Algérie - Patrimoine Culturel

L’émergence de l’intelligentsia algérienne (1850-1950) : Le cercle des poètes disparus



« L’instruction porte en nous le secret de notre résurrection. » A elle seule, cette recommandation express situe tout l’enjeu d’alors. En fait, la réplique qui s’est imposée face aux inquiétudes suscitées par le décret d’application des lois Jules Ferry en Agérie.

Réplique qui ne saurait surprendre l’observateur averti, particulièrement au tournant redoutable des années 1880, soit au paroxysme même de l’affrontement culturel. D’autant qu’elle a été l’émanation de certaines personnalités qui, en toute connaissance de cause, ont apprécié à leur juste valeur les bienfaits de toute acculturation, d’une acculturation quoique réduite à sa plus simple expression par suite de la faiblesse numérique des effectifs scolarisés. Au surplus d’une faiblesse qui n’a pas moins été accompagnée par quelques manifestations d’intrerculturalité, à l’instar notamment du premier directeur de l’Ecole supérieure des lettres d’Alger, Emile Masquerai, le traducteur d’une œuvre magistrale puisée dans le patrimoine ibadite, la Chronique d’Abou Zakaria (1880). En fait, à travers cet exemple précis, c’est toute la haute personnalité du père de Abdelhalim Ben Smaïa, l’initiateur d’Emile Masquerai, qui jaillit au premier plan. Il en va de même pour d’augustes maîtres, tels Hassen Benbrimat, Abdelkader Medjaoui,(1848-1913) et dès le siècle naissant, avec notamment Mohammed Ben Cheneb (1869-1929) — le polyglotte quoique normalien de formation —, est parvenu peu à peu à concrétiser excellemment les objectifs assignés à la Thaâlibia, l’institution vouée alors à un bilinguisme académique, mais s’attachant précisément à réhabiliter la langue occultée par l’ordre établi, de concert avec la valorisation du patrimoine arabo - maghrébin dont certaines œuvres ont été sauvées in extremis… Aussi fallait-il cerner le rôle joué par cette prestigieuse institution dans l’émergence même de personnalités représentatives de l’élitisme d’expression bilingue. Il va de même d’une autre institution ayant contribué à son tour à l’émergence d’élites d’expression essentiellement francophone, dont le rôle a été décisif dans la transformation des esprits et comportements mais en ne concernant, — tardivement — qu’une dérisoire proportion de la population scolarisée. Il s’agit bel et bien de l’Ecole normale de Bouzaréah qui a joué un rôle fondamental dans le phénomène d’acculturation, mais une acculturation parcimonieusement assurée, compte tenu de la formation d’une minorité de normaliens, guère une vingtaine annuellement jusqu’en 1937, puis une trentaine postérieurement. En tout état de cause d’éducateurs-modèle ayant accompli avec compétence et art leur mission à travers monts et vaux. Bien au-delà de l’accomplissement de cette noble mission bien déterminée, une autre finalité doit être appréhendée à partir d’exemples précis comme l’illustre un Mohand Tazrout (1893-1973), normalien de formation mais aussi globe-trotter dans le but de se ressourcer directement au cœur des civilisations disséminées du Proche à l’Extrême-Orient et de parvenir à traduire, de la langue de Goethe à celle de Molière, deux œuvres philosophiques magistrales du XIX e siècle, en sus de la traduction du Coran en langue française, au demeurant en officiant la philosophie dans un lycée parisien de renom après avoir enseigné en province à la fois à Nantes et la Roche-sur-Yon. Quoiqu’il en soit, en sus de ces deux institutions officielles, il fallait élucider expressément les conditions d’émergence d’autres élites, les représentants d’un élitisme qui s’est consacré continuellement et inlassablement à la réappropriation du patrimoine culturel, linguistique identitaire par excellence, particulièrement au cours de