Algérie

"L'élection est une mascarade"



Abderrezak Makri, leader du parti islamiste MSPLe leader du parti islamiste MSP, qui a basculé dans l'opposition, Abderrezak Makri revient, dans cet entretien, sur les positions de son parti concernant le boycott de l'élection du 17 avril prochain. Pour lui, cette décision a été prise après avoir épuisé toutes les pistes de négociation sur la transparence du processus électoral et l'absence de volonté de changement. Comme il s'explique sur l'échec des partis de l'opposition à présenter un candidat du consensus et ce, faute de volonté politique.L'Expression: Deux mois nous séparent de l'élection présidentielle, votre parti a décidé de ne pas prendre part au scrutin du 17 avril. Quelles sont les motivations qui vous ont décidé à ne pas y participer'M. Makri: Tout simplement, on est arrivé à une conclusion nette et précise que ces élections-là ne sont pas une opportunité pour le changement et les réformes politiques. On a fait tout notre possible pour rassembler le maximum de partis politiques afin d'élargir le front de l'opposition qui demande plus de garanties pour une élection libre et transparentes. Notre appel, vis-à-vis du pouvoir public, n'a pas été entendu concernant trois points. Premièrement, nous avons demandé l'installation d'une commission indépendante qui sera chargée de l'organisation de l'élections de bout en bout. En deuxième lieu, nous avons demandé aussi à ce qu'il y ait un remaniement ministériel avant l'élection pour assurer justement la transparence requise pour l'élection. Et troisième chose, nous avons demandé à voir les listes du corps électoral reparties sur les bureaux de vote pour qu'on puisse savoir qui a réellement voté. C'est la grande énigme. L'administration se contente à chaque fois de nous donner des chiffres et des taux de participation loin de la réalité et de ce que nous constatons sur le terrain. Malheureusement, le gouvernement n'en fait qu'à sa tête. Le pouvoir refuse d'écouter les avis de l'opposition.Quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle'La situation politique est préoccupante et très inquiétante, car nous vivons une situation économique et sociale insoutenable comme l'avait déclaré M.Laksasi. Nous vivons aussi une déstabilisation des institutions de l'Etat, des remous au sein de la société et ce, malgré l'aisance financière qui existe. Il ne faut pas se voiler la face, l'avenir du pays est inquiétant vu les chiffres avancés par les institutions de l'Etat. Surtout lorsqu'on sait bien que la production des hydrocarbures se réduit de plus en plus et les exportations également au même moment où les importations s'élèvent davantage, puisque nous sommes un pays consommateur. Avec la politique de l'achat de la paix sociale, le gouvernement n'a fait qu'accentuer l'évolution des importations. On se retrouve, actuellement, devant un recul de la balance commerciale de plus de 53% qui a influé sur la balance des paiements. La dépendance aux hydrocarbures risque de plonger le pays dans une grave crise comme celle de 1986 qui a abouti aux événements d'Octobre 1988. Le contexte est très difficile, il fallait que cette élection donne l'occasion du changement pour plus de transparence et d'alternance au pouvoir qui permettra aux Algériens de se concilier et de débattre ensemble pour faire sortir le pays de cette crise. Ce qui n'est pas le cas malheureusement. Le pouvoir exerce une chape de plomb sur l'Algérie, il ne permet pas aux Algériens de participer à l'édification d'un pays stable, indépendant de la manne pétrolière, un pays de justice et de démocratie.En résumé, le climat est-il favorable à l'organisation d'une telle échéance'Si on parle des conditions administratives, bien sûr, il y a tout un appareil qui est mobilisé par le pouvoir pour organiser de l'élection à sa manière, mais il n'y a pas de transparence qui garantisse une compétition honnête entre les candidats. C'est la raison pour laquelle nous avons appelé au boycott de cette élection.Les partis qui boycottent l'élection ont appelé les candidats à se retirer. Pourquoi'Tout simplement, cette élection n'a aucun sens. C'est une véritable mascarade électorale et nous ne voulons pas que le peuple algérien participe à ce cirque. Cette élection ne constitue pas une occasion pour le changement. Donc, il faut laisser ce pouvoir seul pour qu'il n'y ait pas de légitimité dans cette élection et qu'on puisse avoir plus de chance d'aller vers un changement après cette élection que nous considérons comme un prolongement du 3e mandat et ce n'est pas un 4e mandat.Après de larges consultations, vous avez opté pour le boycott de l'élection. Peut- on parler d'un échec'Effectivement. En ce qui nous concerne, on ne voulait pas aller vers le boycott, comme étant une fatalité. Nous avons d'abord exploré la piste et opté pour la consultation d'un front très élargi de la classe politique pour donner effectivement un signal très fort au pouvoir sur le fait que si l'élection sera truquée, la situation serait très difficile. Le pouvoir en place ne sera pas tranquille puisqu'il aura à faire face à un front de l'opposition fort qui va l'obliger à revenir à la raison et négocier un changement facile vers la démocratie. Pour arriver à cela, nous avons élaboré une