Le secteur de
l'enseignement supérieur en Algérie, comme dans le reste des pays en
développement, fait l'objet d'une demande sociale importante et joue un rôle
décisif dans la vie économique, sociale et culturelle du pays.
Depuis
l'indépendance du pays en 1962, ce secteur a connu, aux plans quantitatif et
qualitatif, une grande évolution. Trois réformes ont marqué le système
d'enseignement supérieur dont l'objectif était de restructurer le paysage de la
formation supérieure en Algérie, en améliorer l'efficacité et l'efficience:
1. La réforme de
l'enseignement supérieur de 1971.
2. La réforme de
l'enseignement supérieur de 1980.
3. La réforme de
l'enseignement supérieur de 2003/2004(ou la réforme LMD).
Ces transformations se sont effectuées et
s'effectuent encore dans un climat de difficultés entraînant des évaluations et
des remises en cause aboutissant à des réformes profondes.
Les transformations
en cours donnent à l'Université une pleine autonomie administrative et
financière. Mais, au-delà de l'autonomie financière, l'Université doit garder
son sens critique pour promouvoir les valeurs universellement acceptées et
s'articuler profondément au monde du travail et aux besoins sociaux.
L'Université algérienne doit faire face à plusieurs défis, notamment
l'explosion des effectifs, la crise du financement public de l'enseignement
supérieur et le financement de la vie étudiante mais aussi la mobilité des
compétences. L'Université doit gérer à la fois le gonflement des effectifs et
le manque de rationalité de la répartition des flux entre les filières.
L'harmonisation des diplômes avec l'adoption du régime LMD pose de nouveaux
défis à relever sous la contrainte de temps et d'efficacité. Nous assistons
également à une mutation considérable dans la transformation des débouchés.
L'Enseignement supérieur en Algérie a beaucoup évolué. Il y a désormais un
large consensus sur le fait qu'il ne doit pas se limiter à la poursuite
désintéressée de la connaissance et à la transmission de celle-ci mais doit
aussi et surtout préparer ses étudiants à occuper une place dans les activités
économiques et sociales. Les conditions ou les circonstances de l'enseignement
supérieur sont éminemment déterminantes pour la concrétisation de cet
impératif. L'objectif de cet article est d'analyser les conditions dans
lesquelles se fait l'enseignement supérieur, plus précisément l'enseignement du
management. A travers un questionnaire administré aux enseignants de la Faculté
des Sciences Economiques, Commerciales et de Gestion de l'université d'Oran,
nous débouchons sur un ensemble de problèmes susceptibles de limiter le rôle de
l'enseignement supérieur dans le développement d'aptitudes, de connaissances et
de compétences, notamment managériales.
L'enquête sur le
terrain:
Notre échantillon
de répondants est constitué de 90 enseignants répartis en parts égales entre
hommes et femmes (50/50). Nous relatons ci-après les principaux résultats.
Les problèmes de
l'enseignement.
Les principaux
problèmes de l'enseignement soulignés par les enseignants de la faculté sont,
par ordre décroissant :
1. Le niveau des
étudiants 75%
2. Indifférence
des étudiants 59,5%
3. Problème de
maîtrise des étudiants de la langue française 59,5%
4.Peu de temps
consacré à la recherche 56%
5. Nombre
d'étudiants élevé 52,4%
6. Manque de
moyens pédagogiques et d'infrastructures 52,4%
7. L'assiduité
des étudiants 34,5%
8. Défauts de
l'organisation des étudiants 29,8%
9. Programme
chargé 25%
10. Horaires
d'enseignement peu ou pas adaptés 23,8%
11. Déconnexion
entre cours et TD 13,1%
12. Autres 6%
Les autres problèmes cités par les
enseignants sont : absence de motivation des étudiants, contenu des programmes
ne favorisant pas l'intéressement des étudiants, manque de discipline et les
interventions de l'administration dans les notes des examens.
Concernant les problèmes rencontrés dans le
domaine de l'enseignement des modules relatifs au management, il semble que
(encore une fois) les principaux problèmes sont liés aux étudiants eux-mêmes.
Les chiffres indiquent les appréciations suivantes (par ordre décroissant) :
Manque de
préparation des étudiants à la vision d'ensemble, à l'analyse des problèmes 60,3%
Difficulté à
traduire les concepts 45,6%
Difficulté de
suivre l'évolution de la théorie, des concepts 27,9%
Difficulté de
trouver des cas, des exercices 20,6%
Manque de
bibliographie dans la langue
d'enseignement 20,6%
Difficultés
d'élaborer les sujets d'examen 19,1%
Manque de
bibliographie sur le module 17,6%
Les avis des questionnés semblent divergents
quant à la qualité des formations dispensées par les universités algériennes.