ce tournant crucial des années 1930. Paradoxalement, un élitisme sans pôle d’excellence établi… après la destruction en 1873 de la Tachfinya (Tlemcen), la mosquée université, l’équivalente même d’alors d’une Zitouna de Tunis ou d’El Qaïraouane de Fès. En effet, de part la formation suivie et les objectifs assignés et poursuivis sans relâche, il s’agit bien d’un élitisme qui s’est voué à l’accomplissement d’une mission bien définie, même si d’emblée la dimension linguistique tend à masquer une finalité bien déterminée. Incontestablement, par son essence même, cette réappropriation constitue bien un tout, un ensemble indivisible, l’islamité, essence et raison d’être de la société algérienne. De surcroît fondée sur une langue à la fois maternelle et de culture, par excellence d’ancrage et d’attachement charnel à la patrie, une patrie bien définie dans l’espace et tant réaffirmée dès l’agression coloniale (1830) de plus en plus, au fur et à mesure de la pénétration des forces d’occupation. Toutefois, une islamité qu’il fallait, au préalable, revivifier et davantage l’expurger afin de l’asseoir au sein des masses populaires en la réaffirmant progressivement… Assurément, en s’identifiant pleinement au ciment de la foi, la langue constituant bien un tout indissoluble. N’est-ce pas à l’islamité des générations antérieures successives que la société algérienne a pu résister à maints cataclysmes, particulièrement durant les années 1990 ? N’est-ce pas les objectifs auxquels s’est attachée effectivement l’Association des Ouléma d’Algérie créée en 1931 et présidée par Cheikh Abdelhamid Ben Badis, tout en affichant son apolitisme pour des raisons évidentes, à la fois pour mieux assurer ses assises et préserver son pouvoir d’action ? Quoiqu’il en soi, le succès n’a-t-il pas été spectaculaire comme l’attestent les réalisations poursuivies à travers la construction de nombreuses médersas, voire d’un institut de formation d’éducateurs implanté à Constantine, en dépit d’un contexte socioéconomique des plus difficiles d’avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale ? De surcroît, un ardent élan de générosité exprimé par des populations souvent de conditions très modestes afin de satisfaire d’impérieux besoins, comme l’illustre l’exemple édifiant de Dar El Hadith à Tlemcen, construite en un temps record, au demeurant à quelques mois du déclenchement du second conflit mondial ? Bien plus, d’une certaine manière, le réformisme s’est répandu jusqu’au M’zab, bien qu’il s’agisse d’une région demeurée historiquement autarcique par la force des choses. A titre d’illustration, 14 élites ont été sélectionnées en fonction de deux critères fondamentaux, géographique et linguistique. Pour ce qui est du premier, l’objectif majeur a été la recherche d’une représentativité régionale aussi équilibrée que possible dans le but de cerner certaines données d’ordre sociohistorique et culturel, à l’ instar notamment du rôle réellement joué notamment par le M’zab. Quant au second, il rend compte non seulement de la réalité intrinsèque d’alors mais aussi de la richesse, et par-là même de la valeur d’un legs historique, la richesse même de toute culture plurielle à l’heure d’une mondialisation désormais incontournable.

Abdelkader Medjaoui (1848-1913)

Abdelhalim Ben Smaïa (1866-1933)

Mohamed Ben Cheneb (1869-1929)

Mostefa Lacheraf (1917-2007)

Dr Mohamed Nekach (1854-1942)

Fatah Ben Brahim (1850- 1928)

Mohand Tazout (1893- 1973)

Djelloul Benkalfat (1903-1989)

Abdelkader Mekidèche (1914 - 1998)

Mohammed Benamar Djebbari ( né en 1918)

Moubarak Mili (1897- 1945)

Tawfik Madani (1899-1983)

Cheikh Mohamed Ben Youcef Tfayache (1818-1914)

Cheikh Ibrahim Bayyoud (1899-1981) Djilali Sari, éd. ANEP, Alger, 2006, 320 p.


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