Algérie

L'ENTRETIEN DE LA SEMAINE



La question de la taille des personnes dans une société, par-delà les explications biologiques et génétiques, renvoie bien entendu à une dimension socio-culturelle, historique et idéologique, estime le sociologue, enseignant et chercheur à l'université d'Evry, Mounir Hadj Mouri.
Le Soir d'Algérie : Quel regard porte la société sur les personnes de petite taille appelées communément «nains» ' Dans bon nombre de cas, il y a rejet, moquerie. Peut-on parler de «racisme physique» '
Mounir Hadj Mouri : D'une façon générale, les personnes de petite taille sont considérées comme «anormales», dans la mesure où, indépendamment des normes imposées par une société donnée, aspect sur lequel je reviendrai, cette «anormalité» donne lieu à des formes de rejet, de mépris dont l'intensité et la cruauté varient en fonction du degré de violence et d'intolérance au sein d'une société et qui résulte de la conjonction de facteurs multidimensionnels (politico-idéologiques notamment). Dès lors qu'il y a attitude d'hostilité de principe et de rejet, on peut parler d'une certaine façon de «racisme physique».
Est-il facile pour les nains de s'intégrer dans la société algérienne '
S'agissant de la société algérienne qui a subi et continue de subir la dictature du même (la mise en conformité islamiste ayant remplacé progressivement la mise en conformité socialiste), l'intégration des nains n'est certainement pas chose aisée. Les principales raisons de ce rejet et mépris qui se traduisent par des clichés, des stéréotypes que l'on retrouve dans des discours populaires à travers des formules telles que koul mankous manhousou rabbi ikettef ghir ettaâbine— la première associant handicap et perversion et la seconde handicap et sanction divine — résident dans la domination d'une idéologie totalitaire cultivant l'intolérance sur fond d'indigence intellectuelle. Ces types de discours révèlent en fait la vacuité de ces modes de pensée et leur caractère foncièrement rétrograde. D'une façon générale, il s'agit là de la question plus générale de la reconnaissance des différences et de l'altérité qui revêtent une complexité particulière dans une société où la tendance à l'uniformité (des discours, des comportements et des pratiques) prend, hélas, le dessus en raison d'un système de pouvoir qui s'efforce toujours d'entretenir l'illusion d'une société homogène et fraternelle ; on sait malheureusement comment cette dernière a accouché d'une société fratricide.
Pourquoi la société se sent plus à l'aise avec la norme ' La différence est-elle si effrayante '
S'agissant de la question de la normativité, son contenu et son effectivité renvoient aux aspects évoqués plus haut. De plus, il y a lieu de préciser que la reconnaissance des différences quelle que soit leur nature (physique, ethnique, sexuelle) soulève des questions centrales sur la nature des rapports sociaux et humains dans une société donnée à une période historique déterminée. En d'autres termes, la validité d'une norme ne peut en aucun cas se réduire à sa seule légalité mais impose sa légitimité. Cette dernière est incompatible avec une définition unilatérale des règles et nécessite la prise en compte des conflits et revendications portés par le mouvement social qui laisse de plus en plus apparaître le caractère polymorphe de la conflictualité dans notre pays (socio-politique et identitaire notamment). Notons au passage que cette conflictualité n'est pas spécifique à notre pays, mais a tendance à se généraliser du fait de la «mondialisation». Pour revenir aux rapports humains dans un tel contexte, il y a lieu de souligner que le passage de rapports dissymétriques, qui impliquent souvent mépris, rejet et dévalorisation/ disqualification de l'autre à des rapports de respect mutuel, ne peut être assuré que par des actions en profondeur qui touchent tous les compartiments de la société et, par conséquent, tous les espaces de socialisation (famille, école, monde du travail). Il va sans dire que ces actions ne concernent pas uniquement les pouvoirs publics, mais l'ensemble des acteurs sociaux et notamment les mouvements associatifs.
Est-ce un tort que de désigner les personnes de petite taille par l'appellation de nains, souvent assimilée à une insulte à leur égard '
L'appellation de nain a une connotation péjorative puisque, pour le sens commun, elle est toujours synonyme de handicap, de tares corporelles, d'impuissance physique sans oublier la dimension esthétique qui peut avoir des conséquences désastreuses sur le plan psychique ; des études sociologiques ont pu établir des corrélations entre la taille des individus et les suicides.
