Algérie

L'ENTRETIEN DE LA SEMAINE Mme RABEHI MIMI, PRESIDENTE DE L'ASSOCIATION EL FEDJR D'AIDE AUX PERSONNES ATTEINTES DE CANCER, AU SOIRMAGAZINE«La prise en charge psychologique est primordiale»



Entretien réalisé par Sarah Raymouche
Dans cet entretien, Mme Rabehi Mimi, présidente de l'association El Fedjr d'aide aux personnes atteintes de cancer, revient sur son parcours en tant que malade, les visées de son association et l'importance de la prise en charge psychologique et sociale des cancéreux.
Soir magazine : Comment vous est venue l'idée de créer l'association El Fedjr d'aide aux personnes atteintes de cancer '
Mme Rabehi Mimi : En 1981, j'ai appris que j'étais atteinte d'un cancer du sein. Dès que le diagnostic a été posé, j'ai bénéficié rapidement d'une prise en charge en France. Un jour, le kinésithérapeute m'informa qu'une Algérienne nommée Louisa allait subir, le lendemain, la même intervention. La douleur l'avait frappée deux fois. Elle venait de perdre son frère. Elle avait besoin de quelqu'un auprès d'elle pour l'aider à surmonter cette épreuve. Lorsque j'ai frappé à la porte de sa chambre, je ne savais pas que j'allais revoir Louisa, mon amie perdue de vue depuis 20 ans. Depuis, nous avons traversé les différentes étapes de guérison ensemble. Janvier 1988, 7 ans plus tard, notre prise en charge pour le contrôle annuel est refusée. L'Algérie connaît des difficultés économiques. Nous sommes rejointes par une troisième malade, désemparée et confrontée au cancer en Algérie. Au Centre anticancéreux d'Alger, nous trouvions des services dépassés, une médecine impuissante, l'état des malades rappelant celui des cancéreux du siècle dernier. Nous nous sommes dit : il faut faire quelque chose. Nous voulions aider les autres et avons décidé de fonder une association d'aide aux personnes atteintes de cancer, pour essayer de préserver ce que Dieu a créé de plus sacré : l'être humain. Janvier 1989, au Centre Pierre-et- Marie-Curie, à l'hôpital Mustapha Pacha, nous nous sommes retrouvées avec une centaine d'autres personnes en assemblée générale : l'association El Fedjr vient de naître. Louisa y a œuvré en qualité de présidente jusqu'à son décès en 1994.
Comment avez-vous appris que vous étiez atteinte de cancer '
Je n'oublierai jamais cette journée. Lorsque je prenais ma douche, je me suis palpé le sein et j'ai découvert une petite boule. Infirmière de mon état au sein de l'Institut Pasteur d'Alger, j'ai été sensibilisée à toutes les maladies, dont le cancer, et notamment le cancer du sein. Je me suis habillée précipitamment et je me suis rendue à l'hôpital. Quelques jours plus tard, j'ai eu les résultats. L'annonce m'a été faite par un médecin. Je n'oublierai jamais la phrase qu'il avait prononcée sans prendre de gants : «C'est très grave, c'est un cancer du sein, il faut le faire sauter tout de suite.» Je me suis sentie décomposée, je suis restée muette, comme paralysée. Heureusement que j'étais dans le corps médical, j'ai pu bénéficier rapidement d'une prise en charge. Mais je ne pourrais oublier la froideur avec laquelle l'annonce de ma maladie m'a été faite.
Comment a réagi votre famille face à cette nouvelle '
Je n'ai dit à personne que j'avais le cancer. J'ai prétendu partir en stage en France pour une durée indéterminée. Ce n'est qu'après mon retour que je l'ai annoncé à quelques proches. Je n'ai jamais eu le courage de dire à ma mère que j'ai subi une ablation du sein. Je pense que la nouvelle s'est par la suite répandue autour de mes proches sans qu'ils ne m'en parlent directement.
Pensez-vous que les mentalités ont changé '