Tandis que 38,3% des enseignants estiment que ces formations ouvrent des
opportunités de travail aux étudiants, 43,2% déclarent que ces formations ne
fournissent pas les réels outils d'insertion professionnelle. En effet, ces
formations semblent plutôt théoriques, déconnectées du monde des entreprises et
de l'économie plus généralement. Globalement, les enseignants estiment que les
formations dispensées à l'Université ne fournissent pas les réels outils
d'insertion dans la vie active. La majorité des diplômés échoue à accomplir dès
l'embauche les tâches complexes qui leur sont confiées.
Les problèmes des
étudiants
D'après les
enseignants questionnés, les principaux problèmes dont souffrent les étudiants
actuellement sont (par ordre décroissant):
Pessimisme
vis-à-vis de la vie professionnelle 74,1%
Difficultés
d'accéder aux entreprises (difficultés de décrocher un stage) 53,1%
Difficultés à
opérationnaliser les concepts théoriques acquis en cours 50,6%
Manque de
formation à la pédagogie de certains enseignants 50,6%
Financement des
études 49,4%
Orientation peu
ou pas adaptée aux capacité/aptitudes et domaines d'intérêts de l'étudiant 44,4%
Manque
d'encadrement et de suivi 35,8%
Redoublement et
échec 33,8%
Insuffisante
rigueur en matière de méthode de travail 33,3%
Difficulté
d'accès aux ouvrages, revues dans la bibliothèque de la faculté 30,9%
Programme chargé 28,4%
Manque de
bibliographie pour certains modules 25,9%
Le pessimisme vis-à-vis de la vie
professionnelle ou le manque d'objectifs après les études est incontestablement
le principal problème des étudiants. C'est ce qui induit la démotivation et,
par conséquent, l'échec dans les études.
Remèdes aux problèmes de l'enseignement du
management
Les solutions
proposées par les enseignants pour remédier aux problèmes de l'Université sont
nombreuses. Les plus importantes sont :
Tout d'abord, l'intégration de l'Université
dans l'espace économique (86,5%). L'Université algérienne semble, jusque-là,
déconnectée du monde des affaires.
Ensuite, adopter de nouvelles méthodes
(56,8%), notamment pédagogiques, pour améliorer la qualité de l'enseignement.
En 3ème lieu, l'instauration des normes entre
les universités (45,9%). Enfin, l'obligation de l'Université de rendre compte à
l'Etat (31,1%).
Conclusion
Les Universités algériennes ont dans
l'ensemble mal réussi à adapter les contenus et les méthodes d'enseignement
dans leurs filières et on peut estimer qu'il y a là aujourd'hui un réel
décalage entre l'Université et le monde du travail.
Cette déconnexion, conjuguée avec la
difficulté croissante d'accéder aux entreprises pour les stages, induit une
démotivation (et un pessimisme) qui touche les étudiants dès leur première
année d'étude, et qui gagne le système éducatif dans son ensemble.
Nous remarquons, depuis une dizaine d'années,
la décadence de l'Université algérienne qui ne cesse de produire l'échec et la
déperdition dans la société. Au niveau de l'université d'Oran (et sans doute
dans d'autres universités algériennes), nous constatons la dégradation
dramatique des conditions qui incombent à la motivation des deux parties :
enseignants et étudiants. Le cumul de problèmes a fait perdre l'équivalence aux
diplômes universitaires algériens avec les diplômes européens, voire même
maghrébins !!
Notre étude a
fait ressortir plusieurs problèmes et lacunes de l'Université. Nous sommes
partis au départ pour détecter les problèmes d'enseignement du management.
Mais, en fin de compte, on ne peut séparer ceux-ci des problèmes de
l'Université algérienne dans son ensemble.
Les lacunes des
étudiants touchent essentiellement:
· La difficulté
d'abstraction.
· Le manque de préparation
à la vision d'ensemble, à l'analyse des problèmes, à l'élaboration d'un exposé,
d'un travail structuré1.
· Les défauts
d'organisation : prise de notes insuffisantes, bachotage, manque de réflexion
pour lier entre cours et TD.
L'inadéquation
entre les connaissances de base et les exigences implique l'échec. En effet,
des compétences acquises en particulier pendant le secondaire vont conditionner
le succès :
· Des
connaissances factuelles de base sont indispensables (par exemple la maîtrise
de la langue française).
· Les capacités à
gérer son temps, à concentrer son attention, à mémoriser, à prendre des notes2.
