M'sila - Emir El Hachemi

L'émir El Hachemi fils de l'émir Abdelkader ibn Mahieddine... à Bou-Saâda



L’appel du pays natal est irrésistible sur certains cœurs même quand on est fils d’émir célèbre et de guerrier intrépide. C’est ainsi que l’émir El Hachemi, fils de l’émir Abdelkader dut céder à cet appel et regagnait l’Algérie vers 1894 après la mort de son glorieux père. Celui-ci d’ailleurs sentant ce désir dans le cœur de son fils, lui dit un jour : « si tu dois retourner au cher pays natal, je te conseille de te diriger vers Bou-Saâda où je conserve encore de fidèles amis parmi les Cherif et les Bisker. En effet deux frères El Hadj Mohamed et EL M’Hamed, fils de Kouider Ben Bisker, se rendirent à Damas pour passer plus d’un mois auprès de l’émir Abdelkader, lors de leurs pèlerinages à la Mecque et à Jérusalem (El Qods).
Celui-ci les traita en hôtes de marque, en raison de l’aide que lui avait fourni leur père Kouider dans le saint combat mené contre l’envahisseur.
Lors de l’installation de l’émir en Syrie, défense fût faite par la France, à lui ainsi qu’à ses enfants, de remettre les pieds sur le sol algérien. Mais la France ayant apprécié le rôle humain joué par l’émir pendant le massacre des maronites en Syrie, revient sur sa décision et autorisa ses enfants à retourner en Algérie, dés qu’ils le désiraient. On se rappelle en effet que les druzes se ruèrent sur les maronites qu’ils égorgèrent sans pitié. Le 10 juillet 1860 l’émir Abdelkader reçut dans sa demeure plusieurs milliers de ses malheureux qu’il arracha à la fureur de leurs ennemis et les sauva de la mort.
L’émir El Hachemi débarqua sur le sol de ses ancêtres vers 1894 et se dirigea d’abord vers ses maternels, fixés à Médéa ; il s’installa là pour quelques mois, entouré par l’affection des siens , il était loin de trouver sur les monts du Tittri le doux climat syrien. Et se rappelant les dernières recommandations de son père il ne tarda pas à déménager pour aller se fixer à Bou-Saâda où la douceur du climat ne laisse rien à désirer à celui de Damas.



La maison du caïd de la tribut des ouled sidi M’hamed, le chérif hassanit Azzédine ben El Aïfa, fut mise à sa disposition, le montant du loyer annuel , soit 2000 francs or, était payé par la France. Cette maison conservée encore dans le même état était assez spacieuse pour loger la famille et les serviteurs de l’émir. Deux adolescents, Khaled et Mustapha, une jeune fille Amina, leur mère Lala Aîcha, leur grand-mère maternelle Lala El Fassia, l’émir El Hachemi étaient les six membres de la famille princière.
Amina, demi muette et impotente, était toujours malade ; sa mère Lala Aïcha, âgée d’une soixantaine d’année à l’époque, était une femme brune, malingre et de grande taille, elle était syrienne d’origine. Quant à l’émir, grand et obèse il était de teint brun et n’avait aucune ressemblance avec son père ; il avait perdu la vue en Syrie et revint donc aveugle à Bou-Saâda.
La maison occupée était pourvue d’un balcon qui donnait sur une vaste place et permettait une vue étendue sur la palmeraie où serpente l’oued aux magnifiques gorges fort appréciées par les touristes. Située à la périphérie de la ville elle était battue par les vents en été, ce qui permettait le soir, à l’émir de se tenir sur ce balcon pour respirer l’air frais qu’embaument les arômes dégagés par la palmeraie aux essences si variées.



Les ressources de la famille

La France accordait à l’Emir une pension mensuelle de soixante louis soit 1200 francs or, ce qui permettait à la famille de vivre dans une aisance absolue, le loyer de la maison étant payé par l’état. Les quatorze caïds de la commune mixte de Bou-Saâda lui rendaient de fréquentes visites et pourvoyaient à ses besoins en beurre et en viande. A chaque marché hebdomadaire, quelques uns d’entre eux quittaient leurs tributs et se rendaient en ville ; ils ne manquaient pas d’apporter du gibier ou quelques agneaux qui servaient de méchoui à l’Emir, les notables de la ville offraient à leurs tours leurs ziaras au fils du grand guerrier qui était à leurs yeux un saint homme. N’est-il pas en effet un chérif authentique descendant de Fatima par son fils Hassan ? El Hachemi pouvait donc à son tour distribuer généreusement une bonne partie de ce superflu à ses serviteurs et aux nécessiteux qui frappaient fréquemment à sa porte.

