Algérie

L'ENTRETIEN DE LA SEMAINE LA SOCIOLOGUE MARNIA LAZRAG AU SOIR MAGAZINE«De tout temps, la génétique a été utilisée à des fins politiques»



Entretien réalisé par Fatma Haouari
Dans cet entretien qu'elle nous a accordé, la sociologue Marnia Lazrag nous livre son analyse sur la génétique et son influence sur les comportements sociaux. Elle soutient que cette discipline a été utilisée à des fins politiques par les grandes puissances et comme un prétexte dans des guerres d'extermination des races et la hiérarchisation de la société.
Le Soir d'Algérie : Lorsque nous évoquons l'héritage génétique, nous pensons généralement aux gènes physiques, notamment ceux de la ressemblance physique. Les enfants qui héritent des mêmes yeux, du corps, de la même physionomie, nous font oublier souvent ces ressemblances très subtiles comme la démarche, les gestes, la voix. Comment peut-on l'expliquer '
Marnia Lazrag : En tant que sociologue, j'estime que cette question sur l'héritage génétique est d'une extrême importance. Elle a un lien direct entre le biologique et le social. Effectivement, nous sommes tous composés de chromosomes et de gènes qui nous sont transmis de nos parents, de nos grands-parents, de nos ancêtres et qui expliquent que les enfants d'un même couple aient la même forme des yeux ou la même couleur, les mêmes cheveux... Il y a, certes, une question de ressemblance physique mais il y a toujours eu un très grand débat qui a pris beaucoup d'ampleur surtout au XIXe siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale sur la question de savoir si l'individu, son comportement et sa capacité intellectuelle sont déterminés par l'appareil génétique. Elle relève en fait de la théorie du racisme qui consiste à dire que certaines races de par leur structure génétique sont incapables de faire ce que d'autres races peuvent faire. La Seconde Guerre mondiale a donné naissance à l'hégémonie de la race arienne et au nettoyage ethnique des autres races. Les généticiens expliquent les ressemblances par l'hérédité mais celle-ci s'arrête au physique. Comme je le disais plus haut, les débats ont été poussés plus loin en disant que certaines races sont génétiquement limitées, ce qui a poussé le débat à se poser la question sur leurs capacités intellectuelles.
Le facteur social ou sociologique peut-il avoir une influence sur la génétique '
Il y a deux grandes tendances dans l'interprétation de la relation entre le biologique/génétique et le social. Il y a eu le mouvement eugénique (les bons gènes) au XIXe siècle. Il y a parmi les sociologues, et dans une certaine mesure les anthropologues, un groupe qui soutient que l'environnement social influe sur les prédispositions biologiques et un autre qui dit qu'au contraire, c'est la constitution génétique qui détermine nos prédispositions sociales. En d'autres termes, on peut avoir des gens de grande intelligence et des gens portant des gènes de grande imbécillité. Ce genre de pensée est allé très loin. Aux Etats-Unis comme dans d'autres pays européens, on a stérilisé des personnes qu'on considérait comme bêtes. On a même présenté la pauvreté comme une condition génétique, disant que c'est parce qu'on est bête qu'on n'a pas réussi dans la vie et qu'on est démuni. On a stérilisé des malades mentaux, des épileptiques et des femmes des milieux modestes, arguant que ces femmes se reproduisent très vite et donnaient naissance à des enfants à l'intelligence limitée. La pauvreté devint une tare génétique. Dans l'île de Porto Rico, par exemple, qui fait partie du Commonwealth américain, on a stérilisé 30% de la population féminine entre 1966 et 1970 car cette petite île où il y avait une grande pauvreté sans oublier que 13 à 15% de terres étaient occupées par des fabricants de canne à sucre, la majeure partie de la population était désœuvrée et sur la paille. On a donc pondu une loi qui stipulait que la stérilisation pouvait se faire volontairement sous le couvert de planning familial, mais c'était une grande opération de mystification car ce n'est ni plus ni moins qu'une stérilisation de masse. Paul Broca, au siècle dernier, faisait des expériences pour déterminer une hiérarchie des races qui indiquait clairement que plus on est blanc, plus on est intelligent, et plus on est brun plus on est bête. Il comparait les crânes des différents groupes humains, les indous, les Africains, les Asiatiques, les Européens... Ce qui est cocasse et stupide à la fois dans les expériences, c'est qu'il bourrait les crânes de graines de moutarde qui ont tendance à gonfler pour avoir la capacité et la contenance de la cavité ; pour lui, plus le volume dans le crâne est grand, donc le cerveau est grand, et plus l'intelligence est supérieure. C'est ainsi qu'il a essayé d'établir une hiérarchie des races. Ce genre d'expériences complètement insensées ont donné naissance à la pensée hégémonique des Blancs et au nazisme. La thèse de la pureté de la race. Le colonialisme répondait à cette thèse. Durant la colonisation de l'Algérie, l'Algérien était considéré par les colons français comme un sous-homme qui n'est pas entièrement humain, donc on le torturait comme on le ferait avec un animal. La torture était également une forme de lavage de cerveau. On enlevait du cerveau de l'Algérien, d'après le général Salan, ce qu'il emmagasinait comme référents culturels et religieux. Il fallait faire table rase de tout ce qui affectait la façon de penser de l'Algérien. La torture baissait le niveau de résistance, on pouvait alors laver le cerveau pour mettre d'autres référents.
On est amené à se poser la problématique de l'inné et de l'acquis, quelles sont leurs limites dans la génétique '
Il est difficile de trancher cette question. Pour les sociologues et les anthologues qui croient à l'humanité et non à une conception mécanique de la génétique, la frontière entre l'inné et l'acquis est très floue. Il y a une expérience faite par le cousin de Charles Darwin. Ce dernier voulait répondre à cette question. Il a pris des jumeaux qui ont les mêmes gènes mais qui étaient séparés et évoluaient dans des milieux différents. Il est arrivé à la conclusion que le milieu social n'influe pas sur la constitution génétique. C'est donc le déterminisme absolu. D'autres chercheurs ont voulu voir de visu ces jumeaux mais ils se sont rendu compte que c'était une supercherie et que ces jumeaux n'avaient jamais existé. Il a fabriqué une étude de toutes pièces car il voulait appuyer la thèse de la supériorité des races nonobstant le milieu dans lequel elles vivent. La vérité, c'est que les individus ont des prédispositions artistiques, littéraires, scientifiques ou autres mais encore faut-il qu'ils évoluent dans un milieu favorable à leur épanouissement. On sait également qu'une personne, à force de travail, pouvait également acquérir une certaine technicité et développer la maîtrise de son domaine.
La génétique, comme toute science, connaît des évolutions. Où en est-on aujourd'hui, et quel est le rôle des sciences sociales dans la compréhension de cette science '
La sociologie ainsi que l'anthropologie dans une certaine mesure a beaucoup évolué dans ce domaine, mais ce qui est certain, c'est qu'on a de tout temps utilisé la génétique à des fins politiques et pour justifier par des moyens de falsification et de fraude notamment certains pays occidentaux à établir des liens entre l'intelligence et la structure génétique ; or, l'intelligence reste indentifiable et indéfinissable.


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