Il y a des expressions que nous entendons qui laissent croire que le cancer est un tabou. Il y a deux phrases qui résument à elles seules le tabou qui l'entoure. Quand quelqu'un apprend qu'une tierce personne est atteinte de cancer, il est commun de dire : il est atteint de l'autre maladie (mrid bhadak el mered, ndlr). Ou bien lorsqu'une personne décède, on écrit dans les condoléances : elle est décédée des suites d'une longue maladie. C'est un signe que les mentalités n'ont pas changé. La sensibilisation et la communication doivent jouer un grand rôle pour y remédier.
En tant que présidente de l'association El Fedjr, pouvez-vous nous indiquer l'importance de la prise en charge psychologique d'un cancéreux '
La prise en charge psychologique des malades est aussi importante que la prise en charge physique. De nombreuses personnes, souvent démunies, viennent de loin, orientées par leur médecin traitant vers les hôpitaux, se trouvent confrontées d'une part à la mauvaise nouvelle qui est la maladie elle-même, et d'autre part, au problème d'hébergement si elles n'ont aucune connaissance chez qui «crêcher» durant leur séjour. De la bouche à oreille ou carrément sur conseil du personnel médical, parfois sensible à leur cas, on leur conseille de se présenter à notre siège, et c'est là que nous intervenons par les moyens que nous possédons grâce aux bienfaiteurs et bénévoles, pour leur hébergement, leur payer les frais médicaux (IRM, scanner, analyses de sang, etc.) en complément à leur dossier. Quand il s'agit d'enfant, c'est encore plus dramatique. Je me souviens dans les années 1990 le cas de Dalila, 11 ans, hospitalisée en dermatologie. Son visage était rongé par le cancer. Ses parents, horrifiés par la dégradation de l'état physique de leur fille, l'abandonnèrent. Son père ira jusqu'à dire : «Qu'en ferai-je, si elle doit mourir, elle mourra...» Dalila avait entendu ses propos et s'est laissée mourir depuis. Mais grâce au courage des adhérents de l'association El Fedjr, une prise en charge sociale et psychologique totale a été organisée. Quelques années plus tard, le visage de Dalila a repris forme progressivement. Il y a aussi le cas de Hamza Mahrez, condamné par un cancer et qui est resté longtemps hospitalisé en pédiatrie. Pour s'habituer à l'idée de la mort, sa mère ne l'a plus quitté. Ils ont fêté avec l'association El Fedjr l'Aïd où tous les enfants reçurent des présents de l'association. Lorsque les bénévoles de l'association ont rendu visite à Hamza, il essayait de crier, mais en fait il murmurait : «J'ai mal au cœur de ne plus voir mon père.» Dans la plupart des cas, lorsque les malades sont hospitalisés, au stade final de la maladie, le patient reste dans un coin et attend la mort. Quand il s'agit d'un enfant, la douleur est encore plus frappante. Il faut savoir qu'au sein de l'hôpital, le moral est à zéro. Notre association tente d'apporter un soutien psychologique. Cependant, je tiens à remercier tous les bienfaiteurs et anonymes grâce auxquels notre association continue de vivre, que ce soit par leurs dons ou leur soutien aux malades.
Voulez-vous lancer un message '
L'association engage des négociations auprès des institutions pour l'assouplissement des procédures bureaucratiques envers les actions humanitaires ainsi que pour la révision de certaines dispositions réglementaires en matière de sécurité sociale, notamment la prise en charge totale de la personne atteinte de cancer qu'elle soit assurée ou pas (le cancéreux, même s'il ne prend plus de médicaments, est considéré malade en rémission) et au remboursement des frais de transport (taxi, train..) La prise en charge sociale et psychologique du malade n'existe pas (en milieu hospitalier notamment), c'est pourquoi nous lançons un appel aux personnes et familles qui pourraient accueillir bénévolement les malades atteints de cancer pour les aider psychologiquement dans leurs douleurs. Nous lançons aussi un appel aux personnes qui voudraient bien effectuer des visites auprès des malades venant de loin, et Dieu seul sait qu'ils sont très nombreux, et n'ayant pas leur famille auprès d'eux.


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