Les loisirs
L’Emir professait le hadith à certaines heures de la journée, un groupe d’étudiant venait l’écouter, profitant de la solide culture acquise en Syrie. Jeunes et vieux se pressaient autour de lui pour suivre ses leçons et recueillir de sa bouche ses paroles en matières de traditions prophétiques. Dans notre prime jeunesse, nous avons connu quelques vieillards qui passaient pour des gens cultivés grâce aux cours d’El Hachemi. Il y’avait Si El Mkhalat Ben El Moubarek, Si Ahmed Ben Mohamed Ben Salah, Si Ali Ben Magri dont le fils encore vivant, était notre camarade de classe à l’école primaire. Un fidèle serviteur veiller avec soin sur l’Emir et exécuter ses ordres au moindre geste ; c’était Mohamed Ben M’hamed El Hamlaoui dont nous avons connu le fils Al Khadir.
Les femmes ne passaient pas, leurs temps, cloîtrées entre quatre murs. Deux fois par semaines elles quittaient la maison pour aller vivre au grand air dans la vallée de l’oued. Si Abdelkader Ben Bisker, dont je tiens ces renseignements, était chargé à l’époque des moyens du transport. Ce jeune homme, âgé de 18 à 20 ans, amenait trois mulets avant l’aube, sur lesquels on chargeait femmes et enfants, et accompagné de Khaled, il remontait le long de l’oued. Les servantes transportaient les provisions de bouche. Arrivé à 5 ou 6 kilomètres en amont de la ville, on choisissait un beau site et l’on s’y installait. Les femmes se dépêchaient de préparer le feu et de servir le petit déjeuner. à suivre



Les femmes se dépêchaient de préparer le feu et de servir le petit déjeuner, après lequel Khaled et son jeune compagnon partaient sur le terrain de chasse. Khaled monté à cheval, s’avérait un magnifique chasseur. Aucune proie n’échappait à sa balle. Lièvres et perdreaux gonflaient son carnier. A son retour vers midi, on trouvait le déjeuner prêt et l’on mangeait avec appétit ; puis tout le groupe s’adonnait à un petit repos et le murmure de l’eau, le froufrou des palmiers au milieu de cette atmosphère si pure , plongeait les gens dans un doux sommeil. Vers quatre heures de l’après midi, Khaled se saisissant de sa flûte, lui fit tirer de douces notes et il priait alors sa mère de se lever et d’exécuter quelques danses syriennes qui charmaient les femmes frustres de Bou-Saâda. La mère n’éprouvait aucune gêne à s’exécuter, puisque la vallée était déserte et l’unique garçon présent était Abdelkader, considéré comme fil adoptif. Ses danses étaient applaudies des autres femmes, qui remplissaient l’oued de leurs cris et de leurs youyous stridents, témoignage bruyant de leur gaîté et de leur joie. Et quand le soleil commençait à déclinait vers le couchant, on chargeait tout à dos de mulets et l’on regagnait la ville la nuit tombante à l’insu de tous les curieux.
Un malheur guettait cette famille si heureuse. Amina unique fille, à l’age de 22 ans laissait un triste vide autour de sa mère et de sa grand-mère. L’Emir ne tarda pas à la rejoindre. Il s’éteignit le lundi 15 dhil el hidja 1317 de l’hégire correspondant au 14 avril 1900, on l’enterra à 100 mètres de sa demeure terrestre, dans l’enceinte d’un ancien marabout le chérif Sidi M’hamed ben brahim. Le tombeau de l’Emir s’est conservé dans le même état depuis 70 ans. Construit en marbre blanc, il est entouré d’une grille haute d’un mètre que la rouille n’a point attaquée en raison de la sècheresse de l’air au sahara. A SUIVRE



