aide à Lehman Brothers. Pourtant, ces
entreprises avaient toutes les mêmes procédés douteux et masquaient toutes,
intentionnellement, leurs difficultés.
(4) La Grèce ne montre
toujours pas de signes de reprise et reviendra incessamment vers ses créanciers
pour s'endetter davantage ou accepter de sortir définitivement de l'Union et
déclarer la cessation de paiement. Cette deuxième option tant redoutée ne
manquera pas d'entrainer de vastes dommages aux
autres banques européennes.
(5) En 2011, la Grèce a vu l'arrivée
au pouvoir de Lucas Papademos, en Italie
l'intronisation du gouvernement Mario Monti et en Espagne, comme par miracle un
oui massif à la droite. Ces tendances sont la représentation même de ce courant
de rigueur budgétaire à tel point qu'ils sont appelés gouvernements Goldman
Sachs
(6) L'extrême
droite nationaliste et l'extrême gauche socio-communiste
se retrouvent toutes les deux en accord, bizarrement, dans cette option
économique. Les uns et les autres préfèrent restaurer le pouvoir d'antan des
gouvernements et des peuples.
(7) Les derniers
venus dans le cercle des défenseurs du bien-être humain, et pas des moindres,
chacun à sa façon, sont les économistes Jacques Attali et Joseph Stieglitz.
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Posté Le : 19/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Zerouali Mostefa*
Source : www.lequotidien-oran.com