Pour une meilleure intégration des nains en société, doit-on se comporter envers eux comme s'il s'agit de personnes «de taille normale», ou bien prendre en considération leur handicap afin de leur faciliter la vie de tous les jours '
L'intégration de ces personnes impose la mise en place de dispositifs incitatifs, voire coercitifs émanant des pouvoirs publics. Si cette condition est nécessaire, elle est bien entendu loin d'être suffisante (à titre d'exemple, le taux de 6% de personnes handicapées imposé aux entreprises françaises est peu respecté) ; la solution et l'élimination de ces discriminations au même titre que les autres imposent un changement référentiel au plan des valeurs allant dans le sens du respect mutuel entre personnes considérées comme citoyens à part entière qui participent activement à la vie de la cité. C'est dire que la suppression des discriminations est indissociable de cette régénération démocratique défendue par le sociologue, philosophe, Edgar Morin.
Mais dans le cas où la société se doit de prendre en considération les difficultés des nains, ces derniers ne se sentiront-ils pas discriminés et «poussés» à vivre entre eux '
La prise en compte de leurs difficultés spécifiques ne doit en aucune manière prendre des formes de traitement dévalorisant susceptibles d'aggraver les sentiments de frustration et de haine de soi qui peuvent conduire à des attitudes de repli et d'isolement aux conséquences souvent imprévisibles.
Souvent, les personnes de petite taille sont volontaires et s'efforcent de s'imposer dans la société et surtout dans le monde du travail. D'où puisent-elles cette détermination et est-elle suffisante à leur intégration dans le monde du travail '
Il est vrai que selon de nombreuses études, les handicapés, de façon générale, font preuve d'une plus grande détermination et implication en milieu de travail. Les principaux facteurs explicatifs de ces attitudes et comportements en milieu contraint se situent en partie au niveau organisationnel, c'est-à-dire dans les modes d'organisation et de gestion adoptés notamment en matière de politique d'insertion mais surtout au niveau individuel et plus précisément aux plans psychologique et psychanalytique. La volonté de s'affirmer dans des environnements hostiles où prédomine l'adversité dépend alors de la capacité de chaque personne concernée à se construire et s'auto-réaliser à travers les confrontations aux dures réalités du monde du travail au double plan objectif et subjectif. En un mot, c'est toute la question de l'impact des discriminations dans les processus de (dé)subjectivation qui est posée et qui mérite d'être traitée de façon approfondie.
Le choix du monde du spectacle (théâtre, cinéma, clown..) est-il volontaire chez les nains ou bien une sorte d'échappatoire pour mieux se faire accepter par ces autres personnes dites «normales» '
Le choix du monde du spectacle, souvent contraint et subi, facilite dans certaines conditions l'expression de potentiels individuels et la révélation de talents, mais cela ne doit pas occulter le fait que le recours à ces personnes obéit souvent à des impératifs commerciaux et financiers. Dans ce cas, les discriminations se transforment en «chosification/marchandisation».
Que pensez-vous de ces nains chinois qui ont construit leur propre village ' Tous les nains devraient-ils avoir leur «village» afin de vivre en paix loin de toute forme de discrimination '
L'isolement, voire la «ghettorisation» à travers la mise en place d'un entre soi relevant d'un communautarisme régressif ne constitue nullement un moyen d'endiguer les discriminations. Bien au contraire, l'enferment dans la «mêmeté » ou l'identité idem, pour reprendre le philosophe Paul Ricœur, se situe aux antipodes de dynamiques favorisant l'émergence d'une citoyenneté favorisant et favorisée par la reconnaissance de l'altérité.
Un dernier mot...
Einstein a dit qu'il est plus facile de détruire un atome qu'un préjugé. Compte tenu du poids de ces derniers qui ne se limitent pas aux nains mais à toutes les personnes qui ne rentrent pas dans le «moule» d'une normativité imposée par une pensée conforme hélas dominante, on mesure la complexité du chemin qui reste à parcourir. Cela ne doit en aucun cas justifier ou légitimer des formes «d'impuissancialisme» ou de fatalisme ; bien au contraire, l'impulsion et le renforcement de mouvements sociaux contre toutes les formes de discrimination permettra inéluctablement de mettre à l'ordre du jour la question cruciale de l'émancipation.