Ce tombeau, est l’objet de fréquentes visites faites par les habitants. Les deux pierres tombales portent des inscriptions lisibles encore. Celle qui se trouve près de la tête porte six vers du célèbre poème Al bourda. Celle qui se trouve à ses pieds, porte six vers composés par un fidèle élève de l’Emir, en guise à la fois, de reconnaissance et de regret. Le dernier vers indique la date du décès par la valeur de ses lettres. L’Emir repose au pied d’une kouba. Deux palmiers entièrement élancés et légèrement penchés sur ce sanctuaire semblent solliciter la mansuétude du marabout en vue d’exaucer quelques vœux secrets.
Pour donner plus de charme à ce tombeau princier un jeune palmier ayant poussé entre les deux pierres tombales semble être une main ouverte vers le ciel pour implorer un certain pardon.
L’Emir Khaled s’était marié avant la mort de son père avec la fille du cadi Sidi Abu Bakr, membre de la famille Sidi Kada, branche collatérale de celle des Mahiddine. C’était sur la place que domine le balcon de la demeure que se déroulèrent les manifestations de joie déclenchées par la cérémonie du mariage. Celui-ci avait d’ailleurs l’habitude de convier sur cette place les habitants de la ville pour prendre part à de pareilles manifestations joyeuses, telles celles qui accompagnèrent les cérémonies de circoncision de Khadir fils de leur domestique Mohâd ben Mohamed ! Khadir maintenant sénile vieillard mettait un grain de fierté à dire que l’Emir Khaled a payé lui-même les frais de cette cérémonie.
Après la mort de l’Emir Al Hachemi, Khaled l’aîné de la famille se rendit à Alger. Une maison située face au sanctuaire de Sidi Abderrahmane fut mise à sa disposition. Mais les amis de sa jeunesse ne l’ont pas laissé partir seul à Alger, ils l’accompagnèrent, tel Si Abdallah descendant du marabout Sidi M’hamed ben Brahim, El Hadj Ahmed ben Senoussi, Abdelkader ben Bisker. Il ne les quitta que pour faire ses études militaires à St. Syr et s’est engagé pendant la guerre 14-18. cependant, aussitôt l’armistice signé, il revint habiter Alger, et chaque fois l’an il se rendit à Bou-Saâda pour distribuer des aumônes aux nécessiteux de la ville. Le fils de Mustapha son frère cadet est dit-on actuellement ministre des finances en Libye.
PS : ce texte a été rédigé du vivant de Abdelkader ben Bisker décédé le 25 juillet 1968 d’après son fils Mohamed, mon beau-frère.



En mars 1899 deux voyageurs G. Guiauchain et Ch. De Galland, lors d’une excursion à Bou-Saâda furent reçus par El Hachemi dans sa demeure. Voici en quels termes : « … En quittant la mosquée M. Saiah, notre guide si obligeant nous conduisit chez l’Emir Al Hachemi, fils d’Abdelkader le héros de la lutte soutenue contre la France envahissante. La maison qu’il habite n’a aucun caractère particulier. C’est un gros cube en maçonnerie. Un escalier en échelle donne accès dans la pièce où si Al Hachemi voulut bien nous recevoir. Dans ce petit salon meublé à la française je remarquais un agrandissement photographique du portrait d’Abdelkader. Je retrouvais dans cette image la physionomie énergique de l’Emir, telle que Léon Roches l’a dépeinte :
« … Son front est large et élevé. Des sourcils noirs, fins et bien arqués surmontent les grands yeux bleus qui m’ont fasciné. Son nez est fin et légèrement aquilin, ses lèvres minces sans être pincées, sa barbe noire et soyeuse encadre l’ovale de sa figure expressive. Un petit « oucheme » (tatouage) entre les deux sourcils fait ressortir la pureté de son front. Sa main maigre et petite est remarquablement blanche, sa taille n’excède pas cinq pieds et quelques lignes mais sa musculature indique une grande vigueur…il tient toujours un petit chapelet noir dans sa main droite. Si un artiste voulait peindre un de ces moines imprimés du moyen age, il ne pourrait, il me semble choisir un plus beau modèle… »
l’Emir Al Hachemi nous accueillit avec beaucoup de dignité, et pendant que nous dégustions une tasse d’excellent moka, il rappela non sans mélancolie, tout un passé glorieux et nous parla de la vie de son père à Damas, de son rôle en 1860, pendant les massacres des Maronites en Syrie.
Si El Hachemi, privé de la vue vit dans la solitude avec ses souvenirs et il a consacré ses loisirs à une histoire d’Abdelkader écrite en deux volumes (1).
Ses deux frères furent généraux de division au service du sultan à Constantinople.
(1) Excursion à Bou-Saâda et Msila (Mars 1899)
Raconté par Charles de Gallant
Illustré par Guiauchain
Edité par Paul Cliendorf, 28 bis, rue Richelieu Paris



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