Algérie

L'entretien de la semaine



L'entretien de la semaine
Mlle Belharizi Amira, psychologue, décortique le phénomène des accrocs aux séries télévisées où le sang coule à flots et où les scènes de violence sont légion. Dans son analyse, elle explique que ces images reflètent souvent le vécu de bon nombre de ceux qui les regardent.Soirmagazine : Ils sont accrocs aux films policiers ; les meurtres, les crimes, le sang les passionnent. Quelle est votre analyse sur ces choix 'Belharizi Amira : Il est important de préciser qu'il y a trois catégories de personnes accrocs à ce genre de prestations. Il y a d'abord ceux qui se séduisent ; c'est en fait une réponse à un besoin pressant, une sublimation : «je ne peux pas commettre un acte de violence, un crime, mais j'en ai vraiment envie. Je compense donc par le fait de regarder des scènes qui illustrent ce besoin.»Il y a ensuite ceux qui regardent par habitude, notamment ceux qui ont vécu ou qui vivent la violence au sein de la famille. «Ce que je vois, je le vis, donc cela ne me choque pas.» C'est par cette phrase que nous pouvons déceler leur perception de la violence.Il y a enfin la troisième catégorie, qui se retrouve face à ces scènes de violence sous l'effet de l'influence. En général, cette catégorie de personnes ressent de la peur en regardant ce genre de films mais pour être acceptée par le groupe, en faire partie, on est contraint de suivre la majorité. Une analyse exhaustive de ce phénomène n'est pas toujours facile mais on constate que l'addiction va crescendo : d'abord une série, puis d'autres, avec des scènes plus monstrueuses, en voulant pour certains cacher leur peur. Dans ce cas, on peut distinguer un état sur deux : soit on va avoir des insomnies, soit on s'endort, mais on se réveillera choqué ; on ne sait pas ce qu'il nous arrive, puis on sombre carrément dans l'insomnie.Une situation qui va engendrer inévitablement un certain nombre de symptèmes, comme la déconcentration, les trous de mémoire, des problèmes de gestion des émotions, on devient alors vulnérable ; cette vulnérabilité peut entraîner l'angoisse et la dépression. Mais il faut savoir aussi que ces spectateurs ne sortent pas toujours indemnes. Deux réactions vont suivre : celui qui regarde et s'en contente, là , il n'y a pas de quoi s'inquiéter. En revanche, c'est celui qui va passer à l'acte qui est dangereux.Justement, quelle sera donc la catégorie des téléspectateurs qui va se contenter de regarder et celle qui va passer à l'acte 'En fait il n'existe pas de catégorie précise. Il y a plutôt des facteurs déclenchants qui vont pousser à l'acte, lorsque ces personnes subissent de fortes violences ou vivent des scènes similaires. Je parlerai aussi des facteurs éducationnels qui ont ici toute leur importance. Nous constatons de plus en plus que les parents ne savent pas communiquer, ou pire, certains ne communiquent jamais avec leurs enfants, ou s'il leur arrive de le faire c'est avec des coups. Les bonnes paroles n'existent pas.Il y a aussi les parents «toxiques» (super-protecteurs), une définition créée par Suzan Farword, une psychotérapeute américaine qui parle dans son livre du même titre des mères dominatrices ou au contraire (réjecteurs). En fait, tout dépend de la perception qu'a l'enfant de ses géniteurs. L'enfant vit dans un environnement violent. A la maison, on crie, on frappe, à l'école idem. Résultat des courses : on ne lui offre que de la violence. Les chaînes de télévision vendent de la violence, l'enfant n'est en fait que le produit du milieu où il est élevé et où il évolue. Ainsi on fera de lui un adulte inévitablement. Dès son entrée à l'école, premier lieu de socialisation, on lui apprendra à se défendre par la violence. On lui répétera sans relâche : «Si on te tape, tu tapes.» Le constat que nous pouvons faire c'est que l'Algérien banalise toutes formes de violence. Pour revenir à votre question concernant le profil de celui qui va passer à l'acte ou pas, je vous dirai que tout dépend de la structure de la personnalité du téléspectateur ; le névrotique, en général, ne passera pas à l'acte. En revanche, la personnalité pathologique ou psychotique, présentant des maladies mentales, peut passer à l'acte.Peut-on classer les personnes friandes de ce genre de films en une catégorie sociale bien définie 'Non, car chez nous il n'y a pas eu d'études approfondies et poussées sur l'appartenance sociale de ces personnes.Quel est le genre humain le plus féru de ce genre de prestations 'C'est difficile de répondre à cette question, mais je dirai que