UNE VIE PRATIQUE PAS DE TOUT REPOS
Dans la plupart des cas, les personnes de petite taille sont des personnes tout à fait aptes physiquement et en bonne santé. Toutefois, elles rencontrent des limites fonctionnelles. Elles peuvent rencontrer des difficultés sur le plan médical, car les personnes atteintes de nanisme sont souvent sujettes «à des douleurs dorsales, lombaires et parfois cervicales, surtout lors de la croissance ; de troubles respiratoires et cardiaques dus aux anomalies de la courbure de la colonne vertébrale, de compression de la moelle épinière cervicale, des apnées du sommeil, etc.» Leur santé est beaucoup plus fragile. Chez les femmes, un problème majeur se pose lorsque le désir d'avoir un enfant s'installe. Bien des choses sont hors de portée pour les personnes de petite taille et leur causent beaucoup de désagréments dans la vie de tous les jours. A ce sujet, Farida nous dira : «L'Etat algérien ne fait rien pour que l'on soit considéré comme tout le monde. Lorsque par exemple je me rends à la poste, certains employés voient bien que les comptoirs sont vraiment hauts par rapport à ma taille, et les services concernés ne font rien pour nous aider. La dernière fois, j'ai rouspété sur la nonchalance de certains agents à encaisser les factures de téléphone, ce qui m'a valu d'être traitée «de bountou qui fait la loi». Bien d'autres choses sont «hors de portée» pour les personnes de petite taille, pas seulement en Algérie, mais dans le monde entier :
• Les comptoirs des magasins ;
• les guichets administratifs ;
• la hauteur «standard» des meubles ;
• la profondeur des meubles ;
• la hauteur et la profondeur des éviers ;
• la distance entre le bord de l'évier et le robinet ;
• la distance entre la selle et les pédales d'un vélo ;
• l'impossibilité de porter les marchandises dans les sacs plastiques des supermarchés sans les traîner au sol… Après l'achat d'un vêtement, il y a un passage obligé chez le tailleur. Autant de difficultés dans la vie pratique avec lesquelles elles ont dû s'accommoder en recourant à des astuces propres à chacun.
RESPECTER AUTRUI EN ACCEPTANT TOUTES LES DIFFERENCES
Respecter autrui revient à accepter ses différences, c'est-à-dire à reconnaître à l'autre son caractère d'individualité et de singularité qui lui est propre. Souvent, l'être humain perçoit sa différence comme un mal profond, surtout quand les êtres qui nous entourent réduisent notre estime pour soi, par leurs critiques, moqueries et mise à l'écart. «Ce qu'il faut savoir c'est qu'il ne faudrait pas se dévaloriser, cela ne fera qu'accentuer cette exclusion «de la norme sociale». Il faudra avoir la force de se dire que «la norme» n'est pas meilleure que soi, il faut avoir l'intelligence et le courage de cerner sa différence en lui créant sa propre originalité. Certes, ce n'est pas toujours facile ni pour nous ni pour toutes les autres personnes désignées du doigt, ou fustigées du regard pour leur différence. Mais la différence peut être aussi vécue différemment pour peu que l'on use avec originalité de notre différence et qu'on fasse une force pour que ceux qui revendiquent leur appartenance à «la norme sociale» se retrouvent au final comme de simples individus semblables à beaucoup d'autres, sans aucune touche d'originalité», conclut Mohamed.
UN VILLAGE CONSTITUE UNIQUEMENT DE NAINS, OUI, ÇA EXISTE !
Surnommé le «royaume des nains», une communauté de nains a décidé d'avoir son propre village. Ce dernier est situé à Kunming (chef-lieu de la Province du Yunnan, sud-ouest de la Chine). «Nous pouvons ainsi échapper à la discrimination que nous font subir les individus de taille conventionnelle», avait expliqué à la presse leur porte-parole, Fu Tien. Toutefois, il y a des règles qu'exige la communauté pour tous ceux qui veulent intégrer leur village dont celle de mesurer moins de 130 centimètres. Au début, ils étaient environ 100 personnes venues des quatre coins de la Chine et faisant moins de 1,30 m à vivre dans ce village, désormais leur nombre augmente de jour en jour. Parmi eux, le plus jeune est âgé de 18 ans et le plus âgé a 48 ans. Le village devient lentement, mais sûrement, une curiosité touristique. Dès lors, les habitants ont décidé de construire des bâtiments aux formes fantastiques, ce qui leur a valu davantage de visiteurs. Les personnes de petite taille qui vivent dans ce village se sentent heureuses et ont même leur troupe artistique pour donner des représentations d'acrobatie, de magie et de spectacles de danse et de musique. Le porte-parole du village dira que la communauté vit enfin sereinement sa différence, et d'ajouter : «Les petites personnes ont toujours été mises de côté et exploitées par de grandes personnes. Mais ici, il n'y a pas de grandes personnes et tout ce que nous faisons, nous le faisons pour nous.»




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