Algérie

L'époque du pardon



Mandela a eu tout le temps de méditer en prison. Il en est sorti fort de l'idée de réconciliation entre Blancs acculés par la communauté internationale à mettre fin à l'apartheid et Noirs ou métis, obligés d'oublier leurs misères pour apprendre ce que richesse veut dire. Du coup, les Australiens demandent pardon à ce qui est resté des Aborigènes concernant le massacre de leurs cultures, l'envahissement de leurs terres, les chemins de fer, les fast-foods, le réchauffement planétaire, la réduction des kangourous. Les Canadiens viennent de demander pardon aux Indiens pour les avoir colonisés, d'avoir tué leurs phoques, d'avoir brisé leurs flèches, de les contenir dans des réserves et mis en condition d'infériorité en promettant de les indemniser gracieusement. Bush demande pardon pour ses erreurs d'appréciation sur l'Irak une fois l'Irak détruit complètement, là où un simple coup d'Etat aurait fait économiser à l'Amérique des milliards de dollars vu que les candidats à ce genre de manip ne manquent pas dans les pays arabes et l'Amérique le savait depuis déjà longtemps. Les Français d'origine arménienne exigent des Turcs de demander pardon pour un génocide que l'Histoire a rattrapé plus vite que prévu dans les couloirs de l'Union européenne, lesquels Turcs demandent aux Français de souche républicaine de demander d'abord pardon pour le génocide commis par leurs ancêtres en Algérie, nous mettant dans l'embarras puisque nous ne demandions que la rectification d'une loi, une fois que réveillés d'une longue sieste hivernale, nous avons appris son entrée en vigueur. Profitant du débat, les Turcs auraient pu eux aussi nous demander pardon pour être partis trop vite lors du débarquement français après leur «coup de l'éventail». A l'occasion, rappelons pour l'Histoire que c'est un dignitaire turc qui a frappé le consul français, pas un algérien. C'est pourtant nous qui en avons payé le prix. En Algérie, le pardon est un sport national très en vogue pour ne pas rester en retard d'une mondialisation qui prend des allures de danse classique en public et qui se transforme en alaoui dans les coulisses privées. Le alaoui est une danse d'homme fastidieuse qui fait appel au mouvement rapide des épaules et qu'il ne faut pas confondre avec le haddaoui qui est une autre danse fastidieuse mais qui fait appel à la souplesse des hanches. Dans ce jeu de pardon qui a pris l'allure d'une randonnée pédestre à travers des pays qui, sous l'impulsion de la méditation carcérale de Mandela durant une génération entière, il s'agissait de tourner une page douloureuse dans l'histoire de chaque nation et de reprendre les relations sociales, sur de nouvelles bases mieux adaptées au nouveau contexte international et porteuses de paix pour la circulation du capital, pour que le taux de croissance ne soit plus qu'un pourcentage et pour que la qualité de vie n'ait plus peur de dire qu'elle s'est améliorée. Ce n'est pas une simple danse de tambourins. C'est une affaire de grand orchestre muni d'une partition lisible de la même façon pour tous, chacun selon son instrument. Avec les mêmes notes et les mêmes dièses. Pour assurer comme on dit une harmonie des sons. Comment en avons-nous profité chez nous ? Chez nous, on a l'impression que chacun est arrivé avec une partition différente, les octaves n'étaient pas à leur place, le chef d'orchestre dirige à main nue, sans baguette et les percussionnistes n'attendent pas leur tour pour jouer. Au finish, la musique n'est pas harmonieuse et crève les tympans. La surdité l'emporte et on ne trouve même plus personne à qui demander pardon. Ayant consommé notre stock de culpabilité envers nous-mêmes, les pages douloureuses refusant de tourner, il nous reste Dieu et Son Vaste Paradis. Car contrairement à ce que pensent les prédicateurs, Lui au moins s'Il ne pardonne pas c'est que nous avons commis un acte de la plus grande gravité. Ce n'est pas le cas de tout le monde.


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