C'est l'histoire
d'un petit village au nord de Paris. Asnières-sur-Oise
: moins de trois mille habitants, une mairie, une église, une place attenante,
une petite vocation touristique et des commerces de proximité qui ferment les
uns après les autres faute de clients. Histoire banale d'une certaine France où
nombre de villages sont abandonnés à leur sort par les services publics et
finissent par être engloutis par la désertification rurale. Ainsi, en juin
2005, les élus de plusieurs villages du département de la Creuse ont-ils démissionné
pour protester contre le retrait de l'Etat dans les campagnes. Mais, à Asnières-sur-Oise, la pièce se joue autrement.
En 2007, le
propriétaire de la charcuterie met les clés sous la porte. Pas de repreneur, la
marie n'ayant pas les moyens de se payer le commerce. Mais le maire a l'idée de
demander son aide à un riche habitant du coin. Il s'agit du cheikh Khalifa bin Zayed al-Nahyan,
émir d'Abou Dhabi et actuel président de la
fédération des Emirats arabes unis (EAU). L'homme est le propriétaire du
château de Baillon, une belle demeure avec parc et
canaux qui a appartenu jadis à Napoléon Bonaparte. Sollicité, le cheikh ouvre
donc sa bourse et accorde 250.000 euros pour sauver et rénover la boutique
désormais rouverte et baptisée «Chez Fanfan».
Il y a plusieurs
manières de commenter cette histoire. De façon général,
elle confirme une hypothèse très répandue en France selon lequel ce pays va se
transformer petit à petit en un immense parc d'attraction où «l'authentique»
sera préservé et protégé grâce à l'argent des étrangers, qu'ils soient
résidents ou touristes. Quand le cheikh al-Nahyan
contribue à faire revivre une charcuterie d'un village touristique, c'est le
cachet «France typique» qu'il contribue à sauver. Un comportement un peu
l'image de ces touristes britanniques qui, en Provence, mettent un point
d'honneur à faire leurs courses dans les petits commerces plutôt que dans les
grandes surfaces.
On peut aussi
relever que ce geste contribue à donner une bonne image du châtelain chez ses
voisins. Impossible de dire du mal, du moins ouvertement, de quelqu'un d'aussi
généreux qui, d'ailleurs, risque d'être encore sollicité pour financer des
travaux d'assainissement du village. Dans la même veine, rappelons que le
Sultan Qabous d'Oman a décidé en avril dernier de
construire un souterrain qui relie directement son château à son haras dans le
village de Fontaine-le-Port en Seine-et-Marne. Un
chantier qui n'a été autorisé par la municipalité qu'en échange de la
construction d'un rond point d'un montant de 500.000 euros. En somme, un
donnant-donnant «gagnant-gagnant»… Mais revenons chez
Fanfan.
En ces temps d'islamophobie généralisée, le fait qu'un grand dirigeant
arabe et musulman contribue à sauver un établissement dont les produits sont
essentiellement à base de cochon a de quoi bousculer les clichés habituels.
«C'est vrai que c'est du porc, donc j'aurai difficilement l'occasion de lui
proposer mes produits», a même reconnu la charcutière au micro d'Europe1.
Certes, une charcuterie n'est pas une église ou une cathédrale. Mais le fait
même de financer sa rénovation fait partie de ce que l'on pourrait qualifier de
communication intelligente, de soft-power
visant à prouver sa tolérance et à modifier la perception occidentale à
l'encontre des Arabes qu'ils soient ou non fortunés.
Bien entendu,
nombreux sont ceux qui ne cachent pas leur agacement voire leur indignation.
Dans le monde arabo-musulman, un tel geste risque
fort d'être mal compris. Il est vrai qu'il est impossible de ne pas se dire que
cet argent aurait pu servir ailleurs à commencer par les Territoires
palestiniens ou même la
Somalie (ce à quoi les officiels émiratis
rétorquent que leur émir y est déjà un généreux donateur). D'une certaine
façon, la charcuterie peut être aussi l'emblème de ces pétrodollars qui, d'une
manière ou d'une autre, finissent toujours par reprendre le chemin de
l'Occident plutôt que d'être investis dans un pays arabe ou musulman.
Dans le même
temps, rien ne dit que ce geste de générosité sera apprécié à sa juste valeur.
Pour le comprendre, il suffit juste d'examiner la manière dont nombre de médias
français ont présenté l'information qualifiée par eux d'insolite. Ironie et
sarcasmes se sont inscrits dans l'habituelle posture qui présente les cheikhs
du Golfe comme des personnages fantasques tout juste capables de jeter leur
argent par la fenêtre. On rejoint-là, l'effet rebours de tout acte comparable
au sauvetage financier de «chez Fanfan». Ainsi, quand un fonds du Qatar rachète
le Paris-Saint-Germain, nombreux sont ceux qui, en
France, se demandent à quoi rime une telle opération financière dont la
rentabilité est jugée peu évidente (si ce n'est que le PSG possède un beau parc
immobilier ce qui n'est pas pour déplaire aux qataris…).
Le chèque du
cheikh risque donc de s'avérer contreproductif. Sur le net, les réactions quant
à ce sauvetage financier sont souvent instructives. «Il va la transformer en
boucherie islamique et exiger des produits halal» avertit ainsi un internaute
qui voit dans cette affaire un signe du déclin de la France. Et l'on
complète ainsi le point abordé au début de cette chronique. Plus l'argent
étranger aidera à sauver le patrimoine français et plus la xénophobie locale
risque d'être renforcée. Exemple, en Haute-Savoie, le Front national a tiré
parti des nombreux investissements immobiliers consentis par des Britanniques.
Chalets rénovés, commerces relancés : on pourrait croire que cela ne pouvait
qu'être apprécié par les locaux. C'est loin d'être le cas puisque cela a généré
des sentiments de dépossession et d'amertume sans oublier de mentionner
l'inévitable jalousie. Cela explique pourquoi le cheikh Khalifa risque d'avoir à
beaucoup dépenser pour arriver à être sincèrement apprécié par ses voisins.
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Posté Le : 15/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com