dans ce cas le sexe n'est pas déterminant.C'est plutôt la structure de la personnalité et les facteurs environnementaux qui expliquent cet engouement démesuré pour ces spectacles.Nous revenons inévitablement à l'éducation, au milieu familial et à la perception qu'a la personne de sa vie. Sommes-nous satisfaits de notre vécu, de nos choix professionnels, sentimentaux ' C'est autour de ça que tout peut s'expliquer.Nous constatons que les parents, en général, ne sont pas très regardants des choix des programmes de télévision ou d'internet de leurs enfants, comment l'expliquez-vous 'C'est un problème de répartition des rèles au sein de la famille. Chaque parent jette la balle à l'autre. Les parents eux-mêmes ne savent plus comment agir avec les enfants qui ne sont plus ceux d'hier. Aujourd'hui, presque chaque enfant a sa télévision, son laptop, sa tablette, son iphone, et j'en passe. Il n'y a pas de guidance des parents. Avant, l'enfant vivait au sein de la famille élargie, la tante, l'oncle, le grand-père, la grand-mère, tout le monde mettait la main à la pâte et participait à son éducation. Aujourd'hui, beaucoup de choses ont changé. La famille nucléaire a pris le dessus. L'enfant vit uniquement avec ses parents, c'est eux seuls qui se chargent de son éducation. Pris dans l'engrenage de la vie moderne, les parents ne peuvent plus consacrer beaucoup de temps à leurs enfants, alors, trop fatigués, ils baissent la garde ou parfois ferment les yeux et laissent faire. Il est important de préciser qu'ils n'ont pas les outils nécessaires pour affronter un problème et trouver les solutions idoines. Ils sont quelque part désemparés, car ils sont mal ou pas guidés du tout. Il faut dire aussi que les professionnels ne sont pas toujours à l'écoute des parents.Nous avons parlé de l'adulte qui pourrait passer à l'acte à force de se gaver de films de violence. Qu'en est-il de l'enfant 'Ce n'est pas systématique, et Dieu merci. Il y a des critères qui entrent en ligne de compte, je citerai un des plus importants qui est la capacité d'imiter. Il existe des enfants surdoués dans l'imitation, aussi bien dans la gestuelle, que dans la façon de parler.Il y a à cet effet des facteurs qui vont enclencher l'identification (partielle ou totale) selon bien sûr la perception que l'on a de celui que l'on veut imiter. Ce dernier est considéré comme un modèle. Pour des enfants qui ont un problème de confiance en soi, qui rejettent leur corps parce qu'il présente un handicap, ou tout simplement parce qu'ils estiment qu'ils ne sont pas beaux et pour être acceptés par le groupe ; ajoutés bien évidemment à d'autres facteurs, ils pourraient passer à l'acte.En tant que spécialiste, quels conseils donneriez-vous aux parents pour éviter toutes ces incidences négatives sur leurs enfants 'Je dirai qu'à travers mon expérience dans le domaine de la psychologie et du développement de la personnalité que les parents manquent d'outils pour mener à bien l'éducation de leurs enfants. Ils n'ont malheureusement pas beaucoup de connaissances du développement de leur enfant qui a énormément changé ces dernières années. Tout est devenu tendance. Beaucoup d'enfants présentent un retard dans le langage car on ne leur parle pas, pas assez, ou mal. Les parents ne jouent pas leur rèle, l'école encore moinsLa violence est omniprésente. La responsabilité est partagée, elle n'incombe pas uniquement aux parents mais à la société tout entière. Quand tout est banalisé, rien ne va plus. La violence, je ne le répèterai jamais assez, est une agression envers l'autre, c'est une peur, un trauma exprimé ou non exprimé, ça reste un trauma. Le fait de regarder cette violence que l'on vit quotidiennement, à la maison, dans la rue, à l'école, devient «normal» ; ça c'est grave.Il est grand temps aujourd'hui d'apprendre aux parents les techniques de renforcement ou de développement des capacités mentales de leurs enfants. En fait, la faille réside au niveau de la source de l'information qui n'est pas accessible à tout le monde. Il y a un effort à faire au niveau des professionnels, comme organiser des ateliers ouverts au grand public, des formations, donner des conseils à l'endroit des parents. Car il faudrait toujours avoir présent à l'esprit qu'élever un enfant est l'un des métiers le plus nobles pour ne pas dire le plus noble, et à la fois le plus dur. Parler à l'enfant, et surtout savoir l'écouter, le laisser vivre son enfance, c'est la base du développement de la structure de sa personnalité.




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)