plate-forme de l'initiative pour le changement que nous avons soumise à toute la classe politique y compris les partis au pouvoir pour parvenir à un candidat du consensus et faire de cette élection un véritable changement. Comme c'était attendu, les partis au pouvoir ont refusé de se mettre à la même table avec l'opposition. Donc, on s'est mis à travailler avec l'opposition et nous avons perdu beaucoup de temps pour convaincre tout le monde sur le choix d'un candidat du consensus.Malheureusement, on n'est pas arrivé à cela, car certains partis n'étaient pas en mesure de faire des concessions autour d'un candidat commun. Pourtant, notre parti était clair dès le début. Nous avons, dès le départ, dit qu'on retire notre épingle du jeu alors qu'on avait les moyens de collecter facilement les signatures. Nous avons un programme, nous avons nos structures, mais nous avons décidé de jouer le rôle de conciliateur et de rassembleur pour parvenir à un candidat commun. Nous avons voulu créer une force politique pour faire pression sur le pouvoir. La classe politique n'était pas disposée à travailler ensemble pour empêcher la fraude électorale. Et c'est après avoir exploité toutes les pistes que nous avons décidé d'aller ver le boycott.Le Groupe de la mémoire et de la souveraineté dont vous faites partie se veut comme une force de l'opposition contre le pouvoir, mais comment expliquez-vous les divergences des avis autour de la présidentielle'Oui, je tiens à préciser que ce groupe-là a été mis en place pour un autre objectif. Ce n'est pas par rapport à l'élection. Comme il s'appelle le Groupe pour la sauvegarde de la mémoire et de la souveraineté, c'est un cadre plus global et plus élargi ce qui fait qu'il est toujours maintenu. Même si on n'est pas arrivé à une position commune sur la présidentielle, ce groupe va continuer ses activités après l'élection pour cet objectif de la sauvegarde de la mémoire et de la souveraineté.Comptez-vous mener une campagne contre le 4e mandat'Non, lorsqu'un parti prend une position, il faut qu'il explique ses motivations à l'opinion publique. C'est une campagne contre l'élection et non pas contre le 4e mandat, car nous n'avons pas associé notre décision à la candidature du président. On a décidé de boycotter indépendamment de cette décision. De toute façon, qu'il s'agisse de Bouteflika ou d'un autre, l'élection sera truquée. Sauf que la candidature de Bouteflika va poser beaucoup de difficultés pour le pays après l'élection. Pour nous, nous allons mener un travail de proximité à travers le pays pour expliquer aux citoyens le risque de cette élection. Même si l'administration nous empêchera d'animer des meetings, la campagne électorale ne dure que vingt jours et nous sommes toujours présents sur le terrain.Le président promet un scrutin transparent en mettant en garde l'administration. Les garanties avancées sont-elles suffisantes et rassurantes'Comme je l'ai déjà dit dans mes déclarations, ce n'est pas la première fois que le président fait des déclarations pour garantir la transparence du scrutin. Le président Zeroual l'avait déjà fait, le général Lamari également. A chaque élection, ils publient des communiqués. Or, l'élection est tout autre chose.Le président a mis fin à la polémique Saâdani-DRS, mais le patron du FLN dit qu'il n'est pas concerné. A qui s'adresse le message selon vous'C'est la caractéristique de l'opacité du pouvoir en place. Il ne faut pas perdre de vue que leprésident de la République est le chef suprême des Armées et il est le président du FLN, alors pourquoi a-t-il permis cette guerre interne' Il ne suffit pas de remettre les gens à l'ordre. Si les institutions de l'Etat sont ciblées et qu'il y a péril en la demeure, comme il le dit dans sa déclaration, alors pourquoi il ne prend pas des décisions contre ces gens. C'est une manière d'apaiser la situation. La situation ne peut s'apaiser que lorsque les institutions de l'Etat travaillent dans la légalité et la transparence.Pouvez-vous revenir sur le fait que les islamistes n'aient pu se rassembler et parler d'une seule voix, partagés qu'ils sont par une multitude de tendances aussi antagonistes les unes par rapport aux autres'Pour vous dire, on n'a même pas essayé de mettre ce projet sur la table, de la situation entre les partis qu'on appelle islamistes entre guillemets. La situation est tellement critique et ce n'est pas le moment de parler de famille politique. Il faudrait que tous les Algériens et toutes les familles politiques, toutes tendances confondues, travaillent ensemble pour sauver le pays de ce péril. On n'est pas dans une démocratie, on n'est pas dans une compétition pour parler des familles politiques. A chaque élection, les gouvernants dans le Monde arabe utilisent cet épouvantail des mouvements islamistes pour essayer de justifier leur attachement au pouvoir en faisant peur aux gens. Cette fois-ci, on ne leur a pas offert l'occasion de parler de la menace islamiste. C'est pour cette raison qu'il y eut une guerre interne, car il n'y avait pas cet épouvantail pour mettre sur son dos tous leurs malheurs.Un dernier motNous espérons que l'Algérie retrouve le chemin de la transparence et de la démocratie, car il n'y a pas d'autre issue.


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