Algérie

L'émotion et la raison



L'émotion et la raison
Une activité devenue favorite pour quelques responsables qui semblent avoir trouvé enfin une vocation inespérée. Pour reprendre un fameux slogan publicitaire, « Ce n'est pas cher, mais ça peut rapporter gros », du moins en termes d'image de marque. Durant la semaine en cours, quatre artistes, Djaffar Beck, Didi Krimo, Kamel Hammadi et son épouse Nora ont été ainsi honorés. Associations, organismes publics, localités d'origine se vouent aux hommages donnant parfois l'impression que la culture algérienne vaut davantage par ses morts que par ses vivants. Il est vrai que dans notre pays, trop souvent, il a fallu la disparition dans l'anonymat et parfois le dénuement d'un chanteur ou d'un comédien pour qu'on daigne se rappeler une carrière, reconnaître la valeur d'un talent. On déterre aussitôt les moments de gloire ensevelis sous les monceaux de l'oubli ou de l'ingratitude dans un exercice qui, parfois, confine à l'hypocrisie. Ces moments de retrouvailles ne sont pas pourtant dénués de valeur. Pas seulement parce que des êtres qu'on dit sensibles et fragiles sont réceptifs à toute marque, même tardive de respect et de considération. Un proverbe du cru le dit clairement : « De son vivant, il ne pouvait s'offrir une datte, quand il est mort on lui a accroché un régime ». L'entretien de la mémoire a besoin de ces haltes, des balises sans lesquels on ne peut mesurer le chemin parcouru, comprendre l'évolution de la société. La décennie noire qui a vu la disparition d'artistes de valeur sonne comme une injonction à l'endroit des vivants qui ne devraient pas cesser de se rappeler ceux qui ont permis au pays de rester debout, de ne pas sombrer dans les ténèbres. Les voix de Hasni , Matoub, résonnent toujours et l'inspecteur Tahar ou Rouiched ou Mammeri , Alloula incarnent l'Algérie éternelle. Le mérite de ces hommages est de faire redécouvrir des voix, des itinéraires exceptionnels qui ont nourri la culture algérienne. Peut-on s'en passer ' En plus de l'école qui n'a pas joué son rôle de transmission et les médias de masse, notamment la télévision, qui ont privilégié d'autres expressions que le patrimoine algérien dans sa diversité qui se retrouve quasiment en déshérence, l'artiste a davantage pâti du désintérêt des nouvelles générations plus réceptives à des musiques venues d'ailleurs. Ceux qui ont connu les réalités chantées par Slimane Azzem, Cheikh El Khaldi ou Beggar Hadda face au renouvellement rapide des générations ne sont plus la majorité. Celle-ci s'abreuve à d'autres sources, se montre plus attentive à d'autres idoles qui parlent de son vécu.Au-delà de la compassionCette série d'hommages ne peut pourtant à elle seule contenir les ravages de l'amnésie et ressusciter l'admiration pour les grands noms de la chanson, du théâtre ou de la peinture algérienne. Elle devrait couronner un travail en amont qui s'appuierait sur des rappels des comédiens, des émissions, des articles qui ne seraient pas de circonstance. . Il est habituel d'entendre, lors de ces hommages, les plaintes de ceux qui s'étonnent de voir encore vivante la personne honorée. Elle fut oubliée, reléguée en marge des années durant et sa subite réapparition sonne comme un au revoir prématuré. On s'excuse davantage pour l'avoir totalement ignoré qu'on valorise son talent étiolé. On peut toutefois remarquer que ces dernières années, au-delà des évocations folkloriques et sans lendemains, un travail de qualité a été mené. Il suffit de citer tous les livres qui ont été édités sur des chanteurs ou des comédiens (Missoum, Mahboub Bati, Cheikh Nourredine, Slimane Azem, Guerouabi ou Sid Ahmed Sari et tout récemment Lamari de son vivant ). Le ministère de la Culture a édité des coffrets de qualité contenant les ?uvres complètes de chanteurs de toutes les régions. Des documentaires, des films se sont inspirés de la vie de nos artistes. Mais à quand des éditions de recueils d'inédits, des ouvrages qui permettent de vulgariser, transmettre l'?uvre ' Ce travail de fond, mélange de raison et de passion, devrait progressivement supplanter les hommages qu'inspire l'émotion qui ne laisse nulle trace.




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