La situation
n'est pas due simplement à une baisse d'efficacité du secondaire mais c'est
l'environnement sociétal et son approche des connaissances qui pèsent sur le
futur étudiant. La multiplication des informations un peu dispersées pousse à
retenir des faits que l'on utilisera immédiatement au détriment d'une
acquisition structurée.
L'explosion des
effectifs, le manque d'encadrement et de suivi, et faute de moyens didactiques
et pédagogiques, impliquent l'indifférence de nos étudiants3.
Mais la décadence de l'Université n'est pas
simplement due aux étudiants. Les formations universitaires sont de plus en
plus déconnectées du monde des entreprises et fournissent peu de bagages pour
l'étudiant dans sa quête de l'entreprise.
Pour réduire le fossé entre la demande de la
société et l'offre de l'enseignement supérieur, plusieurs solutions sont
adoptées par les pays développés : création d'universités d'élite, alignement
de celles-ci sur le modèle des Grandes Écoles, gestion des universités selon
les lois du marché tout en conservant le statut de l'éducation comme bien
public, instauration des normes de compétition entre les universités et
obligation de rendre compte à l'Etat.
Les enseignants sont unanimes pour dire que
l'Université a besoin de coordonner avec les entreprises et le monde de
l'économie de façon générale. A cet effet, l'Université est tenue de :
1.
Professionnaliser les filières avec des programmes centrés sur la notion
d'employabilité afin d'intégrer l'Université dans son environnement économique.
Dans ce sens, et dans le cadre du système
LMD, des parcours professionnalisant, en liaison avec des entreprises, doivent
être créés.
2. Encourager les
modules d'enseignement de création d'entreprises. Les questionnés soulignent
ainsi l'absence quasi totale dans les programmes des concepts de :
l'entrepreneuriat, le capital risque, la création d'entreprises.
3. Donner une
grande importance à la discipline pour les enseignants et les étudiants. En
effet, ce type de sciences (économiques, gestion, commerciales) semble souvent
dévalorisé, sous-estimé par rapport aux sciences dites exactes ou médicales.
4. Réajuster
l'ensemble des programmes universitaires pour en améliorer le contenu.
5. L'orientation
doit être basée sur des critères bien classés (la compétence, le besoin du
marché, les désirs des étudiants).
6. Tenir compte
des institutions académiques privées, véritable pôle de compétences, pour
s'inspirer de leurs programmes et méthodes d'enseignement.
7. Coordonner
l'Université avec les autres composantes du système d'éducation et de formation
pour que l'Université ne reste pas cloitrée et isolée de la société.
8. Former les
enseignants, notamment en pédagogie.
9. Intégrer la
recherche comme préoccupation première de l'Etat pour que les connaissances de
l'enseignant soient toujours actualisées par les nouveautés théoriques,
conceptuelles et pratiques.
10.
L'installation d'un comité qui rassemble des représentants de chaque université
ou pôle universitaire pour se mettre d'accord sur la traduction de certains
concepts en arabe (tels que le benchmarking, l'ambiguïté causale, la
connaissance tacite, le panel...), et ceci, afin que toutes les Universités
algériennes utilisent les mêmes concepts.
D'autres enseignants préconisent des
solutions beaucoup plus radicales.
Ainsi, certains questionnés vont jusqu'à dire
que la réforme de l'Université va de pair avec la restructuration du système
éducatif dans son ensemble depuis le fondamental.
L'enseignement
supérieur entre efficience et équité :
L'un des défis majeurs des responsables de
l'enseignement supérieur est d'améliorer les performances de celui-ci tout en
réduisant le coût de son fonctionnement. Ce qui ne serait possible sans adopter
des modes de gestion assurant efficience, vision futuriste et réactivité basées
sur de nouvelles formes de gouvernance.
Enfin, une
question reste ouverte :
Le système LMD, qui se veut révolutionnaire
et universel, va-t-il enrayer les problèmes de l'Université algérienne ou
augmenter ses déboires ?
Nous en ferons un
premier bilan dans nos futurs articles.
*Maître de
conférences, Université d'Oran, *Maître-assistante, doctorante,
Université d'Oran
Notes
1- Ce qui
engendre une médiocrité, sans précédent, des mémoires de fin d'études et des
rapports de stages dans lesquels les étudiants ne font que du copier coller.
2- Ce n'est qu'en
période d'examens que l'on voit les étudier s'intéresser aux cours et TD pour
faire des photocopies au profit des prestataires de services.
3- Mais aussi et
la violence (entre étudiants, entre étudiants et enseignants).
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Posté Le : 09/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Benyahia-Taibi G* & Segueni-Djamane N*
Source : www.lequotidien-oran.com